jeudi, mai 29, 2014

Mon Livre sur les quais


Embouchure de la Morges, parc de l'Indépendance
Après le billet plein de couleurs d’André Ouerdnik, je n’aurais plus grand-chose à ajouter à la peinture si vivante de ces belles journées. Elles gardent pour moi les reflets d’un tableau familier et inédit. Mes lecteurs savent que je suis … Morgien, que je l’ai été jusqu’à passé vingt-cinq ans. Dans mes autofictions de jeunesse, je n’ai pas été tendre avec ma ville natale, lorsque, par exemple, dans « Appel d’Air »,  je l’affublais du sobriquet ironique de « New Versailles ». A l’époque, Morges semblait être sortie d’un scénario de Chabrol, avec ses vieilles élites finissantes, son industrie fleurissante, ses rues populaires aux façades affaissées, comme un air d’avant-guerre. J’habitais dans le logement familial, là où vit encore ma mère, avenue de la Vogéaz, un vilain préfabriqué flanqué d’un toit pyramidal ridicule, comme un chapeau trop petit sur une trop grosse tête plate. J’ai quitté Morges pour Lausanne, pour ce qu’elle était alors …

Mai 2013, avec Cyril, nous avons emménagé rue Louis de Savoie ; un étrange tricotage de déconvenues locatives et de hasards nous y a menés. Cela avait commencé par un songe, dont je me suis éveillé plein de confiance et de joie. Fin janvier, j’avais rêvé de cet étrange appartement dans lequel on entrait sous les combles, fait de trois ou quatre niveaux, d’une vue sur le lac et d’un sentiment de paix profonde, le bateau revenu au port. Description faite à Cyril, il me montre une annonce immobilière sur internet (la recherche d’appartements représente son sport favori). Effectivement, l’attique photographié sous des angles torturés pouvait ressembler à ce que j’avais vu en rêve. Après quelques atermoiements et autres hésitations, quelques délais et retard, une proposition de date d’entrée de bail quasi indécente, au 15 mai je suis redevenu Morgien. J’en étais parti pauvre, inquiet et amer ; j’y suis revenu accompagné et apaisé, et même reconnu pour mon travail d’auteur, l’invitation au Livre sur les quais.

Il faisait beau ces journées de septembre, il faisait doux sur les quais, juste sous mes fenêtres. J’ai pu mettre un visage sur la personne de plus de l’un de mes lecteurs. Et il y avait André, Olivier et Pierre ; il y avait Stéphane, Pierre-Yves et un autre Pierre ; il y avait Nuria aussi (nous avons grandi dans le même quartier). Il y avait la littérature, une plaisante indolence et le sentiment d’avoir retrouvé … ce dont je rêvais à quinze ans, quand je travaillais à quelque roman perdu face au lac, assis sur un banc, près du bassin d’Hercule, à l’entrée du Parc de l’Indépendance.

dimanche, mai 25, 2014

"Confession d'un repenti"

L’insatiable Lador nous confesse sa boulimie, sa voracité dans son dernier opus, « Confession d’un repenti », sorte de vaste inventaire d’un menu perpétuel et gargantuesque. Tout serait dit, entre deux mille-feuilles, un baba et autre cochonnerie sucrée. Je ne suis pas très dessert, pas très petite pièce chichiteuse à la mousse de je ne sais trop quoi vendu quasi le prix d’un plat du jour. Et l’ascétique Pierre-Yves se dévoile en avale-royaume, gobant (berk, berk, berk) des saladiers de … glace (j’ai aussi horreur de la glace), sans parler de quelque frometon baveux (je ne suis non plus pas très fromage qui fouette) qu’il a englouti auparavant et, sommet de l’horreur, il bâfre encore de la bonbonnaille (là, il faut que je prenne un motilium). Il faut vraiment que la confession fût puissante, talentueuse et brillante pour que je parvinsse à lire jusqu’à la dernière ligne.

Lador a-t-il forcé le trait ? Peut-être, comme souvent dans l’autofiction, et la bonne. L’auteur est contraint de prendre la pose et d’une manière stéréotypée. Quel âge a-t-il ? Celui de ses artères ! Il est donc encore dans la fleur de l’âge. Il estime toutefois être sorti de l’âge des excès. Et il les confesse tous ! Il les survole dans un catalogue exhaustif et pointu. Il a décidé d’être discret quant au sexe. Pierre-Yves Rabelais, Gargantua Lador, en parfait gentleman, aime trop les femmes pour les compter parmi les plats se succédant à sa table infinie. La sensualité n’appartient pas au registre boulimique, métaphore d’un monde contemporain auquel l’auteur a souscrit avant de le confesser. Il est des domaines dans lesquels PYL ne s’est pas laissé séduire par la tarentelle effrénée du temps comme il va. L’époque, du reste, ne jouit plus ! elle consomme, bâfre, s’empâte et finit par se faire vomir, anorexie. Entre le souci de son image, les soldes, le flot de l’information et la nécessité de savoir ce qu’il faut penser, l’époque n’a plus le temps de faire l’amour, et elle n’est pas celle que nous croyons.


