(Re)lire Mauriac à Berlin. Les coutumiers de ce blog
connaissent l’étrange association qui, pour moi, existe entre Berlin et l’œuvre
mauriacienne. Cela tient au hasard de la bibliothèque de Christine : j’ai
donc lu mon premier Mauriac dans la capitale allemande. Depuis, mon attachement
à la ville et à l’œuvre littéraire n’a jamais été démenti. A y regarder de plus
près, l’association ne tient pas que de l’anecdote. Il s’agit d’une question de
rythme, un fox-trot d’avant-guerre, la
première évidemment, quand il y avait encore des empereurs, des princesses et
déjà la modernité des moyens de communication. Berlin n’est pas une métropole,
c’est une capitale d’empire cosmopolite, avec ses stations de métro dont le décor
n’a pas changé depuis leur inauguration par l’impératrice Augusta.
Au-delà des questions de décors et d’atmosphère, Mauriac –
tout comme Berlin – offre une réflexion morale pour qui les fréquente (la ville
et l’auteur). J’ai emmené dans mon bagage un titre qui n’est pas le plus connu
mais qui pose la question des choix de vie, qui traite de la liberté, du sexe,
de l’homosexualité entre les lignes. Mauriac était gay, un gentil garçon pusillanime
qui tourna tant autour de Cocteau que lorsqu’il se décida, Jean l’envoya se faire
pendre ailleurs. Mauriac ne fut jamais un truqueur, son mariage était un choix
de vie, le seul qui lui permît d’avoir une famille. Dans Destins, il met en scène des gens bien nés, d’autres moins bien, le
jeu social, celui du désir aussi, et la foi. Le héros, un jeune homme trop
beau, trop léger, trop orgueilleux (mais comment ne pas l’être lorsque l’on a
23 ans et que l’on est beau) trouve dans l’amour d’une jeune fille d’un milieu
qui lui est supérieur le moyen d’échapper à sa déchéance, celle de l’âge entre
autres. Il n’est rien de pire que d’avoir été adoré comme un astre et de …
vieillir !
Mauriac offre la pleine liberté à ses lecteurs de choisir
leur parti. Il pousse dans un sens, soit, mais il est permis de tirer la morale
que l’on veut du roman. Destins finit
mal, évidemment. On peut y voir un phénomène de justice immanente, ou une
punition divine, ou une tragédie, ou une forme de suicide, seule réponse
possible à la susmentionnée déchéance de
l’âge. Pareil pour Berlin ; vous pouvez battre son pavé parce que c’est
une capitale festive et pas chère, parce que ses mœurs … variées vous
permettent de vivre votre sensualité sur un mode peu courant selon le standard
de votre lieu habituel de résidence. Berlin pour sa culture, pour ses bonnes
affaires, pour l’Opéra, pour la Philharmonie, etc. Il faut aimer Berlin et la
fréquenter pour sa grande douceur, pour ce qu’elle a su faire de ses
souffrances, pour la liberté qu’elle offre et pour sa dignité. Mauriac n’est
pas que cet auteur bourgeois pétri de catholicisme et racontant de roman en
roman la vie d’une caste disparue depuis longtemps.
Quelques personnages, des contraintes – d’un autre temps
soit, mais des contraintes qui façonnent le scénario – quelques-unes des craintes
universelles de l’homme et il ne reste plus qu’à régler le problème selon une
morale chrétienne généreuse. Destins
suscita la critique et l’ironie de Gide qui demanda par voie de presse à quoi
jouait son auteur ? C’était presque du outing de sa part. Il ne concevait
pas une telle tolérance de la part d’un catholique croyant et pratiquant. Il
estimait qu’on ne pouvait pas être les deux ! Mauriac lui répondit donc
par un petit essai intitulé Dieu et
Mammon. Moins qu’une justification, il s’agit d’un éclaircissement ou
comment le croyant porte ses paradoxes sans pour autant renier sa foi, une foi
qui se vit personnellement et en Eglise. Berlin pareil. De grande capitale au
lourd passé, elle est une ville qui compte et dans laquelle compte le plus
humble de ses habitants.
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