mardi, avril 15, 2014

"Destins" de François Mauriac

 
(Re)lire Mauriac à Berlin. Les coutumiers de ce blog connaissent l’étrange association qui, pour moi, existe entre Berlin et l’œuvre mauriacienne. Cela tient au hasard de la bibliothèque de Christine : j’ai donc lu mon premier Mauriac dans la capitale allemande. Depuis, mon attachement à la ville et à l’œuvre littéraire n’a jamais été démenti. A y regarder de plus près, l’association ne tient pas que de l’anecdote. Il s’agit d’une question de rythme, un fox-trot  d’avant-guerre, la première évidemment, quand il y avait encore des empereurs, des princesses et déjà la modernité des moyens de communication. Berlin n’est pas une métropole, c’est une capitale d’empire cosmopolite, avec ses stations de métro dont le décor n’a pas changé depuis leur inauguration par l’impératrice Augusta.
 
Au-delà des questions de décors et d’atmosphère, Mauriac – tout comme Berlin – offre une réflexion morale pour qui les fréquente (la ville et l’auteur). J’ai emmené dans mon bagage un titre qui n’est pas le plus connu mais qui pose la question des choix de vie, qui traite de la liberté, du sexe, de l’homosexualité entre les lignes. Mauriac était gay, un gentil garçon pusillanime qui tourna tant autour de Cocteau que lorsqu’il se décida, Jean l’envoya se faire pendre ailleurs. Mauriac ne fut jamais un truqueur, son mariage était un choix de vie, le seul qui lui permît d’avoir une famille. Dans Destins, il met en scène des gens bien nés, d’autres moins bien, le jeu social, celui du désir aussi, et la foi. Le héros, un jeune homme trop beau, trop léger, trop orgueilleux (mais comment ne pas l’être lorsque l’on a 23 ans et que l’on est beau) trouve dans l’amour d’une jeune fille d’un milieu qui lui est supérieur le moyen d’échapper à sa déchéance, celle de l’âge entre autres. Il n’est rien de pire que d’avoir été adoré comme un astre et de … vieillir !
 
Mauriac offre la pleine liberté à ses lecteurs de choisir leur parti. Il pousse dans un sens, soit, mais il est permis de tirer la morale que l’on veut du roman. Destins finit mal, évidemment. On peut y voir un phénomène de justice immanente, ou une punition divine, ou une tragédie, ou une forme de suicide, seule réponse possible à la  susmentionnée déchéance de l’âge. Pareil pour Berlin ;  vous pouvez battre son pavé parce que c’est une capitale festive et pas chère, parce que ses mœurs … variées vous permettent de vivre votre sensualité sur un mode peu courant selon le standard de votre lieu habituel de résidence. Berlin pour sa culture, pour ses bonnes affaires, pour l’Opéra, pour la Philharmonie, etc. Il faut aimer Berlin et la fréquenter pour sa grande douceur, pour ce qu’elle a su faire de ses souffrances, pour la liberté qu’elle offre et pour sa dignité. Mauriac n’est pas que cet auteur bourgeois pétri de catholicisme et racontant de roman en roman la vie d’une caste disparue depuis longtemps.
  
Quelques personnages, des contraintes – d’un autre temps soit, mais des contraintes qui façonnent le scénario – quelques-unes des craintes universelles de l’homme et il ne reste plus qu’à régler le problème selon une morale chrétienne généreuse. Destins suscita la critique et l’ironie de Gide qui demanda par voie de presse à quoi jouait son auteur ? C’était presque du outing de sa part. Il ne concevait pas une telle tolérance de la part d’un catholique croyant et pratiquant. Il estimait qu’on ne pouvait pas être les deux ! Mauriac lui répondit donc par un petit essai intitulé Dieu et Mammon. Moins qu’une justification, il s’agit d’un éclaircissement ou comment le croyant porte ses paradoxes sans pour autant renier sa foi, une foi qui se vit personnellement et en Eglise. Berlin pareil. De grande capitale au lourd passé, elle est une ville qui compte et dans laquelle compte le plus humble de ses habitants.

Aucun commentaire: