mardi, avril 19, 2016

A propos de "Escales", mon dernier texte publié chez Olivier Morattel

Vous reprendrez bien un peu d’autofiction ? Rebelote cette année avec un récit de voyages quelque peu plus riant que « Journal de la haine et autres douleurs », ma publication morattelienne de l’année dernière. Vous y retrouverez mes marottes, mes goûts de vieille fille, ma langue de vipère. Au cours de ces « Escales », nous allons prendre le thé, médire un peu, visiter des expositions de peinture et vous aurez l’immense plaisir de m’entendre me plaindre des masses, de la mauvaise éducation des foules, de l’artificialité de la jeunesse, de la cuisine française, italienne, etc. Vous aurez droit à votre ration de germanophilie avec énumération des merveilleux mérites de ma chère Allemagne. Et comme si cela ne suffisait pas, je vous ferai – en bonne ménagère – la visite in-té-grale de notre logis, à Cy., Lou’(notre chien) et moi. Le moindre bibelot vous y sera détaillé, les habitudes de la maison, le voisinage, la vue, et tous les buts de promenades de Morges et environs.

Dans « Escales », vous ne trouverez ni turlute sauvage, ni méga-teuf, ni name-droping prestigieux, tirage de coke, suspens insupportable, voiture rouge qui fait vroum, success story ou intrigue policière. Et en plus, je vais vous assommer avec des expressions consacrées totalement tombées en désuétude, un vocabulaire vieilli qui vous forcera à jouer du dictionnaire, sans parler des douze-mille-cinq-cent-soixante-quinze (soixante-quinze, oui, et pas septante-cinq, et je suis un pur produit vaudois, d’une souche remontant à 1491, première citation de mes ancêtres de Veley dans le cartulaire de Romainmôtier, ils étaient au service de Notre sainte Mère l’Eglise, et je dis soixante-quinze), bref des très, très, très nombreuses références culturelles qui me sont régulièrement contestées par de vieux peigne-culs soixante-huitards hugolâtres.


Mais pourquoi acheter « Escales » ?! Vous ne serez pas plus beau, plus séduisant, plus intelligent, plus prompt à rencontrer le succès après sa lecture. Toutefois, vous serez peut-être « affranchi » ; peut-être aurais-je réussi à vous glisser dans une poche ce qui m’a été offert messe après messe, un peu de cette confiance, de cette paix qui découlent de la Foi. Je ne chercherai ni à vous convaincre, encore moins à vous convertir : juste vous raconter ma boussole, un petit accessoire bien commode lorsqu’on ne cesse d’aller de ci, de là. Et je vous livre mes secrets de maquignon, de quelle manière je vous soupèse une pétasse – homme ou femme, le terme est épicène, n’en déplaise à certaines féministes, comment contrer le bestiau, se payer sa fiole pour de vrai ou symboliquement, comment contrer sa délétère influence et rester libre. Etre libre !

mardi, avril 12, 2016

"Montecristo" de Martin Suter

J’avais beaucoup aimé « Le dernier des Weynfeldt », excellente peinture – sans jeu de mot – de la bonne société discrète et compassée zurichoise, une saveur bien particulière, une sorte de prolongation du « Mars » de Fritz Zorn. Erreur d’aiguillage pour ne pas dire déception avec « Montecristo », divertissement à caractère littéraire de bien 500 pages, aux éditions Bourgois pour la version française. A ce propos, la traduction doit être aussi lourde que la version originale, vous entendez presque le gros accent râpeux du züüüüritütsch, on n’est pas dans Goethe, de loin pas.

Le pitch, en deux mots, un journaleux vidéo qui nourrit quelque espoir de réalisation (du cinéma suisse, vous voyez le niveau du talent …) se trouve – Oh ! – par hasard en possession de deux billets de 100.- dont le numéro de série est identique et se retrouve – re-Oh ! – témoin d’un accident de personne dans le train Bâle-Zürich et, bingo, les deux faits auront un lien. Le protagoniste s’appelle je ne sais plus comment, il est le prototype du néo-bobo cool dans la comm’ et la culture, il en a tous les accessoires et Suter nous assomme de descriptions inutiles quant à son intérieur de bobo de base, résultat de la fréquentation intensive de broki-shops. Et, histoire de remplir les 500 pages susmentionnées, durant tout le récit, le lecteur a droit à un catalogue de binches, blondes, brunes, exotiques, etc. et comment boire cette foutue bière, sans parler du menu détaillé de tous les personnages et le tout n’apportant strictement rien à la narration. Le pompon, la rencontre du journaleux-vidéo dont j’ai oublié le nom avec une blonde charmante dans la comm’ et l’event, le couple phare zürichois par excellence. Le lecteur aura aussi droit à l’amorce de quelques scènes proto-torrides.

Evidemment, il y a une histoire de conspiration, à un très haut niveau, tout le monde y trempe, même les sept, au sommet, on touche au thriller politico-financier dont la morale est … « vouais, vouais, vouais, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes confédéraux ! » La chute n’est même pas drôle, banalement immorale, condamnable, entendue. J’ai néanmoins passé d’excellents moments avec ce titre ; j’ai, à plusieurs reprises, mouillé la chemise, suspens garanti, car le propos général est bof mais le savoir-faire de l’auteur certain. C’est ici qu’il faut rager du gâchis de tant de talent pour une visée aussi commune. J’ai passé une semaine et demie, deux semaines sur ce livre mais, au final, que m’a-t-il apporté ? Rien. Néant. Pour le même résultat, je regarde M6 en faisant mon repassage.


J’ai trouvé dans ma bonne librairie d’occasions et d’antiques de la Hauptstrasse, Schöneberg, Berlin, « Lila, Lila », un Martin Suter que je n’ai pas encore lu. Dans le U, j’ai commencé à le lire, tout de suite pris dans l’action, la description talentueuse, le mouvement du texte. Arrivé à mon logement, j’ai jeté ce volume. J’allais passer une douzaine d’heures de lecture à un divertissement sans suite alors que m’attendent le journal de Sándor Márai ou le second volume de 800 pages de « L’Homme sans qualité ». Je suis lassé que l’on confonde sans cesse littérature et divertissement (même à caractère littéraire). La littérature vous nourrit, vous appelle à une réflexion, témoigne de son temps, de problématiques universelles et vous rend plus … intelligent, éveillé et pas simplement distrait !

mercredi, avril 06, 2016

Extrait de "La Lumière des Césars", troisième épisode de la série éponyme.

