Il y est arrivé, il y arrive toujours, de manière
moyennement peu glorieuse ou héroïque mais qu’importe. Il a pris un paquebot à
peine rouillé jusqu’en Islande, puis un zeppelin pour Friedrichshafen. Le
brouillard était profond en-dessous, tant mieux, cela évite de se faire tirer
comme une perdreau ; Wesley n’a pas perdu les bonnes habitudes de Steeven,
à savoir ne jamais avoir l’air surpris – rapport à son inculture d’antan – au
risque de passer pour un imbécile à longueur de journées. Il a donc vite déduit
que la ville natale du dirigeable était devenue un « hub », un super aéroport avec ses
tours d’amarrage en mini « tour Eiffel », ses ascenseurs à cabine
lambrissée, et un nœud ferroviaires par la même. Steeven ne connaissait pas le
lac de Constance, Wesley découvre. Ça
n’a rien du brillant de l’univers de ses songes, c’est même un peu pouilleux
sur les bords. Il concède un sens certain de la mise-en-scène mais pour le
reste, c’est prolo-land comme dans son enfance et, ici, il est un mec lambda,
pas moyen de se repeindre le plafond en rose après un petit somme, transit
consécutif. Il est même un sans-papiers, ou papiers pas vraiment vrais, il a
fait « un peu » chanter Richie, en toute amitié, après leur nuit de
gonflée. Ça sert d’avoir
potassé des livres d’histoire ; ça lui donne aussi un rien de référence
dans cette vieille Europe ravagée, plus vieille que ravagée selon ce qu’il
observe. Il descend dans le grand hôtel Zeppelin, un gratte-ciel renaissant aux
façades recouvertes de fresques. Richie lui a négocié un super-forfait avec la
traversée et son vol. Le sommet de la tour est perdu dans la brume, la pluie
sent les eighties’ en banlieue et un vague espoir derrière. Wesley a voulu
passer à travers, comme à l’habitude de Steeven, mais, là, il est au bout, face
à un mur, celui de ses fuites métaphysiques. Il s’attendait vraiment à du balaise
avec vaisseaux intergalactiques et pétoires laser, au risque de se répéter, le
tout en combi moule-burnes avec des pratiques sexuelles inédites, des hybrides
à triple sein, des trucs festifs mais on baise pareil de ce côté-ci de
l’univers, peut-être un peu moins. Le sommet de la subversion consiste à danser
sur de l’acid-schlager en culotte de peau et chaussettes fluo ! Wesley se
sent à la fois pris d’un vertige et d’une sorte de constipation psychique, il
ne voit pas quoi faire d’autres … Il a voulu ce monde, il l’a eu ! Il
voulait être seul dans lui-même, fatigué des sauts temporels, des histoires de
résistance, de l’Agence, complots, etc. Il a tout bien tout fermé toutes les
portes et balancé la clef, évidemment. Il n’a pas même envie de se mettre la
tête en dedans, rien, le gris et la pluie, et ce petit lac calme et étale,
quelques flots aciers. Wesley occupe une jolie chambre Art Déco, comme il se
doit, au 18ème étage, sous les appartements impériaux, au cas où Sa
Majesté ferait un petit saut dans le coin, ou l’un de ses représentants à la
cour. L’empereur ne se déplace plus que pour des visites d’Etat. La presse le
dit à Saint-Pétersbourg, parti rencontrer le prince régent et tuteur de son
cousin le jeune tzar … « Mauvais plan » se dit Wesley, il aurait dû
rester à Neu York, à faire vrombir sa voiture rouge avec Rick Astley, fitness,
restau’, son joli triplex à Süd Harlem. « Quelle quiche » se dit-il
encore, « pas une de droite » et son scaphandre qui décolore, qui
devient aussi manche et irrésolu que Steeven, quel était l’intérêt à changer de
corps, de vie, de dimension. Y’a pas à dire, c’était mieux avant, même un avant
jamais advenu. Pour se distraire, Wesley descend de sa tour, faire une
promenade en ville, voir comme on vit dans l’empire. […]
mercredi, avril 06, 2016
lundi, mars 28, 2016
Lettre ouverte aux (politiques) Morgiens/nes
Je suis venu à la politique de manière tout à fait
« abracadabrantesque », selon la formule chiraquienne consacrée. Peu
après mon réveil, opération des sinus, les vapeurs de la narcose, et une
question, via msn, un ami facebookien, à peine une connaissance qui me
demandait si j’étais intéressé à entrer au conseil communal morgien ? Je
dis oui et, sous les couleurs de « Morges Libre », je suis entré en
tant que vient-ensuite au conseil, parmi le groupe de l’ « Entente
Morgienne », le bon parti centriste local, 50 bougies soufflées il y a
peu, une formation ayant rejoint la mouvance « Vaud Libre », mouvance
à laquelle « Morges Libre » appartient … Vous me suivez ?
