Berlin Ante War, 1914, Marsden Hartley |
La Neue Nationalgalerie présente jusqu’au 29 juin prochain
une courte rétrospective de l’artiste américain Marsden Hartley, plus d’une
trentaine de toiles de sa période allemande. L’artiste connut un parcours peu
commun. Né en 1877 de parents ouvriers du textile, Marsden est le cadet de neuf
enfants. Il grandit dans le Maine. Orphelin de mère à huit ans, il fut en
partie élevé par l’une de ses sœurs après le remariage de son père à Cleveland.
Marsden rejoignit son père et sa belle-mère en 1893 après avoir quitté l’école
et travaillé dans une fabrique de chaussures. A Cleveland, il occupa une place
de « pommeau » dans un bureau et prit des cours de dessin
hebdomadaires. En 1898, il reçut une bourse et commença des études à la
Cleveland School of Art. Dès lors, son talent ne fit que s’affirmer, la
reconnaissance publique allant de pair avec l’obtention de nouvelles bourses
New York, Alfred Steglitz, Paris, Gertrude Stein,
Berlin ! ou comment par le hasard de lieux et de rencontres un jeune homme
américain tomba littéralement amoureux à et de la ville. Nous sommes en 1913.
Il y a le bel officier prussien Carl von Freyburg ; Marsden le connut à
Paris et le retrouva « dans son jus ». Il faut imaginer cette Berlin
brillante, cosmopolite, étonnamment tolérante, comme tout le reste du pays,
chose paradoxale depuis l’étranger, du fait de l’image militariste qui colle
aujourd’hui encore à l’Empire allemand ! Mais que la vie est agréable entre
la promenade au parc, le long des grands boulevards commerçants, sur l’une ou
l’autre ligne du métro aérien, dans les nombreux cafés de la Potsdamer Platz.
Marsden ne témoigne pas d’une germanophilie de carton-pâte mais développe une
véritable mystique pour ce pays, ce peuple, cette culture dont il intègre les
codes qu’il va rendre à travers ses compositions artistiques. Il avait déjà été
frotté de germanité aux Etats-Unis où les immigrants allemands animaient
la vie culturelle de la côte Est. Marsden appréciait déjà avant son périple
européen tous les artistes de la Sécession.
Le déclenchement de la guerre ne fit pas fuir notre homme.
Pas tout de suite. De plus, l’officier Carl von Freyburg, dont il était
amoureux, perdit la vie au combat le 7 octobre 1914 près d’Arras. Marsden se
mit alors à peindre des motifs militaires. Ni le décès de son père fin 1914 aussi, ni celui de sa belle-mère en
mai 1915 ne parvinrent à le rappeler sur le Nouveau Continent. Il était pourtant
très attaché à cette femme ; il prit même pour prénom son nom de jeune
fille. Hartley se prénommait Edmund et non Marsden. Fin 1915, il finit par
rentrer aux Etats-Unis. Il retourna à Berlin dès 1921 et séjourna encore à de
très nombreuses reprises en Allemagne, jusqu’à son décès en 1943.
La patte de Hartley, dans ses œuvres allemandes, est
singulière et remarquable. Il développe un langage schématique, à la limite du
naïf, dans une palette primaire. Il se tient de même à la limite du
non-figuratif et de l’expressionisme, le tout relevé par quelques motifs
amérindiens. Il confronte et rapproche ainsi des univers distant de milliers
d’année lumière dans une vision personnelle et syncrétique. Le plus étonnant
provient d’une sorte de « cousinage » sauvage entre l’œuvre de
Hartley et celle … de la vaudoise Aloïse Corbaz, patiente psychiatrique
reconnue de son vivant pour sa pratique de l’Art Brut. Aloïse vécut à Berlin de
1911 jusqu’à la veille de la première guerre mondiale. Elle travaillait à la
cour, en tant que bonne d’enfants du chapelain de l’empereur. Elle sera placée
en institution psychiatrique quelques années après son retour d’Allemagne du
fait d’un comportement parfois inadapté mais, surtout, de ses convictions
pacifistes qu’elle clamait en public, et de son amour pour Guillaume II. Marsden
et Aloïse partagent le même goût pour les couleurs primaires et la même
germanophilie, le même enthousiasme pour cette vaste Allemagne moderne et
cultivée. Peut-être Aloïse eut-elle l’occasion de voir des œuvres de
Marsden ? Hypothèse peu probable. De par sa fonction, Aloïse ne
fréquentait pas les milieux artistiques et sortait rarement seule à Berlin. Les
concordances demeurent. Sont-elles le résultat de l’atmosphère allemande de
cette époque ?
Un "cahier" d'Aloïse Corbaz |
Marsden
et Aloïse témoignent avant tout de leur empathie pour un pays réglementairement
haïssable depuis août 1914. Les soldats allemands tombés au front ne méritent
pas moins les pleurs des leurs que les soldats britanniques, russes ou français.
L’Allemagne n’a pas moins été « embrigadée » dans l’improbable
équipée de la guerre que la France, l’Autriche-Hongrie ou la Turquie. Marsden
et Aloïse furent des spectateurs neutres dont l’affection pour l’Allemagne
n’était pas troublée par les vapeurs narcotiques du chauvinisme.
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