« Confession d’un repenti » ne tient pas du regard rétrospectif jeté par un vieux sage désabusé sur la déroute des temps, du genre « avant c’était mieux ». Lador se contente de glisser un « avant c’était meilleur » et de s’interroger sur la production de masse et sur les effets de l’âge aussi. Il n’a pas vu son temps passer, il le mesure à ses capacités digestives. Touchant, précieux, écœurant, le livre nous raconte, mieux que Ramuz et Chessex ne l’ont jamais fait. Par « nous », j’entends les Vaudois et les Romands par extension. Lador est toujours dans la course sans n’avoir rien sacrifié aux modes. Il réalise l’équilibre subtil entre mémoire et expérience contemporaine. Lador mange un carac, explique ce qui l’a mené à le manger et évoque bien soixante ans de souvenir de carac. 

vendredi, mai 16, 2014

"Pas son Genre" - le film

Émilie Dequenne et Loïc Corbery, scène de "Pas son Genre"
Un intellectuel parisien, philosophe, auteur et enseignant, nommé pour une année dans un lycée de Arras : un véritable exil pour Clément qui ne se sent vivre que dans la capitale. C’est un homme mesuré, plein de doutes et de la froideur clinique qu’impose sa discipline, une distance scientifique entre soi et le monde. Dans le désert intellectuel que représente pour lui la province, il va faire une rencontre, inattendue, hors de tout schéma, Jennifer, coiffeuse dans un salon du centre-ville. Confrontation entre deux mondes. Tout serait dit et pourtant !

Lucas Belvaux n’a pas réalisé son film - tiré d'un roman éponyme de Philippe Vilain sur le modèle d’un catalogue de clichés, d’une confrontation Paris-province, intello-prolo, esprit libre-conformisme matrimonial. Il nous raconte un conte moderne, une patte très post-Nouvelle Vague et de beaux acteurs pour porter le récit. Émilie Dequenne campe une Jennifer, mère divorcée pleine de ressources, de vitalité et de bon sens. Elle crève littéralement l’écran ; sa joie innocente déborde et inonde le public jusqu’à un terrible regard, à croire qu’elle a appris durant les quelques mois de sa relation la distance scientifique de son amant. Il y a ses mots tendres et maladroits, sa sincérité, ses larmes et toute la peine que l’on craint de lui voir advenir. Loïc Corbery fait un beau salaud, ou presque, son personnage de Clément est toujours sur le fil, plein de suffisance ou d’une forme de retenue, impossible à dire chez cet homme qui vit à travers son œuvre et des vérités philosophiques fondamentales.

Jamais un mot, donc, à peine un regard, un étonnement quasi perpétuel et devant l’impétuosité de cette femme et face à son propre émerveillement. Clément s’interdit de juger, toutefois son éducation, son comportement social le trahissent. Scène de restaurant, le meilleur d’Arras, Jennifer a « mis le paquet », et laisse d’épaisses traces de rouge à lèvres sur son verre, sa serviette, la main de Clément qu’elle embrasse d’une manière un peu mièvre et théâtrale. Jennifer est comme ça, elle se donne tout entière et tout en confiance. Elle est heureuse et témoigne de ce bonheur.

Trois fois rien, un incident ridicule, et ils avaient déjà traversé une crise, trois fois riens mais suffisamment pour que Jennifer comprenne … Ce film me parle, parle de l’incongruité de l’amour, au-delà de toute logique intellectuelle, au-delà de la logique intellectualisante des gens de lettres. Travailler de la plume et du « chapeau » n’exonère pas du viscéral ; l’auteur y sacrifie pour son hygiène, son orgueil, son bon plaisir, le frisson de la passion, son écologie mentale. Il assume la chose comme une mare, un biotope un peu vaseux qu’il entretient au fond du jardin, près des dépendances, loin de sa vie officielle. Les amours ancillaires n’en restent pas moins … l’amour et Clément l’apprendra.

vendredi, mai 09, 2014

Marsden Hartley : 1913-1915, un artiste américain à Berlin

Berlin Ante War, 1914, Marsden Hartley
La Neue Nationalgalerie présente jusqu’au 29 juin prochain une courte rétrospective de l’artiste américain Marsden Hartley, plus d’une trentaine de toiles de sa période allemande. L’artiste connut un parcours peu commun. Né en 1877 de parents ouvriers du textile, Marsden est le cadet de neuf enfants. Il grandit dans le Maine. Orphelin de mère à huit ans, il fut en partie élevé par l’une de ses sœurs après le remariage de son père à Cleveland. Marsden rejoignit son père et sa belle-mère en 1893 après avoir quitté l’école et travaillé dans une fabrique de chaussures. A Cleveland, il occupa une place de « pommeau » dans un bureau et prit des cours de dessin hebdomadaires. En 1898, il reçut une bourse et commença des études à la Cleveland School of Art. Dès lors, son talent ne fit que s’affirmer, la reconnaissance publique allant de pair avec l’obtention de nouvelles bourses

New York, Alfred Steglitz, Paris, Gertrude Stein, Berlin ! ou comment par le hasard de lieux et de rencontres un jeune homme américain tomba littéralement amoureux à et de la ville. Nous sommes en 1913. Il y a le bel officier prussien Carl von Freyburg ; Marsden le connut à Paris et le retrouva « dans son jus ». Il faut imaginer cette Berlin brillante, cosmopolite, étonnamment tolérante, comme tout le reste du pays, chose paradoxale depuis l’étranger, du fait de l’image militariste qui colle aujourd’hui encore à l’Empire allemand ! Mais que la vie est agréable entre la promenade au parc, le long des grands boulevards commerçants, sur l’une ou l’autre ligne du métro aérien, dans les nombreux cafés de la Potsdamer Platz. Marsden ne témoigne pas d’une germanophilie de carton-pâte mais développe une véritable mystique pour ce pays, ce peuple, cette culture dont il intègre les codes qu’il va rendre à travers ses compositions artistiques. Il avait déjà été frotté de germanité aux Etats-Unis où les immigrants allemands animaient la vie culturelle de la côte Est. Marsden appréciait déjà avant son périple européen tous les artistes de la Sécession.