Il y est arrivé, il y arrive toujours, de manière moyennement peu glorieuse ou héroïque mais qu’importe. Il a pris un paquebot à peine rouillé jusqu’en Islande, puis un zeppelin pour Friedrichshafen. Le brouillard était profond en-dessous, tant mieux, cela évite de se faire tirer comme une perdreau ; Wesley n’a pas perdu les bonnes habitudes de Steeven, à savoir ne jamais avoir l’air surpris – rapport à son inculture d’antan – au risque de passer pour un imbécile à longueur de journées. Il a donc vite déduit que la ville natale du dirigeable était devenue un  « hub », un super aéroport avec ses tours d’amarrage en mini « tour Eiffel », ses ascenseurs à cabine lambrissée, et un nœud ferroviaires par la même. Steeven ne connaissait pas le lac de Constance, Wesley découvre. Ça n’a rien du brillant de l’univers de ses songes, c’est même un peu pouilleux sur les bords. Il concède un sens certain de la mise-en-scène mais pour le reste, c’est prolo-land comme dans son enfance et, ici, il est un mec lambda, pas moyen de se repeindre le plafond en rose après un petit somme, transit consécutif. Il est même un sans-papiers, ou papiers pas vraiment vrais, il a fait « un peu » chanter Richie, en toute amitié, après leur nuit de gonflée. Ça sert d’avoir potassé des livres d’histoire ; ça lui donne aussi un rien de référence dans cette vieille Europe ravagée, plus vieille que ravagée selon ce qu’il observe. Il descend dans le grand hôtel Zeppelin, un gratte-ciel renaissant aux façades recouvertes de fresques. Richie lui a négocié un super-forfait avec la traversée et son vol. Le sommet de la tour est perdu dans la brume, la pluie sent les eighties’ en banlieue et un vague espoir derrière. Wesley a voulu passer à travers, comme à l’habitude de Steeven, mais, là, il est au bout, face à un mur, celui de ses fuites métaphysiques. Il s’attendait vraiment à du balaise avec vaisseaux intergalactiques et pétoires laser, au risque de se répéter, le tout en combi moule-burnes avec des pratiques sexuelles inédites, des hybrides à triple sein, des trucs festifs mais on baise pareil de ce côté-ci de l’univers, peut-être un peu moins. Le sommet de la subversion consiste à danser sur de l’acid-schlager en culotte de peau et chaussettes fluo ! Wesley se sent à la fois pris d’un vertige et d’une sorte de constipation psychique, il ne voit pas quoi faire d’autres … Il a voulu ce monde, il l’a eu ! Il voulait être seul dans lui-même, fatigué des sauts temporels, des histoires de résistance, de l’Agence, complots, etc. Il a tout bien tout fermé toutes les portes et balancé la clef, évidemment. Il n’a pas même envie de se mettre la tête en dedans, rien, le gris et la pluie, et ce petit lac calme et étale, quelques flots aciers. Wesley occupe une jolie chambre Art Déco, comme il se doit, au 18ème étage, sous les appartements impériaux, au cas où Sa Majesté ferait un petit saut dans le coin, ou l’un de ses représentants à la cour. L’empereur ne se déplace plus que pour des visites d’Etat. La presse le dit à Saint-Pétersbourg, parti rencontrer le prince régent et tuteur de son cousin le jeune tzar … « Mauvais plan » se dit Wesley, il aurait dû rester à Neu York, à faire vrombir sa voiture rouge avec Rick Astley, fitness, restau’, son joli triplex à Süd Harlem. « Quelle quiche » se dit-il encore, « pas une de droite » et son scaphandre qui décolore, qui devient aussi manche et irrésolu que Steeven, quel était l’intérêt à changer de corps, de vie, de dimension. Y’a pas à dire, c’était mieux avant, même un avant jamais advenu. Pour se distraire, Wesley descend de sa tour, faire une promenade en ville, voir comme on vit dans l’empire. […]

lundi, mars 28, 2016

Lettre ouverte aux (politiques) Morgiens/nes

Je suis venu à la politique de manière tout à fait « abracadabrantesque », selon la formule chiraquienne consacrée. Peu après mon réveil, opération des sinus, les vapeurs de la narcose, et une question, via msn, un ami facebookien, à peine une connaissance qui me demandait si j’étais intéressé à entrer au conseil communal morgien ? Je dis oui et, sous les couleurs de « Morges Libre », je suis entré en tant que vient-ensuite au conseil, parmi le groupe de l’ « Entente Morgienne », le bon parti centriste local, 50 bougies soufflées il y a peu, une formation ayant rejoint la mouvance « Vaud Libre », mouvance à laquelle « Morges Libre » appartient … Vous me suivez ? Il y aurait donc sur le territoire morgien deux partis centristes, l’un bien installé et l’autre tout neuf, à peine quelques membres, dont moi recruté via facebook afin de sceller dans les faits par mon entrée au sein du législatif communal l’union de tous les centres en terres morgiennes. Nous voilà rendu là où le récit devient épique, baroque, picaresque, totalement branque. « Morges Libre » avait alors un bouillant président, celui-là même qui me proposa mon entrée en politique, une sorte de touche-à-tout, homme orchestre plutôt sympathique quoique s’adonnant à des stratégies byzantines auxquelles je n’ai toujours rien compris. Dans la foulée, le monsieur me fit prendre la place qu’il occupait au sein du comité de « Vaud Libre », peu après avoir déclenché une brouille avec l’Entente, me mettant ainsi dans une situation inconfortable. Je ne vais pas entrer dans les détails politico-politiciens, je ne peux que vous dire mon embarras croissant car le bonhomme trouva à se brouiller avec Vaud Libre avant de claquer la porte de Morges Libre. Il y eut quelque échange de nom d’oiseau, mon embarras grandissait encore, et me voilà président de Morges Libre, réorienté structure centriste au niveau du district de Morges. Je ne vous dis pas les sourires que mon joli titre de président d’une coquille vide –  le parti est en passe d’être activé pour les élections cantonales de 2017 – suscita chez mes collègues de parti et du Conseil Communal. J’avais nettement l’impression d’être le président installé par une grande puissance à la tête d’une république bananière. Et la presse, évidemment, en rajouta une couche, faisant d’une brouille politique une véritable affaire d’Etat. Sur ces entrefaites arrivent les élections communales, l’Entente Morgienne perd un siège, le mien apparemment, je ne suis pas réélu, manque de visibilité, de réseau, que sais-je. Je suis donc le président d’une coquille vide, sans siège, membre du comité d’un parti centriste aux assemblées duquel je n’arrive pas à participer, pris par le temps. De plus, je fais doublon puisque l’Entente a l’un des ses membres qui représente les intérêts locaux au sein de la fédération de Vaud Libre.

Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai aucun compte à régler. J’ai siégé durant une année parmi une équipe sympathique et très soucieuse du bien public. « Ni de gauche, ni de droite » dit l’Entente et c’est vrai. Il faut voir le respect qui entoure cette formation atypique. Pareil pour Vaud Libre, pas une rancœur à leur encontre à vous livrer, rien, pas même au bouillant ex-président de ma coquille vide. On pourra dire ce que l’on voudra de son comportement, il n’empêche qu’il a un flair politique extrêmement sensible et qu’il avait senti deux ou trois choses. Parallèlement à cela, Cy. décida, lui aussi, de se mêler de la chose politique. Il hésitait, il penchait pour les méchants, les vilains, le petit groupe tout à la droite de la salle du conseil, non, pas les anciens libéraux du groupe PLR, les autres … Si, si, ceux-là même. Il faut dire qu’ils venaient de recruter un excellent candidat à la municipalité, quelqu’un pour qui j’ai respect et sympathie. Et le reste du groupe ne m’est pas antipathique. La couleur politique, dans un exécutif communal, n’est de loin pas aussi tranchée qu’au parlement. A Morges, l’ambiance de travail du conseil est particulièrement cordiale. Les bonnes idées de tout bord rencontrent toujours un large consensus. Il y a bien un léger effet de blocs - je pense au bloc rose (pâle) et au bloc bleu (de même pâle), effet qui se signale par une ou deux demi-lubies sur les votes en séance ; à côté trois autres formations de petites tailles, chacun comptant une dizaine de conseillers, un peu plus ou un peu moins, à savoir les Verts, l’Entente et – roulement de tambour – l’UDC ! les méchants du conseil qui, après observation, n’ont de méchant que l’étiquette. Pour un parti a la réputation xéno- et homophobe, il fait fort. On compte dans ses rangs des Suisses d’origine : américaine, russe, portugaise, italienne et, peut-être française, je ne suis pas sûr de cette dernière nationalité ; la présidente de la section morgienne porte un patronyme portugais, elle a épousé un Portugais. Les femmes représentent 40% des membres du groupe élu. « Last but not least », mon homme est venu compléter pile à temps la liste des candidats et devinez quoi ? Il a été élu ! La section UDC Morges compte certainement le taux le plus élevé d’étrangers et de gay(s) dans les rangs des partis morgiens.

Retour sur les bons moments de la campagne, les marchés du samedi matin, je fis bravement le planton de 10h à 12h30-13h parmi les tentes des cinq formations (plus un indépendant) actives sur l’échiquier morgien. Nous avons tous passé des moments formidables. J’eus ainsi l’occasion de « pratiquer » mes collègues d’une manière plus informelle et de les découvrir taquins, drôles, de bonnes commandes, dévoués quel que soit le parti. Il y avait aussi des « anciens édiles» de Morges et des communes avoisinantes venus soutenir les candidats de leur parti d’élection, au sens propre et figuré. C’est ainsi que j’appris de la bouche d’un député UDC retraité le pourquoi de la disparition des bintjes de nos tables, la précieuse pomme-de-terre à tout faire, la variété s’est épuisée à force d’exploitation. Dans ce coin de Suisse, l’UDC est la nouvelle déclinaison de l’ancien parti des Paysans, Artisans et Indépendants ; des gens à la tête froide, parfois rétifs à ceci ou cela mais jamais vindicatifs. On reste entre « honnêtes gens ». Le plus drôle, durant la campagne des élections communales, un débat organisé avec tous les candidats (treize) à la municipalité de Morges sur le plateau de la télévision locale. Un mot de présentation à propos de chaque candidat, la présidente de la section UDC Morges faisait partie des treize, le journaliste évoque sa franchise de ton et d’opinion, reprend l’un de ses propres termes, « je suis UDC par défaut », lui demande si cette affirmation est vraie ? « Oui » Silence d’une à deux secondes du journaliste décontenancé par … autant de franchise.

Il faut savoir qu’un parti politique, n’importe lequel, a tendance à fonctionner comme une équipe de foot de ligue. Lorsqu’on estime qu’un joueur est de qualité, on essaie de l’obtenir. En politique, ça ne se monnaie pas, pas de manière sonnante et trébuchante, on propose des postes de candidat, une liberté d’actions, de pensées, de paroles, etc. On fait cela pour tout nouveau venu ou tout venu qui n’est pas encore figé dans une trop longue habitude de son parti. Les propositions perdurent si vous êtes un centriste et reviennent métronomiquement si vous vous acquittez correctement et activement des tâches dévolues à tout conseiller lambda (commissions, réunions, rapports, interventions, etc.). Tous les partis, groupes, tendances m’ont fait du pied de manière plus ou moins marquée, me vantant les mérites de leur formation, y compris l’UDC qui présageait sans malignité aucune la diminution du nombre d’élus de l’Entente. « Viens chez nous, il y aura des sièges à repourvoir … » Les urnes ont parlé, dix candidats, onze sièges, celui perdu par l’Entente, et moi dessus.

Je vous laisse relire mon billet « La Veste », dimanche d’élections, les résultats en soirée, l’air satisfait de certains. J’accompagnais Cy., quelques membres de son parti, ils attendaient les résultats à la maison. Peu après la publication des chiffres, un nouvel élu/réélu se tourne vers l’un de nos invités et l’interpelle goguenard quant au bon score de son parti, « Il faudra assurer ! », petit geste du menton, l’air de dire « l’UDC a gagné ces voix par hasard, vous ne serez pas capable de tenir un rôle sérieux au conseil ». J’hésitais encore mais cette simple démonstration de suffisance moralisatrice me décida : j’acceptai ce siège vide.