Il y aurait donc sur le territoire morgien deux partis centristes, l’un bien
installé et l’autre tout neuf, à peine quelques membres, dont moi recruté via
facebook afin de sceller dans les faits par mon entrée au sein du législatif
communal l’union de tous les centres en terres morgiennes. Nous voilà rendu là
où le récit devient épique, baroque, picaresque, totalement branque.
« Morges Libre » avait alors un bouillant président, celui-là même
qui me proposa mon entrée en politique, une sorte de touche-à-tout, homme
orchestre plutôt sympathique quoique s’adonnant à des stratégies byzantines
auxquelles je n’ai toujours rien compris. Dans la foulée, le monsieur me fit
prendre la place qu’il occupait au sein du comité de « Vaud Libre »,
peu après avoir déclenché une brouille avec l’Entente, me mettant ainsi dans
une situation inconfortable. Je ne vais pas entrer dans les détails
politico-politiciens, je ne peux que vous dire mon embarras croissant car le
bonhomme trouva à se brouiller avec Vaud Libre avant de claquer la porte de
Morges Libre. Il y eut quelque échange de nom d’oiseau, mon embarras
grandissait encore, et me voilà président de Morges Libre, réorienté structure
centriste au niveau du district de Morges. Je ne vous dis pas les sourires que
mon joli titre de président d’une coquille vide – le parti est en passe d’être activé pour les
élections cantonales de 2017 – suscita chez mes collègues de parti et du
Conseil Communal. J’avais nettement l’impression d’être le président installé
par une grande puissance à la tête d’une république bananière. Et la presse,
évidemment, en rajouta une couche, faisant d’une brouille politique une
véritable affaire d’Etat. Sur ces entrefaites arrivent les élections communales,
l’Entente Morgienne perd un siège, le mien apparemment, je ne suis pas réélu,
manque de visibilité, de réseau, que sais-je. Je suis donc le président d’une
coquille vide, sans siège, membre du comité d’un parti centriste aux assemblées
duquel je n’arrive pas à participer, pris par le temps. De plus, je fais
doublon puisque l’Entente a l’un des ses membres qui représente les intérêts
locaux au sein de la fédération de Vaud Libre.
Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai aucun compte à régler.
J’ai siégé durant une année parmi une équipe sympathique et très soucieuse du
bien public. « Ni de gauche, ni de droite » dit l’Entente et c’est
vrai. Il faut voir le respect qui entoure cette formation atypique. Pareil pour
Vaud Libre, pas une rancœur à leur encontre à vous livrer, rien, pas même au
bouillant ex-président de ma coquille vide. On pourra dire ce que l’on voudra
de son comportement, il n’empêche qu’il a un flair politique extrêmement
sensible et qu’il avait senti deux ou trois choses. Parallèlement à cela, Cy.