Le déclenchement de la guerre ne fit pas fuir notre homme. Pas tout de suite. De plus, l’officier Carl von Freyburg, dont il était amoureux, perdit la vie au combat le 7 octobre 1914 près d’Arras. Marsden se mit alors à peindre des motifs militaires. Ni le décès de son père  fin 1914 aussi, ni celui de sa belle-mère en mai 1915 ne parvinrent à le rappeler sur le Nouveau Continent. Il était pourtant très attaché à cette femme ; il prit même pour prénom son nom de jeune fille. Hartley se prénommait Edmund et non Marsden. Fin 1915, il finit par rentrer aux Etats-Unis. Il retourna à Berlin dès 1921 et séjourna encore à de très nombreuses reprises en Allemagne, jusqu’à son décès en 1943.

La patte de Hartley, dans ses œuvres allemandes, est singulière et remarquable. Il développe un langage schématique, à la limite du naïf, dans une palette primaire. Il se tient de même à la limite du non-figuratif et de l’expressionisme, le tout relevé par quelques motifs amérindiens. Il confronte et rapproche ainsi des univers distant de milliers d’année lumière dans une vision personnelle et syncrétique. Le plus étonnant provient d’une sorte de « cousinage » sauvage entre l’œuvre de Hartley et celle … de la vaudoise Aloïse Corbaz, patiente psychiatrique reconnue de son vivant pour sa pratique de l’Art Brut. Aloïse vécut à Berlin de 1911 jusqu’à la veille de la première guerre mondiale. Elle travaillait à la cour, en tant que bonne d’enfants du chapelain de l’empereur. Elle sera placée en institution psychiatrique quelques années après son retour d’Allemagne du fait d’un comportement parfois inadapté mais, surtout, de ses convictions pacifistes qu’elle clamait en public, et de son amour pour Guillaume II. Marsden et Aloïse partagent le même goût pour les couleurs primaires et la même germanophilie, le même enthousiasme pour cette vaste Allemagne moderne et cultivée. Peut-être Aloïse eut-elle l’occasion de voir des œuvres de Marsden ? Hypothèse peu probable. De par sa fonction, Aloïse ne fréquentait pas les milieux artistiques et sortait rarement seule à Berlin. Les concordances demeurent. Sont-elles le résultat de l’atmosphère allemande de cette époque ?

Un "cahier" d'Aloïse Corbaz
Marsden et Aloïse témoignent avant tout de leur empathie pour un pays réglementairement haïssable depuis août 1914. Les soldats allemands tombés au front ne méritent pas moins les pleurs des leurs que les soldats britanniques, russes ou français. L’Allemagne n’a pas moins été « embrigadée » dans l’improbable équipée de la guerre que la France, l’Autriche-Hongrie ou la Turquie. Marsden et Aloïse furent des spectateurs neutres dont l’affection pour l’Allemagne n’était pas troublée par les vapeurs narcotiques du chauvinisme.


lundi, mai 05, 2014

"Le dernier des Weynfeldt" de Martin Sute

Femme devant une salamandre, Félix Vallotton, 1900
Fringe, le goût du mystère, la voie vers d’autres possibilités et un chouia de physique quantique ? Les Yeux jaunes des Crocodiles  ou le genre légèrement post-mauriacien de Catherine Pancol – le film éponyme est projeté en ce moment dans les salles romandes ? Excellents sujets dont je vous entretiendrai bientôt mais un troisième les surpasse, Le dernier des Weynfeldt de Thomas Suter.
Les circonstances de la rencontre sont idéales : j’ai acheté ce texte d’occasion, lors de mon dernier séjour berlinois, dans l’une de mes librairies favorites, la Bücherhalle sur la Hauptstrasse, avec son petit rayon de littérature française et en français. Le livre m’a interpellé par sa couverture, La Salamandre, Félix Vallotton, une femme nue de dos devant une … salamandre, l’un de ces poêles mi-bricolos mi-modernistes que l’on encastrait dans les cheminées au début du XXème.
Le roman s’ouvre par une scène dramatique, une action au débotté, une femme tente de se suicider en se jetant par la fenêtre, le balcon, un appartement cossu. Bref flashback, scène suivante, très urbaine, feutrée, chic, un bar, un homme, son ennui et sa rencontre avec une aventurière occasionnelle en fin de carrière. L’homme est courtier en art ; il travaille pour s’occuper auprès d’une très grande maison de vente. Il fait partie de cette caste vénérable des millionnaires discrets, bien nés, encore mieux élevés. L’intrigue, les aléas de la vie des personnages, la finalité du texte importent peu. Martin Suter raconte discrètement sa ville, un certain milieu, typiquement zurichois. Le lecteur est introduit aux us et coutumes d’une race en voie de disparition : éducation, pondération, culture, sobriété, constance. Suter soupèse le poids du temps, étudie la viscosité de son écoulement, fait montre d’un petit genre post-mannien.
Il y aura bien quelques rebondissements, un vague retournement, rien de très théâtral, juste ce qu’il faut pour déguiser un manifeste en roman de gare de qualité supérieure. Zürich tient le premier rôle, tout en retenue ; les différents personnages l’animent d’une vie aimable, un peu surannée, douce-amère à la façon d’un cocktail exclusif. Dans ce roman, les pauvres vont au restaurant ou partent à Majorque, prévoient de passer quelques mois aux îles Marquise. On escroque, on trompe, on méprise, on tire de la coke mais toujours d’une manière très civile, très policée. Jamais d’éclats, ou l’on prend ça pour un dérangement passager, un coup de sang vite oublié.
Suter raconte cette ville ou le triomphe de la fausse simplicité mâtinée d’une assurance bonhomme devant les contradictions de la vie. J’y retrouve la Zürich dont je me suis discrètement épris à vingt ans. Ce ne sont pas les mêmes points de chute mais j’y reconnais ce que j’ai pu vivre chez Sprüngli, Teuscher, à l’Odéon, au Karl der Grosse, au Café Schober, au Jardin Chinois, au Museum Bellerive, et en d’autres lieux plus ou moins publics. J’y reconnais les prémices de ma germanophilie.