J’en ai parlé, ici ou là, j’ai eu droit à un charroi de réactions … dogmatiques, assortis de mise en garde. Parmi le florilège des plus débiles je retiens « que vont penser les gens de toi ? », bof, en tant que gay et catholique, j’ai déjà tout entendu ; « tu cautionnes la politique fédérale de l’UDC », non, de toute manière entre la section morgienne de l’UDC et le groupe parlementaire, il y a un monde, quelques galaxies, deux ou trois univers même. Au cas où il y aurait éventuellement interaction, j’expliquerai à Messieurs Maurer et Parmelin mon point de vue sur un certain nombre de sujets. Si l’on part de l’idée qu’un parti transforme ses adhérents, les adhérents ont de même la compétence de transformer le parti. C’est assez peu me connaître que d’imaginer qu’on puisse ainsi me « changer ». Les Vallotton sont des Vallorbiers, des têtes de pioche. Plus sérieusement, j’ai déjà expliqué mes motivations à qui était prêt à les entendre. Après une année de conseil communal, je commence enfin à comprendre le fonctionnement global de la chose, à maîtriser les dossiers en cour, à connaître et reconnaître les différents acteurs politiques et au sein de l’administration communale. Si je raccrochais de suite, ce serait aussi idiot que de quitter la salle de sport après l’échauffement. Je suis un vient-ensuite dans la liste de l’Entente et je pourrais attendre sur le banc de touche une année ou deux, ou trois que l’on me rappelle aux affaires et d’ici là, j’aurai perdu le fil. Plus vraisemblablement, je me serai lassé et aurai laissé tomber. Il faut battre le fer quand il est chaud et tant pis pour ma « réputation politique », je n’ai pas d’ambition particulière dans ce domaine, une législature complète et je passerai la main. Dans l’intervalle, je poursuivrai dans mon action, à savoir « à problème pratique, solution concrète ! » Au conseil, tout le monde se pose les mêmes questions : à quoi ça sert ? combien ça coûte ? Selon les réponses, on dit oui ou non. Le fait que l’UDC soit une petite formation au conseil communal morgien représente un autre critère qui m’a poussé dans ses rangs. Les Verts m’auraient fait la même proposition, j’aurais accepté, d’autant plus que j’apprécie particulièrement le courant décroissant de ce groupe.

Fais-je preuve d’opportunisme politique ? Si consacrer une vingtaine d’heures par mois pour quatre cents francs par an en moyenne au risque de se faire appeler Arthur est une opportunité, alors oui. Les conseillers communaux sont des miliciens, je ne connais pas exactement les motivations de mes petits camarades de jeu, elles ne sont certainement pas très éloignées des miennes. Je suis entré en politique afin de payer mon écot, assumer ma part dans une société qui garantit les libertés fondamentales, paie mon salaire, assure un cadre perfectible mais agréable à ma vie, subventionne parfois et même très souvent la publication de mes romans. A ma mesure, je rembourse en me préoccupant d’histoire de peinture de réverbère et de crottes de chien sur les quais. Je poursuivrai selon mes convictions et l’Ente, et Vaud Libre trouveront toujours un ami politique en ma personne. Cela me rappelle une charmante anecdote citée par le père Joseph, de ma bonne paroisse berlinoise de Sankt Ludwig : un jeune séminariste débarque tout énervé dans le bureau de l’évêque et futur saint François de Sales et lui demande inquiet que peut-il faire pour la paix, la paix confessionnelle, la paix dans le diocèse de Genève d’où les fidèles catholiques ont été chassés, et François de répondre « Commence par fermer doucement la porte ! » Pour conclure, je dois vous avouer que j’aime beaucoup l’idée que mon homme et moi siégions ensemble au conseil, dans les rangs d’un parti, et je me répète, dit « homophobe ». 

dimanche, mars 20, 2016

Rénovation du bâtiment n° 1-3 de la rue Saint Louis, à Morges


Retour sur une rénovation réussie au cœur de Morges. Là où se signale un authentique travail d’architecte, mieux qu’une réhabilitation, une révélation.

Une citadelle ? un cloître ? une maison forte ? Une construction simple, sans artifices, ornement, effets  verre-acier, etc. Le bâtiment des n° 1 et 3 de la rue Saint-Louis, dans sa version réactualisée ne souffre que d’un défaut : il n’a pas de nom. Ce n’est pas un édifice construit ex-nihilo, il est le résultat de la mue adroite et élégante du bâtiment « Bataillard ». Dans sa forme première, ce locatif du centre ville était l’exemple parfait du niveau 0 architectural. Façades jaunasses au crépi, de trop nombreuses petites fenêtres garnies de volets bruns, un immeuble qui n’aurait pas même valu le prix de sa démolition. A force, on ne le voyait plus, il était devenu une verrue sèche – pas même purulente – au coin des rues Charpentier et Saint-Louis. Un truc moche.

Lorsque l’on vit quelque agitation autour de la chose, plus d’un Morgien bénit le bienfaiteur qui prenait à sa charge la démolition de ce manifeste de la médiocrité architecturale : que nenni ! On ne démolissait pas, on rénovait, et avec quel talent ! ARCK Architecture SA, sur une base aussi indidgente, a réussi le tour de force d’une réhabilitation élégante. Le bâtiment a gagné un penthouse, signalé par un bandeau anthracite de la largeur de l’étage. L’existence de la terrasse est révélée par des escaliers métalliques en vis côté square des Charpentiers. Ce dernier étage a la particularité d’avoir été entièrement réalisé en bois. Il jouit de plus d’une plus grande hauteur sous plafond que les étages inférieurs. Côté rue des Charpentiers, il porte un oriel carré ; les fenêtres de ce dernier niveau reprennent le rythme des façades sans pour autant reproduire la disposition disgracieuse des fenêtres d’origine. Les magiciens de chez ARCK auraient peut-être aimé les ordonner différemment mais il eût fallu revoir tout l’aménagement intérieur. Toutefois, afin d’atténuer l’effet « casemate » et tromper l’œil du passant, donner du caractère à une façade qui n’en avait aucun, chaque meurtrière … chaque fenêtre, pardon, a été pourvue d’un volet métallique rouge ! Effet garanti sur la façade blanche.


La présence d’un bâtiment dans le tissu urbain implique bien plus qu’une façade quelconque à tel ou tel numéro d’une rue. Il s’inscrit dans un ensemble, il apporte sa voix à un dialogue renouvelé, promenade urbaine, déambulation. La « citadelle Bataillard » (j’opte pour ce surnom) « dépasse » ici ou là, signale sa présence et enrichit le point de vue par les effets du talent d’ARCK Architecture SA.