décida, lui aussi, de se mêler de la chose politique. Il hésitait, il penchait
pour les méchants, les vilains, le petit groupe tout à la droite de la salle du
conseil, non, pas les anciens libéraux du groupe PLR, les autres … Si, si,
ceux-là même. Il faut dire qu’ils venaient de recruter un excellent candidat à
la municipalité, quelqu’un pour qui j’ai respect et sympathie. Et le reste du
groupe ne m’est pas antipathique. La couleur politique, dans un exécutif
communal, n’est de loin pas aussi tranchée qu’au parlement. A Morges,
l’ambiance de travail du conseil est particulièrement cordiale. Les bonnes
idées de tout bord rencontrent toujours un large consensus. Il y a bien un
léger effet de blocs - je pense au bloc rose (pâle) et au bloc bleu (de même
pâle), effet qui se signale par une ou deux demi-lubies sur les votes en séance ;
à côté trois autres formations de petites tailles, chacun comptant une dizaine
de conseillers, un peu plus ou un peu moins, à savoir les Verts, l’Entente et –
roulement de tambour – l’UDC ! les méchants du conseil qui, après
observation, n’ont de méchant que l’étiquette. Pour un parti a la réputation
xéno- et homophobe, il fait fort. On compte dans ses rangs des Suisses
d’origine : américaine, russe, portugaise, italienne et, peut-être
française, je ne suis pas sûr de cette dernière nationalité ; la
présidente de la section morgienne porte un patronyme portugais, elle a épousé
un Portugais. Les femmes représentent 40% des membres du groupe élu.
« Last but not least », mon homme est venu compléter pile à temps la
liste des candidats et devinez quoi ? Il a été élu ! La section UDC Morges
compte certainement le taux le plus élevé d’étrangers et de gay(s) dans les
rangs des partis morgiens.
Retour sur les bons moments de la campagne, les marchés du
samedi matin, je fis bravement le planton de 10h à 12h30-13h parmi les tentes
des cinq formations (plus un indépendant) actives sur l’échiquier morgien. Nous
avons tous passé des moments formidables. J’eus ainsi l’occasion de
« pratiquer » mes collègues d’une manière plus informelle et de les
découvrir taquins, drôles, de bonnes commandes, dévoués quel que soit le parti.
Il y avait aussi des « anciens édiles» de Morges et des communes
avoisinantes venus soutenir les candidats de leur parti d’élection, au sens
propre et figuré. C’est ainsi que j’appris de la bouche d’un député UDC
retraité le pourquoi de la disparition des bintjes de nos tables, la précieuse
pomme-de-terre à tout faire, la variété s’est épuisée à force d’exploitation.
Dans ce coin de Suisse, l’UDC est la nouvelle déclinaison de l’ancien parti des
Paysans, Artisans et Indépendants ; des gens à la tête froide, parfois
rétifs à ceci ou cela mais jamais vindicatifs. On reste entre « honnêtes gens ».
Le plus drôle, durant la campagne des élections communales, un débat organisé
avec tous les candidats (treize) à la municipalité de Morges sur le plateau de
la télévision locale. Un mot de présentation à propos de chaque candidat, la
présidente de la section UDC Morges faisait partie des treize, le journaliste
évoque sa franchise de ton et d’opinion, reprend l’un de ses propres termes,
« je suis UDC par défaut », lui demande si cette affirmation est
vraie ? « Oui » Silence d’une à deux secondes du journaliste
décontenancé par … autant de franchise.
Il faut savoir qu’un parti politique, n’importe lequel, a
tendance à fonctionner comme une équipe de foot de ligue. Lorsqu’on estime
qu’un joueur est de qualité, on essaie de l’obtenir. En politique, ça ne se
monnaie pas, pas de manière sonnante et trébuchante, on propose des postes de
candidat, une liberté d’actions, de pensées, de paroles, etc. On fait cela pour
tout nouveau venu ou tout venu qui n’est pas encore figé dans une trop longue
habitude de son parti. Les propositions perdurent si vous êtes un centriste et
reviennent métronomiquement si vous vous acquittez correctement et activement
des tâches dévolues à tout conseiller lambda (commissions, réunions, rapports,
interventions, etc.). Tous les partis, groupes, tendances m’ont fait du pied de
manière plus ou moins marquée, me vantant les mérites de leur formation, y
compris l’UDC qui présageait sans malignité aucune la diminution du nombre
d’élus de l’Entente. « Viens chez nous, il y aura des sièges à repourvoir
… » Les urnes ont parlé, dix candidats, onze sièges, celui perdu par
l’Entente, et moi dessus.
Je vous laisse relire mon billet « La Veste », dimanche
d’élections, les résultats en soirée, l’air satisfait de certains.
J’accompagnais Cy., quelques membres de son parti, ils attendaient les
résultats à la maison. Peu après la publication des chiffres, un nouvel
élu/réélu se tourne vers l’un de nos invités et l’interpelle goguenard quant au
bon score de son parti, « Il faudra assurer ! », petit geste du
menton, l’air de dire « l’UDC a gagné ces voix par hasard, vous ne serez
pas capable de tenir un rôle sérieux au conseil ». J’hésitais encore mais
cette simple démonstration de suffisance moralisatrice me décida : j’acceptai
ce siège vide.
J’en ai parlé, ici ou là, j’ai eu droit à un charroi de
réactions … dogmatiques, assortis de mise en garde. Parmi le florilège des plus
débiles je retiens « que vont penser les gens de toi ? », bof,
en tant que gay et catholique, j’ai déjà tout entendu ; « tu
cautionnes la politique fédérale de l’UDC », non, de toute manière entre
la section morgienne de l’UDC et le groupe parlementaire, il y a un monde,
quelques galaxies, deux ou trois univers même. Au cas où il y aurait
éventuellement interaction, j’expliquerai à Messieurs Maurer et Parmelin mon
point de vue sur un certain nombre de sujets. Si l’on part de l’idée qu’un
parti transforme ses adhérents, les adhérents ont de même la compétence de
transformer le parti. C’est assez peu me connaître que d’imaginer qu’on puisse
ainsi me « changer ». Les Vallotton sont des Vallorbiers, des têtes
de pioche. Plus sérieusement, j’ai déjà expliqué mes motivations à qui était
prêt à les entendre. Après une année de conseil communal, je commence enfin à
comprendre le fonctionnement global de la chose, à maîtriser les dossiers en
cour, à connaître et reconnaître les différents acteurs politiques et au sein
de l’administration communale. Si je raccrochais de suite, ce serait aussi
idiot que de quitter la salle de sport après l’échauffement. Je suis un
vient-ensuite dans la liste de l’Entente et je pourrais attendre sur le banc de
touche une année ou deux, ou trois que l’on me rappelle aux affaires et d’ici
là, j’aurai perdu le fil. Plus vraisemblablement, je me serai lassé et aurai
laissé tomber. Il faut battre le fer quand il est chaud et tant pis pour ma
« réputation politique », je n’ai pas d’ambition particulière dans ce
domaine, une législature complète et je passerai la main. Dans l’intervalle, je
poursuivrai dans mon action, à savoir « à problème pratique, solution
concrète ! » Au conseil, tout le monde se pose les mêmes
questions : à quoi ça sert ? combien ça coûte ? Selon les réponses,
on dit oui ou non. Le fait que l’UDC soit une petite formation au conseil
communal morgien représente un autre critère qui m’a poussé dans ses rangs. Les
Verts m’auraient fait la même proposition, j’aurais accepté, d’autant plus que
j’apprécie particulièrement le courant décroissant de ce groupe.
Fais-je preuve d’opportunisme politique ? Si consacrer
une vingtaine d’heures par mois pour quatre cents francs par an en moyenne au
risque de se faire appeler Arthur est une opportunité, alors oui. Les
conseillers communaux sont des miliciens, je ne connais pas exactement les
motivations de mes petits camarades de jeu, elles ne sont certainement pas très
éloignées des miennes. Je suis entré en politique afin de payer mon écot,
assumer ma part dans une société qui garantit les libertés fondamentales, paie
mon salaire, assure un cadre perfectible mais agréable à ma vie, subventionne
parfois et même très souvent la publication de mes romans. A ma mesure, je
rembourse en me préoccupant d’histoire de peinture de réverbère et de crottes
de chien sur les quais. Je poursuivrai selon mes convictions et l’Ente, et Vaud
Libre trouveront toujours un ami politique en ma personne. Cela me rappelle une
charmante anecdote citée par le père Joseph, de ma bonne paroisse berlinoise de
Sankt Ludwig : un jeune séminariste débarque tout énervé dans le bureau de
l’évêque et futur saint François de Sales et lui demande inquiet que peut-il
faire pour la paix, la paix confessionnelle, la paix dans le diocèse de Genève
d’où les fidèles catholiques ont été chassés, et François de répondre
« Commence par fermer doucement la porte ! » Pour conclure, je
dois vous avouer que j’aime beaucoup l’idée que mon homme et moi siégions
ensemble au conseil, dans les rangs d’un parti, et je me répète, dit
« homophobe ».
dimanche, mars 20, 2016
Rénovation du bâtiment n° 1-3 de la rue Saint Louis, à Morges
Retour sur une rénovation réussie au cœur de Morges.
Là où se signale un authentique travail d’architecte, mieux qu’une
réhabilitation, une révélation.
Une
citadelle ? un cloître ? une maison forte ? Une construction
simple, sans artifices, ornement, effets verre-acier, etc. Le bâtiment des n° 1 et 3 de
la rue Saint-Louis, dans sa version réactualisée ne souffre que d’un
défaut : il n’a pas de nom. Ce n’est pas un édifice construit ex-nihilo,
il est le résultat de la mue adroite et élégante du bâtiment
« Bataillard ». Dans sa forme première, ce locatif du centre ville
était l’exemple parfait du niveau 0 architectural. Façades jaunasses au crépi,
de trop nombreuses petites fenêtres garnies de volets bruns, un immeuble qui
n’aurait pas même valu le prix de sa démolition. A force, on ne le voyait plus,
il était devenu une verrue sèche – pas même purulente – au coin des rues
Charpentier et Saint-Louis. Un truc moche.
Lorsque l’on vit
quelque agitation autour de la chose, plus d’un Morgien bénit le bienfaiteur
qui prenait à sa charge la démolition de ce manifeste de la médiocrité
architecturale : que nenni ! On ne démolissait pas, on rénovait, et
avec quel talent ! ARCK Architecture SA, sur une base aussi indidgente, a
réussi le tour de force d’une réhabilitation élégante. Le bâtiment a gagné un
penthouse, signalé par un bandeau anthracite de la largeur de l’étage. L’existence de la terrasse est révélée par des escaliers
métalliques en vis côté square des Charpentiers. Ce dernier étage a la
particularité d’avoir été entièrement réalisé en bois. Il jouit de plus d’une
plus grande hauteur sous plafond que les étages inférieurs. Côté rue des
Charpentiers, il porte un oriel carré ; les fenêtres de ce dernier niveau
reprennent le rythme des façades sans pour autant reproduire la disposition
disgracieuse des fenêtres d’origine. Les magiciens de chez ARCK auraient
peut-être aimé les ordonner différemment mais il eût fallu revoir tout
l’aménagement intérieur. Toutefois, afin d’atténuer l’effet
« casemate » et tromper l’œil du passant, donner du caractère à une
façade qui n’en avait aucun, chaque meurtrière … chaque fenêtre, pardon, a été
pourvue d’un volet métallique rouge ! Effet garanti sur la façade blanche.
La présence d’un
bâtiment dans le tissu urbain implique bien plus qu’une façade quelconque à tel
ou tel numéro d’une rue. Il s’inscrit dans un ensemble, il apporte sa voix à un
dialogue renouvelé, promenade urbaine, déambulation. La « citadelle
Bataillard » (j’opte pour ce surnom) « dépasse » ici ou là,
signale sa présence et enrichit le point de vue par les effets du talent d’ARCK
Architecture SA.