dimanche, avril 27, 2014

"Metropolis", la bd uchronique

Alors que 2014 marque le centenaire de la déclaration de la « grande guerre », « Métropolis », une BD uchronique imagine un monde dans lequel le premier conflit mondial n’aurait jamais eu lieu. La France et l’Allemagne se serait réconciliée après la victoire allemande de 1870. Quels enjeux se cachent derrière une telle fiction ?

1935, Metropolis, l’Interland, un pays né après la guerre franco-prussienne, un conflit qui, dans l’histoire, a vu s’affirmer l’incontestable importance de l’Allemagne. Cet affrontement va nourrir, dans le même temps, un sentiment anti-allemand tenace chez les perdants. Ce sentiment poussera diplomatiquement la France dans les bras de la « perfide Albion » mais c’est une autre histoire. Revenons à Métropolis, capitale Art Déco construite de toute pièce, cœur d’un pays imaginaire, fondé dans un esprit de réconciliation entre les anciens belligérants, un empire total, central, placé sous la sainte protection du grand Charles. Non pas de Gaulle mais le « magnus », Karl der Grosse, Charlemagne, rénovateur de l’Empire d’Occident. Si réconciliation en 1870, donc pas de guerre de 14-18, ni de 39-45, et pas d’hégémonie anglo-américaine ! Un champ de possibles s’ouvre à nous. Metropolis porte la bannière du progrès au sommet de ses gratte-ciels. Elle ressemble à une New York idéale hybridée avec l’œuvre de Fritz Lang, référence en clair-obscur appuyée à son chef-d’œuvre cinématographique homonyme car tout n’est pas rose au royaume de la concorde.
Herr Dr Freud et Winston Churchill à la sauce Fritz Lang
Cet opus initial – l’éditeur nous annonce une suite, quatre tomes en tout, le second pour juin de cette année – se lit comme une cavalcade à travers une enfilade de salons, portes à double battant que l’on enfonce plus que l’on ouvre, dans une sorte de course irréelle au bord de l’hystérie. Tout à trac, Serge Lehman, le brillant et torturé scénariste, nous jette questions sur questions, possibilités uchroniques sur probabilités historiques, sans parler du multi-référencement à l’œuvre de Fritz Lang, et pour faire bonne mesure quelques grandes figures de la Belle Epoque. On en redemande avec un sentiment de vertige. Churchill devisant quant à la mauvaise direction de la politique européenne dans un bar feutré, Herr Doktor Freud tenant clinique en périphérie et un jeune premier, l’inspecteur Gabriel Faune, le tout dans un style roman graphique tendance dessin réaliste de la main de Stéphane de Caneva, couleur de Dimitris Martinos. Ceux qui ne seraient pas tombés sous le charme argueront que l’intrigue est tricotée d’une maille trop lâche, que le récit part dans tous les sens et se dilue sans avoir de véritable point de départ. « Métropolis », tome 1, témoigne avant tout de la nouvelle germanophilie française, un sentiment qui s’est insensiblement glissé dans les esprits et dont témoignent quelques paroles dans la langue de Goethe au détour de publicités télévisées, l’admiration inconditionnelle pour l’économie d’Outre-Rhin et une sympathie marquée pour Berlin. Entre les lignes, il nous est même suggéré que la France, du fait de ses vertus républicaines, aurait su guérir l’Allemagne de son pangermanisme expansionniste. Cette petite centaine de pages donne un corps à l’amitié franco-allemande et marque peut-être un changement de paradigme dans l’inconscient politique collectif.
Deutschland, je t’aime, je te hais
Petit cours d’histoire(s) allemande(s) accéléré. Les rapports entre les nations européennes et l’Allemagne sont confuses. Avant d’être, dès 1871, un pays organisé et centralisé, l’empire allemand n’est qu’une nébuleuse d’Etats sous la tutelle de la Prusse. L’identité nationale allemande émerge en réponse aux agressions de la France de Bonaparte. Dès 1815, sous l’influence entre autres de Mme de Staël, on découvre un pays en devenir, on chante la sensibilité de son peuple, la richesse de sa culture, sa littérature, ses philosophes, sa bonne chair ; bref une authentique carte postale. Et l’Allemagne reste une mosaïque complexe faite de l’inévitable Prusse, de villes indépendantes, de petits royaumes, de gros duchés, le tout rassemblé dans une Confédération Germanique présidée par l’empire autrichien. Le grand voisin s’appelait encore, jusqu’à l’avènement de Napoléon, « Saint-Empire romain germanique ». Après le passage du petit Corse dans son histoire, il a rétrogradé au titre de simple « Empire autrichien » puis « Empire austro-hongrois ». Cette Autriche-là n’est pas qu’un Etat allemand, elle fédère des peuples très divers : Slovènes, Hongrois, Tchèques, Slovaques, Polonais, Ukrainiens, Serbo-Croates, Roumains, Italiens. Il s’agit du résultat de près de six cents ans d’expansion et de fédération autour de la personne de l’empereur. L’Autriche-Hongrie fonctionnait comme une sorte d’Europe Unie avant l’heure, gérée dans un esprit conservateur mais ne cherchant pas, paradoxalement, à imposer une norme culturelle à l’ensemble. L’Autriche-Hongrie était un Etat agraire, avec quelques zones de forte industrialisation. Comparativement, les Etats allemands, contrée industrielle de la première heure, jouissaient déjà d’une économie bien plus homogène. Dès 1834, une poignée de ces États se lient avec la Prusse par un accord de libre circulation de biens et de services (Zollverein). Petit à petit, tous les États allemands vont adhérer à cet accord et ce, jusqu’en 1866, année au cours de laquelle la Prusse va rejeter la « suzeraineté » – même symbolique – de l’Autriche par une courte guerre de quelques semaines. L’Autriche et ses alliés perdent, la Confédération germanique est dissoute, est proclamée la Confédération d’Allemagne du Nord. Un biais diplomatique permet aux alliés catholiques allemands de l’Autriche de ne pas être exclus de ce nouvel ensemble. Le roi de Prusse préside cette confédération gérée par un parlement bicaméral, une chambre haute qui représente chacun des Etats (Bundesrat), et une chambre basse élue par le peuple (Reichstag) mais sans pouvoir très étendu. Le roi désigne aussi le chancelier qui est le véritable maître du pays. Suite à la guerre franco-prussienne de 1870, Bismarck, le chancelier, sauta sur le prétexte pour unifier définitivement l’Allemagne et forcer le roi de Prusse Guillaume Ier à accepter la dignité impériale. Dans l’imagerie et l’imaginaire populaires, la personne du souverain allemand sera associée au souvenir de Charlemagne, fondateur d’origine germanique du nouvel empire d’Occident, successeur des Césars (d’où le terme allemand de Kaiser pour empereur), nouveau défenseur de la civilisation européenne. Dès lors, ce vaste empire développé, vainqueur de l’invincible France, riche d’une nombreuse population, de grandes ressources naturelles et d’un haut niveau technique ne fut plus regardé comme une gentille terra incognita peuplée par de bons sauvages cultivés, où faire de bucoliques balades philosophiques ; l’Allemagne était devenue l’Allemagne, un redoutable concurrent dans la maîtrise des mers et le partage du monde.
Nouvelle culture historique
On fit tout de même bonne figure à la dernière puissance venue, on se poussa un peu, on conclut quelques mariages royaux, mêlant entre autres le sang allemand au sang britannique. Il est toutefois amusant de relever que Victoria, tout comme son prédécesseur sur le trône du Royaume-Uni, était de la maison de Hanovre. On se congratula parmi, se jalousa à savoir qui avait le plus gros yacht royal, les uniformes les plus rutilants, la cavalerie la plus nombreuses, le plus d’artillerie lourde, etc., etc. Jusqu’à ce que, enfin, on trouve le prétexte à mener une bonne guerre … antiallemande. Tout le monde connaît le déroulement du récit officiel, les méchants empires centraux défaits, et la victoire des gentils et de la démocratie, et rebelote vingt ans plus tard, et les méchants sont vraiment bien les méchants que l’on croyait, et l’Allemagne se reprend la pâtée. De Gaulle, qui en plus d’un sens politique aigu, jouit d’un sens inné de l’histoire, ne va pas tarder à tendre la main à l’Allemagne honnie, abattue, occupée mais étonnamment toujours aussi puissante économiquement. Vingt ans après le 8 mai 45, le passé c’est du passé ; quarante ans après, c’est le moment de témoigner et d’initier un vaste examen de conscience ; près de soixante-dix ans plus tard, les témoins directs étant quasi tous morts, la Seconde Guerre mondiale est entrée dans l’histoire. Que cela signifie-t-il ? Que les chercheurs, les historiens du dimanche et le citoyen lambda, tout le monde a le droit à l’interprétation sur la base de données froides, désamorcées, sur l’analyse d’épisodes et d’événements largement documentés d’où il ressort un sentiment de flou entre le bien et le mal, un rééquilibrage du partage des responsabilités. La second conflit mondiale apparaît non plus comme une conséquence d’un après 1918 mal géré mais comme un sur-événement mal maîtrisé, ou comme un contre-feu hors de contrôle. Le problème s’est noué en 14 ; la lutte contre le nazisme, le rouleau compresseur stalinien, la guerre froide et la financiarisation de l’économie n’ont fait que nous distraire dans la résolution du susmentionné problème. Metropolis, d’un coup de baguette magique et uchronique, propose une résolution théorique, presque une feuille de route pour la suite de la construction européenne, à savoir l’abandon des États-Nations au profit d’un ensemble plus vaste sans domination culturelle centrale. Cela prend des airs de … Saint Empire romain germanique revisité.

