lundi, avril 07, 2014

Retour de Milan

 

Milano Centrale
Ce n’était pas une destination attendue, rêvée, fantasmée : Milan parce qu’un peu plus de trois heures de train et parce que Giovanni Castorp Jr., le héros de « Zauberberg II », ma suite à la « Montagne magique », est un Milanais de souche. De la prime idée à la réservation de l’hôtel, en passant par l’achat du billet de train à l’agence de voyage CFF, j’ai organisé mon séjour en une heure.
 
Arrivée par temps couvert, en fin d’après-midi, vendredi, comme si je rentrais du travail. D’abord la gare, un immense vaisseau doué d’un fonctionnement autonome. Le personnel de TrenItalia, discret, parcimonieux ou invisible ne semble là que pour assurer le bon déroulement de l’office. Il se noue quelque chose sous cette gigantesque halle-narthex précédée d’antichambres et de vestibules monumentaux. Depuis les voies, la présence du monstre est annoncée par plusieurs portiques ruinés, à croire que la déité s’est sauvagement libérée des étreintes de son culte. A présent elle prospère pour elle seule, à craindre qu’elle n’étende son pouvoir et son esthétique fasciste sur toute la ville. D’une certaine manière, sa masse répond à celle d’un autre monstre de broderies pétrifiées, le Dôme. Entre les deux, il y a la médiation grandiose et un peu creuse de la nef croisée des galeries Victor-Emmanuel II.
 
Lorsque l’on échappe à l’attraction de la gare colossale, Milan ressemble à Berne en travelote : même rigueur massive des belles avenues fréquentées non pas fleuries de géraniums mais d’une sorte de coquetterie de vieille folle composée de balustrades aux ferronneries trop travaillées, d’effets de marbre, travertin et autres matériaux précieux dans les façades, sans parler de l’historicité liftée de l’ensemble, qui ne fait peut-être pas vieillot mais pas plus neuf pour autant. Il y a du reste beaucoup de vieux très refaits dans cette ville, évocation du film « Io sono l’amore » de Luca Guadagnino avec Tilda Swinton dans le premier rôle. Milan paraît captive d’une sorte de pavane du pouvoir, danse macabre dans laquelle une élite âgée et concupiscente vampirise une jeunesse qu’elle fige dans des codes si stricts que la dite jeunesse n’a d’autre activité que de satisfaire aux exigences de cette étiquette.
 
Il y a bien la magie très urbaine du grand magasin La Rinascente, hybride réussi entre Globus et Les Galeries Lafayette, fermeture le vendredi, samedi et dimanche à 22h, largement le temps d’aller dîner à son élégant restaurant, vue sur la silhouette dentelée du Dôme, service efficace et stylé, carte goûteuse et sans chichis. Avant ou après le dîner, possibilité d’aller visiter l’une ou l’autre exposition au Palazzo Reale, ou le musée voisin du Novecento, les deux ferment à 22h30, vente de billets jusqu’à 21h30. En l’occurrence, ce vendredi, je suis allé voir l’exposition Klimt et de quelques autres Sécessionnistes. A Milan, on est chic. L’air du temps est à la germanophilie, on va donc renouer avec son passé autrichien. Le Palazzo Reale a du reste été réaménagé selon les instructions de la grande Marie-Thérèse.
 
Pour qui n’est pas intéressé par l’achat de vêtements griffés made in italy (je ne porte jamais de mode italienne, la faute à leur standard de taille quelque peu étrange ; en Italie, comme on ne sait pas ce que peut vouloir dire « grand », on l’interprète comme « gros »), la ville perd une grande partie de son attrait. Le samedi, j’ai découvert une cité mal pratique où la population ne sait pas vivre, elle ne sait pas se poser et jouir du temps qui passe. Elle défile, pire que sur un podium lors des semaines de la mode. Pour quelques cafés élégants et, malheureusement, en vue, le reste des établissements publics ne ressemblent à rien. Succession de bistrots moches quoique sympathiques où l'on mange toujours correctement mais où l’on ne tient pas forcément à rester un peu. Il y a bien les parcs qui appellent à la flânerie, et parfois une place, comme celle de la Scala, au point du jour, des badauds, devisant sans éclat de voix, profitant de cette étonnante paix, en plein centre-ville, des bancs, quelques arbres, la silhouette de l’opéra, sa façade ancienne, élégante, noble, sans rien de pompeux ni d’excessif. La ville jouit donc encore d’une personnalité propre, plutôt aimable, tout comme ces Milanais lambda qui forment un peuple doux, poli, plein d’égards pour les oiseaux, les chiens, les chats et toutes le bêtes de la Création. De grandes affiches dans le métro proclamaient que tous les animaux (de compagnie ou d’élevage) avaient pareillement des joies, des douleurs, une sensibilité – pour ne pas dire une âme – identiques. Le propos était illustré par la photo d’un chiot ou d’un chaton avec le commentaire M’ama et en vis-à-vis un agneau avec le commentaire Mi mangia. Dans un certain esprit ironique qui m’est propre, j’aurais aimé taguer l’une de ces affiches, en y apposant la photo d’un  « blob », une sorte de vilain poisson mou en commentant Non mi ama ne mi mangia !
 
Milan est donc duelle, comme tant de grands centres urbains. La morgue des Sforza lui apporta richesse et pouvoir, et bien-être à sa population. De la même manière, le fascisme marqua la ville et en fit définitivement la capitale économique du pays. Au diktat de l’Axe, le diktat de l’économie globalisée relayée par Bruxelles. Et Milan y tient une belle place, celle de la capitale de la mode, du design, de la réussite sur un mode latin. Milan, latine ? A voir. Du côté de la Porta Genova, les canaux, un marché aux fleurs, une après-midi d’été, quasiment, 20°, et une langueur très … romande, vaudoise même. Les rues, les édifices avoisinants ont cet air familier, jusqu’au parfum de l’air. A y regarder de plus près, loin des boulevards m’as-tu-vu assez inintéressants du centre, les Milanais ont les mêmes manières empotées que les Vaudois. Ils se déplacent lentement et de manière confuse, font montre d’indécision et de maladresse avec, toutefois, un certain sens du style tout de même. Ils ne sont ni débraillés, ni grotesques ni pincés au naturel. Loin de l’ombre du monstre de la gare, du monstre du Dôme et du monstre des Galeries Victor-Emmanuel, simplement, les Milanais sont !

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