lundi, mars 14, 2016
"La part de l'autre" de Eric-Emmanuel Schmitt
Je ne savais pas le bon, le doux et toujours souriant
Eric-Emmanuel germanophile ? peut-être plus que moi ! étonnant pour un auteur français, certainement un effet de son ascendance alsacienne. Dans son roman
uchronique, La part de l’autre
(mi-pochade, mi-travail littéraire), le
bonhomme nous tricote le double récit de Hitler peintre reçu à l’Académie de
Beaux-Arts de Vienne et de Hitler, le dictateur classique. Nous suivons les
deux protagonistes de 1908 à leurs morts respectives. Le procédé est en théorie
intéressant, il l’est de fait pour les jeunes années du Hitler historique et du
Hitler peintre. Leurs vies sont si proches, si peu les différencie. Schmitt
s’est bien documenté, l’époque est peinte avec de belles couleurs, le détail
est truculent, les vicissitudes de l’un comme de l’autre sont drolatiques. J’ai
ri et pour de vrai.
Les trois-cents première pages passent comme de rien, on en
redemanderait presque. La Première Guerre offre de véritables morceaux de bravoure. Le
Hitler historique et son chien, Foxl, qui sera mortellement blessé par l’ennemi, le Français planqué de l’autre
côté de la tranchée ; au petit matin, Hitler se résout à l’achever d’une
balle. Pas un mot de faux dans cette tragédie anodine et universelle,
fondamentale pour la psyché romancée du futur chancelier Hitler. Je serai
incapable de relire ce passage tant il me bouleverse. Le plus obtus des lecteurs
ne pourra que vivre la détresse, la douleur et la peine de la situation. Vérité
de l’émotion, rigueur syntaxique, saveur originale du verbe. Ça se gâte par la
suite ; l’auteur nous assomme de son petit genre artisteux et donne dans
la rallonge inutile, de la phrase à caractère littéraire, une sorte
d’amoncellement d’images cocasses et boiteuses. C’est un festival … disons
plutôt une brocante de métaphores bricolées à contre sens de la phrase-même. On
finit sur du grotesque et de la pantalonnade, le Hitler historique devenu sourd
suite au dernier attentat, ou percevant déjà l’échec de sa guerre et, illico
après, un nouvel et bref épisode de littérature, « Der Untergang »,
la fin du Führer dans le bunker de la chancellerie.
Notre auteur s’est tout de même fendu d’un justificatif
historique, une bafouille tendant à prouver que son invention tient la route, à
peu près, plus ou moins. La fin uchronique de Hitler peintre n’est pas pour me
déplaire. Berlin est la New York de cette autre possibilité, Babelsberg Hollywood,
le premier homme à avoir marché sur la lune est allemand, und so weiter.
Deutschland über alles, ce qui, aujourd’hui, hormis les deux ou trois petits
riens show-off de la culture populaire dominante, est le cas. Notre doux
Eric-Emmanuel va jusqu’à rendre à l’Allemagne les territoires indûment
attribués à la Pologne après le Première Guerre mondiale. Y aurait-il de sa
part une certaine inimitié envers les Polonais ?! Pas un mot sur les
Sudètes. Dans sa rondeur, notre bon écrivain a encore replâtré l’hypothèse que,
durant tout le IIIème Reich, les civils allemands n’étaient pas au courant de
l’extermination massive des juifs !? Le Hitler dictateur serait devenu par
hasard antisémite, suite à la lecture d’une revue pangermaniste … Mouais, voilà
une interprétation plutôt olé-olé des événements qui permet au lecteur (français) de faire
l’économie de l’antisémitisme crasse de la France d’avant 1945.
Dernier point, une question que vous pourriez vous
poser : pourquoi diable me suis-je embarqué dans la lecture des 500 pages
de « La part de l’autre » ? Par ouverture d’esprit, pardi, à
force de me gausser en classe de l’œuvre de M. Schmitt qui, au demeurant, est
un homme charmant et des plus sympathiques en dépit de son succès irritant,
œuvre donc que l’on a tenté de faire remonter dans mon estime en me vantant le
titre dont il est question ici.