lundi, avril 21, 2014

Chronique familiale


La ferme Vallotton, à Valdosta, Georigie
Un parent américain était de passage en Suisse romande durant la semaine sainte. Ce « cousin », un Vallotton des Etats-Unis, m’a annoncé son arrivée via un réseau social. Malheureusement, j’étais à Berlin dès l’avant-veille de son atterrissage. Tout au long de cette semaine, de messages en messages, j’ai suivi ses péripéties et me suis reconnecté avec certains de mes parents vaudois perdus de vue. J’ai de plus conseillé à Jerry, mon « cousin » d’Outre-Atlantique, la visite de Vallorbe, notre berceau familial. Jerry est à la recherche de « the right line », à savoir la branche suisse dont il est issu. C’est ici que l’histoire prend un tour … historique. Je pensais que les Vallotton des Etats-Unis étaient débarqués au début du vingtième siècle, parmi les cohortes de va-nu-pieds  venus chercher une meilleure vie loin du vieux continent. Que nenni ! Jerry m’a raconté l’histoire de trois frères Vallotton arrivés sur le nouveau continent en … 1732, dans l’Amérique d’avant les États-Unis. On trouve surtout la trace de Jeremiah Oliver Vallotton, marié à Elizabeth Landry, dont les fils se sont battus contre les Anglais durant la guerre d’Indépendance. Ces Vallotton se sont établis à New York puis Savannah. La société historique de Géorgie cite James Vallotton, né en 1753, mort en 1805, elle possède même une corne à poudre marquée à son nom. Elle garde aussi le souvenir de son frère David, mort à fond de cale d’un vaisseau britannique durant la guerre d’Indépendance.

