Un intellectuel parisien, philosophe, auteur et enseignant,
nommé pour une année dans un lycée de Arras : un véritable exil pour
Clément qui ne se sent vivre que dans la capitale. C’est un homme mesuré, plein
de doutes et de la froideur clinique qu’impose sa discipline, une distance
scientifique entre soi et le monde. Dans le désert intellectuel que représente
pour lui la province, il va faire une rencontre, inattendue, hors de tout
schéma, Jennifer, coiffeuse dans un salon du centre-ville. Confrontation entre
deux mondes. Tout serait dit et pourtant !
Lucas Belvaux n’a pas réalisé son film - tiré d'un roman éponyme de Philippe Vilain sur le modèle d’un
catalogue de clichés, d’une confrontation Paris-province, intello-prolo, esprit
libre-conformisme matrimonial. Il nous raconte un conte moderne, une patte très
post-Nouvelle Vague et de beaux acteurs pour porter le récit. Émilie Dequenne
campe une Jennifer, mère divorcée pleine de ressources, de vitalité et de bon
sens. Elle crève littéralement l’écran ; sa joie innocente déborde et
inonde le public jusqu’à un terrible regard, à croire qu’elle a appris durant
les quelques mois de sa relation la distance scientifique de son amant. Il y a
ses mots tendres et maladroits, sa sincérité, ses larmes et toute la peine que
l’on craint de lui voir advenir. Loïc Corbery fait un beau salaud, ou presque,
son personnage de Clément est toujours sur le fil, plein de suffisance ou d’une
forme de retenue, impossible à dire chez cet homme qui vit à travers son œuvre
et des vérités philosophiques fondamentales.
Jamais un mot, donc, à peine un regard, un étonnement quasi
perpétuel et devant l’impétuosité de cette femme et face à son propre
émerveillement. Clément s’interdit de juger, toutefois son éducation, son
comportement social le trahissent. Scène de restaurant, le meilleur d’Arras,
Jennifer a « mis le paquet », et laisse d’épaisses traces de rouge à
lèvres sur son verre, sa serviette, la main de Clément qu’elle embrasse d’une
manière un peu mièvre et théâtrale. Jennifer est comme ça, elle se donne tout
entière et tout en confiance. Elle est heureuse et témoigne de ce bonheur.
Trois fois rien, un incident ridicule, et ils avaient déjà
traversé une crise, trois fois riens mais suffisamment pour que Jennifer comprenne
… Ce film me parle, parle de l’incongruité de l’amour, au-delà de toute logique
intellectuelle, au-delà de la logique intellectualisante des gens de lettres.
Travailler de la plume et du « chapeau » n’exonère pas du viscéral ;
l’auteur y sacrifie pour son hygiène, son orgueil, son bon plaisir, le frisson
de la passion, son écologie mentale. Il assume la chose comme une mare, un biotope
un peu vaseux qu’il entretient au fond du jardin, près des dépendances, loin de
sa vie officielle. Les amours ancillaires n’en restent pas moins … l’amour et
Clément l’apprendra.
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