Pari perdu et, du coup, mes élèves du gymnase du soir se retrouvent avec cette
lecture au programme ! Il faut aussi qu'ils se frottent à de la littérature populaire.
samedi, mars 05, 2016
Elections communales vaudoises 2016 ou la veste
Plus jamais je ne
pourrai relire froidement le récit de l’armistice de 18, signé par un petit
matin brumeux, glacial : Erzberger, von Oberndorff, von Winterfeldt, von
Grünnel et Vanselow, reçus avec hauteur dans le wagon de l’état-major français,
la forêt de Compiègne, reddition sans condition. Ne nous cachons pas la vérité,
j’ai pris une veste aux dernières élections communales, et pas sûr qu’elle ne soit
bien taillée. Il faisait froid de même, devant l’hôtel de ville. Il a fallu
attendre, un verre à la main tout de même, et des résultats d’abord publiés sur
le site de l’Etat de Vaud, allez donc consulter la chose sur l’écran d’un
smartphone, et pas de classement par partis, un classement par candidats dans
l’ordre des résultats. 1, 2, 3, 4, 5, 6 … 10 sièges pour le parti sous la
bannière duquel je me suis présenté, il faut chercher parmi des cohortes de
socialistes, de libéraux-radicaux, d’écolos … Et il m’en manque un, refaire le
tour du listing déroulant, parmi les cris de joies et les trépignations d’élus verts découvrant leur accession au législatif
communal. Je ne serai pas des leurs. Je ne suis pas élu. Je me demande si les
verts triomphants feront montre d’autant d’allégresse lorsqu’ils seront
retenus, otages, d’une commission bout de tuyau avec des commissaires tatillons qui n’en finissent pas d’ergoter sur rien. Je me vois remplacé par
des nouveaux venus, des potes de copains de connaissances de candidats (tout parti confondu) , une joyeuse
clique que l’on rencontre collée sur toutes les terrasses de la Grand-Rue. Je tiens cette révélation de mon assistant lors du dépouillement, s'esclaffant à plus d'un bulletin, me signalant "Truc, Chose et Machin, et encore Bidule" qu'il croise parmi les habitués de tel ou tel débit de boissons. C’est ici qu’il faut s’avouer que la fréquentation de la messe et du fitness
rendent nettement moins populaire que la fréquentation de bistrots de
traîne-patins. Désolé, je n’ai pas de réseau de serveuses ou de potes de
bitures pour doubler mon nom (et/ou biffer celui des autres; pratique à propos de laquelle j'ai été affranchi il y a peu).
L’électeur a toujours
raison et s’il est mauvais, la faute aux politiques ! Mon homme, fraîchement
élu au sein d’un parti en vogue, m’explique encore que les Morgiens veulent de
nouvelles têtes, ou qu’ils ont voté bidule parce qu’il est beau, ou parce que
tout le monde le connaît … Je résume, je n’ai pas été réélu parce que je suis
un cageot que l’on ne connaît pas mais que l’on n’a plus envie de voir ?! Un détail m’échappe … Il paraît que c’est un plus, pour un parti,
que de renouveler ses troupes, ses élus; et, me dit-on encore, les
proches viennent-ensuite finissent toujours par siéger quand les nouveaux-venus
jettent l’éponge, rapport aux commissions bout de tuyaux trépidantes, ou quand
partent les vieux du parti qui ne se sentent plus chez eux. Dans les deux cas,
le signal n’est pas très engageant, cela fait légèrement « roue de
secours », ou pauvre à qui l’on fait la charité de ses vêtements vieux ou
passés de mode. Il faut encore affronter la tête des candidats qui vous connaissent et qui, après s’être
assurés de leur propre réélection, vous saluent avec ce petit quelque chose de
particulier que l’on adresse aux faillis ou aux perdants. Jusqu’à l’hypocri... euh, la diplomatie de certains qui hésitent avant
de monter dans leur voiture, se ravisent tout de même, s’en tiennent à des
propos d’une grande banalité, faisant mine de ne pas connaître les résultats,
ne s’étonnent même pas lorsque vous dites que votre parti a perdu un siège et
que ce siège était le vôtre. « Dans six mois, une année … », les
calendes grecques promises aux viennent-ensuite.