Jerry vit en Californie mais il y a dans tous les Etats-Unis des centaines d’autres Vallotton, conservant pieusement le souvenir du Pays de Vaud, de leurs origines, collectant tous les renseignements possibles à propos de l’histoire de la terre de leurs Ancêtres. Cette ouverture américaine, le Sud, la Géorgie, Savannah me renvoie à l’univers de Julien Green, à une certaine lumière, un art de vivre suranné. J’ai fini par rencontrer Jerry, juste avant son départ pour l’aéroport, samedi de Pâques, 7h, à son hôtel, Yverdon, parce qu’il n’avait pas trouvé à se loger à Vallorbe. J’ai rencontré un homme charmant et chaleureux, riche de tout ce qu’il avait vu en Suisse, prenant des notes, et encore plus heureux d’avoir rencontré ses « cousins ». Il a fait de moi, incidemment, le membre d’une tribu internationale, pour ne pas dire universelle. Il a même réenchanté mes origines. 

mardi, avril 15, 2014

"Destins" de François Mauriac

 
(Re)lire Mauriac à Berlin. Les coutumiers de ce blog connaissent l’étrange association qui, pour moi, existe entre Berlin et l’œuvre mauriacienne. Cela tient au hasard de la bibliothèque de Christine : j’ai donc lu mon premier Mauriac dans la capitale allemande. Depuis, mon attachement à la ville et à l’œuvre littéraire n’a jamais été démenti. A y regarder de plus près, l’association ne tient pas que de l’anecdote. Il s’agit d’une question de rythme, un fox-trot  d’avant-guerre, la première évidemment, quand il y avait encore des empereurs, des princesses et déjà la modernité des moyens de communication. Berlin n’est pas une métropole, c’est une capitale d’empire cosmopolite, avec ses stations de métro dont le décor n’a pas changé depuis leur inauguration par l’impératrice Augusta.
 
Au-delà des questions de décors et d’atmosphère, Mauriac – tout comme Berlin – offre une réflexion morale pour qui les fréquente (la ville et l’auteur). J’ai emmené dans mon bagage un titre qui n’est pas le plus connu mais qui pose la question des choix de vie, qui traite de la liberté, du sexe, de l’homosexualité entre les lignes. Mauriac était gay, un gentil garçon pusillanime qui tourna tant autour de Cocteau que lorsqu’il se décida, Jean l’envoya se faire pendre ailleurs. Mauriac ne fut jamais un truqueur, son mariage était un choix de vie, le seul qui lui permît d’avoir une famille. Dans Destins, il met en scène des gens bien nés, d’autres moins bien, le jeu social, celui du désir aussi, et la foi. Le héros, un jeune homme trop beau, trop léger, trop orgueilleux (mais comment ne pas l’être lorsque l’on a 23 ans et que l’on est beau) trouve dans l’amour d’une jeune fille d’un milieu qui lui est supérieur le moyen d’échapper à sa déchéance, celle de l’âge entre autres. Il n’est rien de pire que d’avoir été adoré comme un astre et de … vieillir !
 
Mauriac offre la pleine liberté à ses lecteurs de choisir leur parti. Il pousse dans un sens, soit, mais il est permis de tirer la morale que l’on veut du roman. Destins finit mal, évidemment. On peut y voir un phénomène de justice immanente, ou une punition divine, ou une tragédie, ou une forme de suicide, seule réponse possible à la  susmentionnée déchéance de l’âge. Pareil pour Berlin ;  vous pouvez battre son pavé parce que c’est une capitale festive et pas chère, parce que ses mœurs … variées vous permettent de vivre votre sensualité sur un mode peu courant selon le standard de votre lieu habituel de résidence. Berlin pour sa culture, pour ses bonnes affaires, pour l’Opéra, pour la Philharmonie, etc. Il faut aimer Berlin et la fréquenter pour sa grande douceur, pour ce qu’elle a su faire de ses souffrances, pour la liberté qu’elle offre et pour sa dignité. Mauriac n’est pas que cet auteur bourgeois pétri de catholicisme et racontant de roman en roman la vie d’une caste disparue depuis longtemps.
  
Quelques personnages, des contraintes – d’un autre temps soit, mais des contraintes qui façonnent le scénario – quelques-unes des craintes universelles de l’homme et il ne reste plus qu’à régler le problème selon une morale chrétienne généreuse. Destins suscita la critique et l’ironie de Gide qui demanda par voie de presse à quoi jouait son auteur ? C’était presque du outing de sa part. Il ne concevait pas une telle tolérance de la part d’un catholique croyant et pratiquant. Il estimait qu’on ne pouvait pas être les deux ! Mauriac lui répondit donc par un petit essai intitulé Dieu et Mammon. Moins qu’une justification, il s’agit d’un éclaircissement ou comment le croyant porte ses paradoxes sans pour autant renier sa foi, une foi qui se vit personnellement et en Eglise. Berlin pareil. De grande capitale au lourd passé, elle est une ville qui compte et dans laquelle compte le plus humble de ses habitants.

lundi, avril 07, 2014

Retour de Milan

 

Milano Centrale
Ce n’était pas une destination attendue, rêvée, fantasmée : Milan parce qu’un peu plus de trois heures de train et parce que Giovanni Castorp Jr., le héros de « Zauberberg II », ma suite à la « Montagne magique », est un Milanais de souche. De la prime idée à la réservation de l’hôtel, en passant par l’achat du billet de train à l’agence de voyage CFF, j’ai organisé mon séjour en une heure.
 