lundi, mars 14, 2016

"La part de l'autre" de Eric-Emmanuel Schmitt

Je ne savais pas le bon, le doux et toujours souriant Eric-Emmanuel germanophile ? peut-être plus que moi ! étonnant pour un auteur français, certainement un effet de son ascendance alsacienne. Dans son roman uchronique, La part de l’autre (mi-pochade, mi-travail littéraire),  le bonhomme nous tricote le double récit de Hitler peintre reçu à l’Académie de Beaux-Arts de Vienne et de Hitler, le dictateur classique. Nous suivons les deux protagonistes de 1908 à leurs morts respectives. Le procédé est en théorie intéressant, il l’est de fait pour les jeunes années du Hitler historique et du Hitler peintre. Leurs vies sont si proches, si peu les différencie. Schmitt s’est bien documenté, l’époque est peinte avec de belles couleurs, le détail est truculent, les vicissitudes de l’un comme de l’autre sont drolatiques. J’ai ri et pour de vrai.
Les trois-cents première pages passent comme de rien, on en redemanderait presque. La Première Guerre offre de véritables morceaux de bravoure. Le Hitler historique et son chien, Foxl, qui sera mortellement blessé  par l’ennemi, le Français planqué de l’autre côté de la tranchée ; au petit matin, Hitler se résout à l’achever d’une balle. Pas un mot de faux dans cette tragédie anodine et universelle, fondamentale pour la psyché romancée du futur chancelier Hitler. Je serai incapable de relire ce passage tant il me bouleverse. Le plus obtus des lecteurs ne pourra que vivre la détresse, la douleur et la peine de la situation. Vérité de l’émotion, rigueur syntaxique, saveur originale du verbe. Ça se gâte par la suite ; l’auteur nous assomme de son petit genre artisteux et donne dans la rallonge inutile, de la phrase à caractère littéraire, une sorte d’amoncellement d’images cocasses et boiteuses. C’est un festival … disons plutôt une brocante de métaphores bricolées à contre sens de la phrase-même. On finit sur du grotesque et de la pantalonnade, le Hitler historique devenu sourd suite au dernier attentat, ou percevant déjà l’échec de sa guerre et, illico après, un nouvel et bref épisode de littérature, « Der Untergang », la fin du Führer dans le bunker de la chancellerie.

Notre auteur s’est tout de même fendu d’un justificatif historique, une bafouille tendant à prouver que son invention tient la route, à peu près, plus ou moins. La fin uchronique de Hitler peintre n’est pas pour me déplaire. Berlin est la New York de cette autre possibilité, Babelsberg Hollywood, le premier homme à avoir marché sur la lune est allemand, und so weiter. Deutschland über alles, ce qui, aujourd’hui, hormis les deux ou trois petits riens show-off de la culture populaire dominante, est le cas. Notre doux Eric-Emmanuel va jusqu’à rendre à l’Allemagne les territoires indûment attribués à la Pologne après le Première Guerre mondiale. Y aurait-il de sa part une certaine inimitié envers les Polonais ?! Pas un mot sur les Sudètes. Dans sa rondeur, notre bon écrivain a encore replâtré l’hypothèse que, durant tout le IIIème Reich, les civils allemands n’étaient pas au courant de l’extermination massive des juifs !? Le Hitler dictateur serait devenu par hasard antisémite, suite à la lecture d’une revue pangermaniste … Mouais, voilà une interprétation plutôt olé-olé des événements qui permet au lecteur (français) de faire l’économie de l’antisémitisme crasse de la France d’avant 1945.

Dernier point, une question que vous pourriez vous poser : pourquoi diable me suis-je embarqué dans la lecture des 500 pages de « La part de l’autre » ? Par ouverture d’esprit, pardi, à force de me gausser en classe de l’œuvre de M. Schmitt qui, au demeurant, est un homme charmant et des plus sympathiques en dépit de son succès irritant, œuvre donc que l’on a tenté de faire remonter dans mon estime en me vantant le titre dont il est  question ici. Pari perdu et, du coup, mes élèves du gymnase du soir se retrouvent avec cette lecture au programme ! Il faut aussi qu'ils se frottent à de la littérature populaire.

samedi, mars 05, 2016

Elections communales vaudoises 2016 ou la veste

Plus jamais je ne pourrai relire froidement le récit de l’armistice de 18, signé par un petit matin brumeux, glacial : Erzberger, von Oberndorff, von Winterfeldt, von Grünnel et Vanselow, reçus avec hauteur dans le wagon de l’état-major français, la forêt de Compiègne, reddition sans condition. Ne nous cachons pas la vérité, j’ai pris une veste aux dernières élections communales, et pas sûr qu’elle ne soit bien taillée. Il faisait froid de même, devant l’hôtel de ville. Il a fallu attendre, un verre à la main tout de même, et des résultats d’abord publiés sur le site de l’Etat de Vaud, allez donc consulter la chose sur l’écran d’un smartphone, et pas de classement par partis, un classement par candidats dans l’ordre des résultats. 1, 2, 3, 4, 5, 6 … 10 sièges pour le parti sous la bannière duquel je me suis présenté, il faut chercher parmi des cohortes de socialistes, de libéraux-radicaux, d’écolos … Et il m’en manque un, refaire le tour du listing déroulant, parmi les cris de joies et les trépignations d’élus verts découvrant leur accession au législatif communal. Je ne serai pas des leurs. Je ne suis pas élu. Je me demande si les verts triomphants feront montre d’autant d’allégresse lorsqu’ils seront retenus, otages, d’une commission bout de tuyau avec des commissaires tatillons qui n’en finissent pas d’ergoter sur rien. Je me vois remplacé par des nouveaux venus, des potes de copains de connaissances de candidats (tout parti confondu) , une joyeuse clique que l’on rencontre collée sur toutes les terrasses de la Grand-Rue. Je tiens cette révélation de mon assistant lors du dépouillement, s'esclaffant à plus d'un bulletin, me signalant "Truc, Chose et Machin, et encore Bidule" qu'il croise parmi les habitués de tel ou tel débit de boissons. C’est ici qu’il faut s’avouer que la fréquentation de la messe et du fitness rendent nettement moins populaire que la fréquentation de bistrots de traîne-patins. Désolé, je n’ai pas de réseau de serveuses ou de potes de bitures pour doubler mon nom (et/ou biffer celui des autres; pratique à propos de laquelle j'ai été affranchi il y a peu).