Arrivée par temps couvert, en fin d’après-midi, vendredi, comme si je rentrais du travail. D’abord la gare, un immense vaisseau doué d’un fonctionnement autonome. Le personnel de TrenItalia, discret, parcimonieux ou invisible ne semble là que pour assurer le bon déroulement de l’office. Il se noue quelque chose sous cette gigantesque halle-narthex précédée d’antichambres et de vestibules monumentaux. Depuis les voies, la présence du monstre est annoncée par plusieurs portiques ruinés, à croire que la déité s’est sauvagement libérée des étreintes de son culte. A présent elle prospère pour elle seule, à craindre qu’elle n’étende son pouvoir et son esthétique fasciste sur toute la ville. D’une certaine manière, sa masse répond à celle d’un autre monstre de broderies pétrifiées, le Dôme. Entre les deux, il y a la médiation grandiose et un peu creuse de la nef croisée des galeries Victor-Emmanuel II.
 
Lorsque l’on échappe à l’attraction de la gare colossale, Milan ressemble à Berne en travelote : même rigueur massive des belles avenues fréquentées non pas fleuries de géraniums mais d’une sorte de coquetterie de vieille folle composée de balustrades aux ferronneries trop travaillées, d’effets de marbre, travertin et autres matériaux précieux dans les façades, sans parler de l’historicité liftée de l’ensemble, qui ne fait peut-être pas vieillot mais pas plus neuf pour autant. Il y a du reste beaucoup de vieux très refaits dans cette ville, évocation du film « Io sono l’amore » de Luca Guadagnino avec Tilda Swinton dans le premier rôle. Milan paraît captive d’une sorte de pavane du pouvoir, danse macabre dans laquelle une élite âgée et concupiscente vampirise une jeunesse qu’elle fige dans des codes si stricts que la dite jeunesse n’a d’autre activité que de satisfaire aux exigences de cette étiquette.
 
Il y a bien la magie très urbaine du grand magasin La Rinascente, hybride réussi entre Globus et Les Galeries Lafayette, fermeture le vendredi, samedi et dimanche à 22h, largement le temps d’aller dîner à son élégant restaurant, vue sur la silhouette dentelée du Dôme, service efficace et stylé, carte goûteuse et sans chichis. Avant ou après le dîner, possibilité d’aller visiter l’une ou l’autre exposition au Palazzo Reale, ou le musée voisin du Novecento, les deux ferment à 22h30, vente de billets jusqu’à 21h30. En l’occurrence, ce vendredi, je suis allé voir l’exposition Klimt et de quelques autres Sécessionnistes. A Milan, on est chic. L’air du temps est à la germanophilie, on va donc renouer avec son passé autrichien. Le Palazzo Reale a du reste été réaménagé selon les instructions de la grande Marie-Thérèse.
 
Pour qui n’est pas intéressé par l’achat de vêtements griffés made in italy (je ne porte jamais de mode italienne, la faute à leur standard de taille quelque peu étrange ; en Italie, comme on ne sait pas ce que peut vouloir dire « grand », on l’interprète comme « gros »), la ville perd une grande partie de son attrait. Le samedi, j’ai découvert une cité mal pratique où la population ne sait pas vivre, elle ne sait pas se poser et jouir du temps qui passe. Elle défile, pire que sur un podium lors des semaines de la mode. Pour quelques cafés élégants et, malheureusement, en vue, le reste des établissements publics ne ressemblent à rien. Succession de bistrots moches quoique sympathiques où l'on mange toujours correctement mais où l’on ne tient pas forcément à rester un peu. Il y a bien les parcs qui appellent à la flânerie, et parfois une place, comme celle de la Scala, au point du jour, des badauds, devisant sans éclat de voix, profitant de cette étonnante paix, en plein centre-ville, des bancs, quelques arbres, la silhouette de l’opéra, sa façade ancienne, élégante, noble, sans rien de pompeux ni d’excessif. La ville jouit donc encore d’une personnalité propre, plutôt aimable, tout comme ces Milanais lambda qui forment un peuple doux, poli, plein d’égards pour les oiseaux, les chiens, les chats et toutes le bêtes de la Création. De grandes affiches dans le métro proclamaient que tous les animaux (de compagnie ou d’élevage) avaient pareillement des joies, des douleurs, une sensibilité – pour ne pas dire une âme – identiques. Le propos était illustré par la photo d’un chiot ou d’un chaton avec le commentaire M’ama et en vis-à-vis un agneau avec le commentaire Mi mangia. Dans un certain esprit ironique qui m’est propre, j’aurais aimé taguer l’une de ces affiches, en y apposant la photo d’un  « blob », une sorte de vilain poisson mou en commentant Non mi ama ne mi mangia !
 
Milan est donc duelle, comme tant de grands centres urbains. La morgue des Sforza lui apporta richesse et pouvoir, et bien-être à sa population. De la même manière, le fascisme marqua la ville et en fit définitivement la capitale économique du pays. Au diktat de l’Axe, le diktat de l’économie globalisée relayée par Bruxelles. Et Milan y tient une belle place, celle de la capitale de la mode, du design, de la réussite sur un mode latin. Milan, latine ? A voir. Du côté de la Porta Genova, les canaux, un marché aux fleurs, une après-midi d’été, quasiment, 20°, et une langueur très … romande, vaudoise même. Les rues, les édifices avoisinants ont cet air familier, jusqu’au parfum de l’air. A y regarder de plus près, loin des boulevards m’as-tu-vu assez inintéressants du centre, les Milanais ont les mêmes manières empotées que les Vaudois. Ils se déplacent lentement et de manière confuse, font montre d’indécision et de maladresse avec, toutefois, un certain sens du style tout de même. Ils ne sont ni débraillés, ni grotesques ni pincés au naturel. Loin de l’ombre du monstre de la gare, du monstre du Dôme et du monstre des Galeries Victor-Emmanuel, simplement, les Milanais sont !

dimanche, mars 30, 2014

Des pauvres altesses et des grandes maisons

Charles Ier et Zitta de Habsbourg, derniers souverains d'Autriche
L’histoire ne peut rien nous apprendre, si ce n’est la nostalgie et la compassion. Et la droiture. Et la patience. Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs, parfois étincelants mais souvent souffrants, et oublieux de notre dignité, celle que nous avons perdue avec l’infâmant armistice de 18. Heureux les doux, heureux les humbles qui tentent de réparer comme ils peuvent et s’offrent un peu de cette grâce disparue en tenant leur intérieur avec élégance, en repassant leur linge, en dressant la table avec une nappe et des serviettes en tissus, de celles qu’il faut laver et repasser, comme les oreillers à volants. Et ce n’est pas une question de moyen. C’est un travail, et pas moins contraignant que de tenir son rôle, une couronne sur la tête.

Nous sommes en année jubilaire du début de la catastrophe et il faut, cent ans plus tard, encore supporter les approximations nationalo-cocoricantes sur le récit des événements, à la télévision, sur des chaînes publiques et en première partie de soirée ! Devinez qui tient le rôle du méchant ? Ceux-là même qui ont offert progrès, tolérance, régime parlementaire, multi-culturalisme et multi-confessionnalisme à l’Europe … sans parler de la descendance que les princes allemands ont semé parmi toutes les dynasties régnantes. L’ennemi n’est pas celui que l’on croit. Fiez-vous à mon expérience, dix ans de germanophilie au compteur.

Qu’est devenue cette bonne vie bourgeoise fondée sur le travail et la tempérance, le respect et un je ne sais quoi d’épicurisme, une vie charmante à faire ce qu’il faut faire, aimer les fleurs, la littérature et le marivaudage, une vie d’honnête homme en recherche, en dialogue avec Dieu. On cultive le souvenir des grandes maisons dans une logique chauviniste. La bonne vie, la bourgeoise, les familles régnantes et l’Eglise sont transnationales, comme l’internationale socialiste … ou le grand capital. On se trompe d’ennemi. Les nationalismes après 18 ne sont que des pièges à c.



dimanche, mars 23, 2014

Notes sur Zauberberg II

« Zauberberg II » n’avance pas, je tourne autour de la masse imposante et inconnue de ce roman. Cela n’a rien à voir avec le syndrome de la page blanche. Je n’ai aucune difficulté à avancer dans le texte, sitôt que je m’y mets. Je suis peut-être jaloux de la vie que j’insuffle aux personnages ; toute cette énergie pourrait me profiter directement, nourrir mon pauvre bout d’existence gaspillé en une quinzaine de séquences saccadées quotidiennes, pas de quoi faire une vie, pas de quoi sustenter et le texte et l’auteur. Je ne trouve qu’à me donner des sensations, des émotions, de la culture par d’incessants voyages à gauche et à droite, à Paris, Barcelone, Berlin, etc., Bâle, Zürich, Lyon, re-etc. Je souffre du syndrome de Mme la consule Mann, à savoir la mère de Thomas, qui n’a cessé, dès le départ de ses enfants du foyer familial, de déménager encore et encore, de se projeter plus au sud de l’Allemagne, rechercher jusqu’au rive de la mort son petit Liré. Il n’y a que loin de chez moi que j’arrive à dégager quelques heures dont jouir. Je veux dire quelques heures pour regarder le temps passer, déterminer sa couleur.

Ce soir, messe dominicale anticipée, l’homélie portait sur une explication de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine, évangile selon saint Jean. Le prêtre a magnifiquement développé sur la notion de l’eau vive en opposition à l’eau stagnante du puits. Toute la scène a lieu en plein midi, symbole de la pleine et entière révélation. Jésus demande de l’eau du puits à la Samaritaine et lui offre l’eau vive de sa parole. Le prêtre a étendu cette notion d’eau vive à l’existence de chacun, l’eau stagnante représentant nos routines dévitalisées, l’eau vive tout ce que nous pouvons faire avec cœur, dans un sentiment de transcendance. Après le symbole des apôtres, le prêtre a relevé cette notion de transcendance à propos du sens des enfers, non pas l’enfer mais une sorte de « purgatoire », d’antichambre pour non-chrétiens dans lequel attendent les justes qui ne connaissaient – ou ne pouvaient connaître – le Christ qui les visite avant sa montée aux Cieux. Ces justes auraient aussi contribué à son Ascension.


Tant pis si ma vie est pauvre, le texte doit faire sens ; l’écriture est un sacerdoce. « Zauberberg II » trouve sa raison dans la poursuite de l’œuvre mannienne, un état des lieux cent aux après le début de la catastrophe. Je terminerai ce roman pour 2018. Témoigner et contribuer, faire « œuvre » utile, même si le texte n’aboutit pas dans sa forme espérée ou ne rencontre que peu de lecteurs.