L’électeur a toujours raison et s’il est mauvais, la faute aux politiques ! Mon homme, fraîchement élu au sein d’un parti en vogue, m’explique encore que les Morgiens veulent de nouvelles têtes, ou qu’ils ont voté bidule parce qu’il est beau, ou parce que tout le monde le connaît … Je résume, je n’ai pas été réélu parce que je suis un cageot que l’on ne connaît pas mais que l’on n’a plus envie de voir ?! Un détail m’échappe … Il paraît que c’est un plus, pour un parti, que de renouveler ses troupes, ses élus; et, me dit-on encore, les proches viennent-ensuite finissent toujours par siéger quand les nouveaux-venus jettent l’éponge, rapport aux commissions bout de tuyaux trépidantes, ou quand partent les vieux du parti qui ne se sentent plus chez eux. Dans les deux cas, le signal n’est pas très engageant, cela fait légèrement « roue de secours », ou pauvre à qui l’on fait la charité de ses vêtements vieux ou passés de mode. Il faut encore affronter la tête des candidats qui vous connaissent et qui, après s’être assurés de leur propre réélection, vous saluent avec ce petit quelque chose de particulier que l’on adresse aux faillis ou aux perdants. Jusqu’à l’hypocri... euh, la diplomatie de certains qui hésitent avant de monter dans leur voiture, se ravisent tout de même, s’en tiennent à des propos d’une grande banalité, faisant mine de ne pas connaître les résultats, ne s’étonnent même pas lorsque vous dites que votre parti a perdu un siège et que ce siège était le vôtre. « Dans six mois, une année … », les calendes grecques promises aux viennent-ensuite.

Premier conseil communal d’après élection, le ton est léger, badin, quelques malades diplomatiques, ballottage général à la municipalité, deux ou trois interventions, des rapports expédiés en deux-quatre-sept. Les partants comptent les conseils, les séances, les commissions dans lesquelles ils siègent ; les réélus tirent des plan sur la comète, des alliances à venir, se demandent à quoi ressembleront les nouveaux venus des autres partis … L’électeur a toujours raison, même quand il a tort. Je ne parle pas pour moi, fermez-moi la porte au nez, je rentrerai par la fenêtre, c’est un peu mon rôle de centriste, un véritable 4x4 de la politique. Je pense avant tout à ces conseillers de longue date, investis et désintéressés, sincères et balayés par un vote, parce que « pas assez sexy », pas de réseaux bistrot non plus, pas de titres, pas d’amis influents, pas de profil sexy, selfie avantageux, etc. Balai neuf balaie bien, et le dévouement civique ne vaut alors pas plus qu’une feuille morte.





  

dimanche, février 28, 2016

Retour de Toulouse

"David" par Antonin Macié
Pas facile de trouver quelques jours de libres en pleine campagne communale vaudoise, d’autant plus que je ne suis pas le seul à me présenter devant les électeurs, Cy. a été appelé par un parti de droite. Nous occupons donc le pavé le samedi matin, jour de marché, dans des stands différents. Et pour les relâches, nous sommes partis quatre jours à Toulouse avec ses parents. La ville rose … ocre délavé sous la pluie, la météo n’étant pas radieuse.

Difficile de vraiment « communier » avec les lieux lorsque l’on est en  groupe. A plus de deux, le nombre importe sa propre logique, ses conversations, ses équilibres. Toutefois … parfois … une fenêtre, un moment vide à la table d’un restaurant, une brasserie, quelques mots de la conversation voisine. Toulouse fait indéniablement  partie du réseau des bonnes villes de France, de ces capitales régionales, à la personnalité propre et en constant dialogue avec LA CAPITALE, tantôt jalouse, tantôt prétentieuse, un petit jeu touchant qui laisse Paris de marbre et force ces bonnes villes à s’interroger sans cesse sur leur place dans le monde et dans le cœur de leurs habitants.

Arrivée par un après-midi pluvieux, taxi, gymkhana sur l’autoroute de contournement, appart’hôtel à deux pas de la Halle aux Grains, encombrée de camions de France télévision, « Victoires de la musique classique » oblige. La ville s’offre assez facilement aux visiteurs occasionnels, il suffit de se diriger vers le centre pour tomber sur une référence locale, « Père Léon », un lieu aimé des Toulousains, une majorité de locaux dans la salle, une vaste terrasse chauffée sur laquelle s’arrêtent des fumeurs mi-pressés, le temps d’un express, le temps d’une cigarette assis et à l’abri.

Scène de rue, des punks à chiens qui mendient mine de rien, avec leur bête au poil soigné, des animaux doux et timides, surtout doux, comme leurs maîtres, d’un naturel sympathique, un peu honteux des aboiements de leurs compagnons. La police veille au grain et défile lentement en voiture dans les rues piétonnes. Il pleut toujours. Les agents observent tout de leur véhicule, se contentent de quelques signes à un Rom, plus loin, assis sur un carton, devant une grande enseigne, la sébile tendue sans conviction. Et le Rom de regimber silencieusement par quelques grimaces à l’adresse de la maréchaussée qui insiste d’un froncement de sourcil. Et le Rom de partir en soupirant, son carton pose-fesses sous le bras. Mes punks à chiens avaient déjà filé. Et cet autre Rom, pieds nus, couché, recroquevillé, la tête couverte et mimant maladroitement des tremblements de froids. La pluie avait cessé et la température devait avoisiner les … 12°. Le lendemain, temps dégagé, soleil intermittent, 15°, et mon Rom toujours pieds nus, ou plutôt en lambeaux de chaussettes, toujours dans son rôle d’homme réfrigéré, mimant tant bien que mal le grand froid. Détail piquant, il avait le peton  soigné, propre, propre ! alors qu’il est sensé aller … pieds nus et, de plus, la plante lisse, sans cale, un pied qui saurait certainement attendrir les fétichistes de ce genre d’extrémité.


La foule toulousaine est … urbaine, réceptive à son milieu, bourrue lorsqu’elle est pressée, le plus souvent pleine d’attention. Et lorsque le Toulousain est en service, il est d’une parfaite amabilité (restaurants, musées, magasins) ; il aime son métier et ne fait pas/ne semble pas faire de différence entre le local et le touriste. Pas un tag sur les murs, une ville calme et heureuse … Quoiqu’un nombre non-négligeables d’arcades commerciales étaient fermées, faillies, barrées de vieilles planches, sur la place du Capitole même. Peu de femmes voilées mais, au détour de rues moins fréquentées, de ces jeunes hommes en survêtements de marque, ce genre que l’on prête à … la banlieue. Ils ont l’air d’attendre ou de comploter. Ils n’aiment pas le touriste, ni le passant du reste, pas de geste inconsidéré, pas un mot, juste un regard et cette mine fermée propre à ceux qui se méfient de l’irruption soudaine des forces de l’ordre. Je ne connais rien de la politique locale, de l’étiquette des gouvernants. Il s’agit peut-être d’un calme trompeur … Il faut encore évoquer le grand nombre d’églises historiques, les ravages de la Révolution et de l’affairisme sur celles-ci, deux musées assez bons, l’un public et l’autre privé, quelques belles toiles dans les deux, une salle entière consacrée à Bonnard dans la fondation privée, un David vainqueur de Goliath, héros des plus jeunes et troublant au détour d’un escalier dans le musée public ; l’œuvre est d’un artiste du cru, Antonin Mercié. Voici tout le charme de la province officielle, capable de produire et admirer benoîtement ce qui, objectivement, ressort de l’érotisme le moins avouable.

lundi, février 22, 2016

"La commisération des serpents", extrait

Lie de vin … ou bordeaux, une couleur si ce n’est rare ou précieuse, particulière du moins. Il aime bien prendre un objet courant en point de repère, une breloque de turquoise ou une paire de gants, en l’occurrence, ne pas rouler un regard vide et imbécile autour de lui, fixer calmement l’objet choisi le temps de remettre ses idées en place, de se retrouver. Avant qu’il n’instaure ce petit rituel assez simple, il lui est arrivé des retours … comment dire, mouvementés, voire acrobatiques. Il a aussi pris l’habitude de commencer par se situer : le lieu, le moment, puis les détails plus prosaïques quant à sa personne. Il ne s’inquiète plus de ne pas retrouver de suite son nom, il paraît que c’est normal ; à force de transiter, il a développé ce qu’on appelle une conscience universelle. Le nom et le prénom tiennent du particulier.


« On ne change pas une équipe qui gagne, surtout quand elle perd », dixit un obscur auteur. Cette citation est devenue le motto de Steeve, il aime la retourner dans un sens, dans l’autre, s’en pourlécher installé dans un café chic, aux heures de bureau. Il aime faire un peu la roue, il se rembourse des longues années au cours desquelles il s’est benoîtement laissé marcher dessus par des jobards analphabètes. On lui donne du « Monsieur », on le sert avec empressement et il prend un air extrêmement détaché, hautain, ailleurs. Ça ne fait pas avancer le schmilblick … Qui peut bien encore savoir ce qu’est le schmilblick ? A son dernier retour, non seulement il n’a pas retrouvé son nom avant une bonne heure mais il lui a fallu une heure de plus, se souvenir du chemin à prendre, retourner chez lui. Il est entré au hasard dans un cinéma, regarder n’importe quoi, faire passer le temps, les effets se dissipent complètement au bout de 160 minutes, exactement. Brigitte, sa mère, trouve qu’il a changé, qu’il a le caractère moins facile, qu’il est devenu intraitable, impatient, même s’il fait bien plus « monsieur » à présent. Steeve travaille son rôle, comme un acteur, d’où ses simagrées dans les établissements chicos de la ville. Il se déride toutefois devant l’un des garçons du café N***, un brun, souriant, aimable, toujours agréable et qui semble apprécier sa présence. Ce serveur s’adresse à lui sans affectation, avec naturel et sympathie. Si Steeve était gay, il aimerait draguer un garçon comme lui … mais il n’est pas gay, pire, sans sexe, parce qu’amoureux d’une statue de cire. Il se comprend. Il a pourtant cherché à « évacuer une certaine tension » avec une blonde pigeonnante accostée en boîte, au « Temple » mais il a renoncé au milieu de l’action, pas envie de se répandre pour si peu … et il aurait fallu rester un peu, les affres de la conversation, des banalités, remettre le couvert. Non, trois fois non, et on peut l’appeler à tout moment. Il a tout de même fait l’effort d’un mensonge émouvant.

vendredi, février 12, 2016

"The danish Girl", avec Eddy Redmayne

«Poplerne ved Hobro» 1919, Einar Wgener
L’accroche n’était pas des plus vendeuses, façon curiosité socio-historico-sexuelle : le premier transsexuel de l’histoire … Je conçois, je comprends mais me trouvant très à l’aise dans mon sexe et mon orientation sexuelle… voilà, bof. Je me rappelle du terrible et émouvant « Miss Mona » ou du subtil et féérique « Rose ». Il me faut avouer avoir aimé tous les films que j’aie vus traitant de la transsexualité. « The danish girl », toutefois, a pour lui un contexte, un décor extraordinaire. Il s’agit d’une histoire de peinture, d’une émotion artistique servie par une photographie de grand talent.

Côté fiche technique, la réalisation est signée Tom Hooper (Le discours d’un roi), la distribution repose sur un casting international et tout particulièrement sur les très frêles épaules d’Eddy Redmayne, un jeune prodige qui avait déjà interprété un Stephan Hawking plus vrai que nature. Eddy est the danish girl, si convaincant et si pudique, un jeu fait de sourires las, de tressaillements, d’une voix, d’un geste, le tout si vivant qu’il crève l’écran. Généreux dans la performance, il laisse la part belle à ses partenaires, la Suédoise Alicia Vikander (Ex-machina et Des Agents très spéciaux) son épouse, et l’Allemand Sebastian Koch (  La Vie des autres) le chirurgien qui lui fera changer de sexe.

L’histoire est authentique, elle débute au Danemark, chez un couple de peintres, Einar et Gerda Wegener. La lumière, l’atmosphère, Hooper a travaillé son sujet ; la référence à l’œuvre d’Hammershøi est évidente mais subtile, le petit plaisir d’un amateur de peinture aux spectateurs amateurs de peinture ; certaines scènes reproduisent l’une ou l’autre toile du maître danois. Ce sens artistique exacerbé est du reste le fil rouge de la narration. Einar a du succès avec une œuvre introspective, post expressionniste, baignée de sécessionnisme, un paysage, quasi toujours le même, répété à l’envi, une grève, des arbres dénudés, un ciel. Gerda peine à s’imposer, son œuvre est plus Art Nouveau, une sorte d’Otto Dix féminin et par le mode de traitement, et par les thèmes. Lorsque par jeu – en partie sexuel, voir la scène de la chemise de nuit en soie – Gerda pousse Einar à s’habiller en femme, un bal d’artistes, elle comprend tout de suite, se récrie et tient son sujet à la fois. Elle accouche de Lili, le double féminin de son époux ; elle lui donne une identité, une existence à travers les portraits qu’elle fait d’elle, des toiles qui remportent le succès.

Le reste du récit est fait de lumière, d’amour, de souffrance et d’espoir … surtout de souffrance. Comment comprendre le transsexualisme alors que, dans l’entre-deux guerres, on croyait encore à l’hystérie féminine ! De spécialistes en spécialistes, Einar reçoit les diagnostiques les plus fantasques, se soumet à des traitements improbables alors que grandit Lili en lui. Gerda sent s’éloigner son époux mais ne peut s’empêcher de peindre jusqu’à l’écœurement cette Lili qui lui vole son mari. Après un fastueux épisode parisien, Lili rencontrera le Dr. Warnecros, praticien à Dresde, chirurgien expérimental du changement de sexe. Il sera celui qui permettra à Einar de … mourir dans le corps d’une femme !

« The danish Girl » nous raconte une époque, quand le XIXème siècle durait encore dans le confort de la modernité du XXème. Il faudrait encore parler des costumes, de la bande son, des seconds rôles, des décors … Une réussite délicate, tout à l’image du traitement du sujet.

samedi, janvier 30, 2016

"Les deux vies de Louis Moray" de Stéphane Bovon

Après avoir exploré, défriché, déchiffré le monde d’après la « montée », Stéphane Bovon, en scénariste professionnel, a décidé de nous offrir un « prequel » à cette catastrophe fondatrice – l’élévation des eaux jusqu’à l’altitude symbolique de mille mètres. Le troisième tome de la suite « Gérimont » nous raconte la jeunesse du roi Louis Moray à Vevey, de nos jours. La fresque est truculente et notre bon Stéphane en profite pour nous narrer sa ville, les lieux emblématiques et, surtout, son microcosme politique. Laurent Ballif, Fabienne Despot, Jérôme Christen, Oskar Freysinger en guest star, et quelques autres encore, la peinture est enlevée, on rit à chaque ligne, pas même d’un rire méchant. Bovon est une crème d’homme, jamais véreux, méchant, énervé : un ami solide, ouvert, curieux, capable de toujours voir le meilleur chez autrui … Vous avez affaire à mon double inversé ! Là où je vous aurais glissé quelques vacheries à mots couverts, du sous-entendu en mine de rien vitriolé, notre auteur nous offre un regard bonhomme et perspicace.

Vous l’aurez compris, cette saga Gérimont est le prétexte idéal afin de se regarder avec distance, quasi la vérité d’un conte et Stéphane Bovon – dessinateur, auteur, éditeur, graphiste, performeur, comédien, dj, etc. – nous fait partager sa … sagesse. Sincèrement, et sans ironie, Stéphane est un puits (sans fond) de culture au service d’une philanthropie à la portée de tous. Il dévide une conception créative et sagace de l’histoire et du système politique helvétiques. Cela tombe si juste que je n’ai quasi rien à y redire, trois fois riens, du détail, une absence un peu marquée de l’Eglise catholique dans la réalité religieuse vaudoise contemporaine et le fait de désigner les Habsbourgs et leurs troupes « d’Autrichiens ». Habsbourg, le berceau de la famille impériale, est un village … argovien et, à l’époque du soulèvement d’Uri, Schwyz et bidule, la région avait les Habsbourgs, une famille du cru donc, pour seigneur. On ne parlait même pas encore d’empire autrichien mais de « Saint Empire romain germanique ». Du détail.


Le premier tome était un choc, le second permettait au lecteur de « creuser le sillon » ; il fallait marquer les esprits avec le troisième, le meilleur des trois à mon avis, un texte que vous pouvez lire indépendamment de ses deux prédécesseurs : la satire politique se suffit à elle-même. Il est du reste étonnant que l’on n’ait pas fait plus d’échos aux « Deux vies de Louis Moray » en cette année électorale !? Une municipale de Vevey m’en faisait la remarque, me confiant encore qu’elle avait tant ri. Bovon affecte un style « décontracté », un joli travail de discours direct-indirect libre et le reste dans une écriture fluide aux effets certains et discrets. Le texte est plaisamment référencé, bandes-dessinées, pop-rock, peinture, surtout peinture, tout l’éclectisme de l’auteur. C’est ici que l’on rappelle la présence d’une toile de Picasso première période au musée Jenisch, un bassin dans le cloître de la cathédrale de Barcelone. Le roman se termine sur cette toile du reste, et quelques mystères. Bovon a mené une intrigue façon « Lost », scénario sophistiqué et lyrique sur le ton d’Achille Talon. Une lecture nécessaire.

mardi, janvier 19, 2016

"Des Geôles" de Jean-Yves Dubath


Voici le roman subversif de 2015, loin devant les gribouillis de littérateurs agités, imbibés ou non, sous influence ou non, portés sur le sexe ou juste vantards : aucun d’eux n’arrivent à la cheville de Dubath avec son « Des Geôles ». La presse est quelque peu passée à côté, les libraires un rien moins et comment atteindre son lectorat lorsqu’on n’est pas invité à faire la roue sur des plateaux de télé locale, d’autant plus lorsque l’auteur jouit d’une syntaxe exigeante et use d’un riche vocabulaire.

Il est nécessaire de goûter le verbe walsérien de notre homme, sa sensibilité à fleur de plume, cette prise de risque maximale qui consiste à se livrer, sans faux semblant, à ses lecteurs, à travers des sortes de didascalies à l’intrigue. Il y a le Dr. Raoul Aeschlimann, le criminel Albert Wasser, Mlle Rietberg, assistante sociale à la prison de S. et Mlle Juliette, une perruche, compagne du détenu – à perpète’ – Wasser. On se trouve dans le huis clos d’une prison, du milieu carcéral, du carcan social, des Grisons. Le Dr. Aeschlimann tient de l’antihéros social comme aimait les décrire Robert Walser. Le bon Raoul est, soit, médecin, longue carrière, mais sans la blouse blanche du chercheur ou du chef de clinique arrivé. On pressent que la pratique personnelle de son art l’a mené à exercer en prison. Le bon Dr. se met en marge, volontairement, par dégoût modéré du système, de ses complaisances : le cœur d’un juste, d’un pur bat dans sa poitrine.

Dubath nous laisse entrapercevoir les raisons de l’incarcération de Wasser, crime sadique à caractère sexuel, du pain béni pour les psypsys à taulards, les sociologues, les je-ne-sais-trop-quoi-o-logues, du joli monde qui exerce avec assurance et de confortables salaires. Et si le patient leur échappe : bourrez-le de calmants.  Et on passe au suivant. Et dans la bonne humeur. Toute l’horreur du gentil système nous est montrée, démontrée, cette horreur est juchée sur des hauts talons qui claquent, Mlle Rietberg, la cruche de service, avec cette bonne parole réconfortante à la bouche, le goût de la soumission helvétique, la grandeur nationale : se faire nabot face à la montagne.

Le texte réserve quelques voltes-faces spectaculaires, du grand art ! Le bonheur des petits riens, l’expérience de l’auteur, sa belle personnalité, son bon sens et son esprit critique. Surtout son esprit critique, rien de frontal, grossier, téléphoné … du gentiment corrosif.