Premier conseil
communal d’après élection, le ton est léger, badin, quelques malades
diplomatiques, ballottage général à la municipalité, deux ou trois
interventions, des rapports expédiés en deux-quatre-sept. Les partants comptent
les conseils, les séances, les commissions dans lesquelles ils siègent ;
les réélus tirent des plan sur la comète, des alliances à venir, se demandent à
quoi ressembleront les nouveaux venus des autres partis … L’électeur a toujours
raison, même quand il a tort. Je ne parle pas pour moi, fermez-moi la porte au
nez, je rentrerai par la fenêtre, c’est un peu mon rôle de centriste, un
véritable 4x4 de la politique. Je pense avant tout à ces conseillers de longue date, investis et
désintéressés, sincères et balayés par un vote, parce que « pas assez sexy »,
pas de réseaux bistrot non plus, pas de titres, pas d’amis influents, pas de
profil sexy, selfie avantageux, etc. Balai neuf balaie bien, et le dévouement
civique ne vaut alors pas plus qu’une feuille morte.
dimanche, février 28, 2016
Retour de Toulouse
![]() |
"David" par Antonin Macié |
Pas facile de trouver quelques jours de libres en pleine
campagne communale vaudoise, d’autant plus que je ne suis pas le seul à me
présenter devant les électeurs, Cy. a été appelé par un parti de droite. Nous
occupons donc le pavé le samedi matin, jour de marché, dans des stands
différents. Et pour les relâches, nous sommes partis quatre jours à Toulouse
avec ses parents. La ville rose … ocre délavé sous la pluie, la météo n’étant
pas radieuse.
Difficile de vraiment « communier » avec les lieux
lorsque l’on est en groupe. A plus de deux,
le nombre importe sa propre logique, ses conversations, ses équilibres.
Toutefois … parfois … une fenêtre, un moment vide à la table d’un restaurant,
une brasserie, quelques mots de la conversation voisine. Toulouse fait
indéniablement partie du réseau des
bonnes villes de France, de ces capitales régionales, à la personnalité propre
et en constant dialogue avec LA CAPITALE, tantôt jalouse, tantôt prétentieuse,
un petit jeu touchant qui laisse Paris de marbre et force ces bonnes villes à
s’interroger sans cesse sur leur place dans le monde et dans le cœur de leurs
habitants.
Arrivée par un après-midi pluvieux, taxi, gymkhana sur
l’autoroute de contournement, appart’hôtel à deux pas de la Halle aux Grains,
encombrée de camions de France télévision, « Victoires de la musique
classique » oblige. La ville s’offre assez facilement aux visiteurs
occasionnels, il suffit de se diriger vers le centre pour tomber sur une
référence locale, « Père Léon », un lieu aimé des Toulousains,
une majorité de locaux dans la salle, une vaste terrasse chauffée sur laquelle
s’arrêtent des fumeurs mi-pressés, le temps d’un express, le temps d’une
cigarette assis et à l’abri.
Scène de rue, des punks à chiens qui mendient mine de rien,
avec leur bête au poil soigné, des animaux doux et timides, surtout doux, comme
leurs maîtres, d’un naturel sympathique, un peu honteux des aboiements de leurs
compagnons. La police veille au grain et défile lentement en voiture dans les
rues piétonnes. Il pleut toujours. Les agents observent tout de leur véhicule,
se contentent de quelques signes à un Rom, plus loin, assis sur un carton,
devant une grande enseigne, la sébile tendue sans conviction. Et le Rom de
regimber silencieusement par quelques grimaces à l’adresse de la maréchaussée
qui insiste d’un froncement de sourcil. Et le Rom de partir en soupirant, son
carton pose-fesses sous le bras. Mes punks à chiens avaient déjà filé. Et cet
autre Rom, pieds nus, couché, recroquevillé, la tête couverte et mimant
maladroitement des tremblements de froids. La pluie avait cessé et la
température devait avoisiner les … 12°. Le lendemain, temps dégagé, soleil
intermittent, 15°, et mon Rom toujours pieds nus, ou plutôt en lambeaux de
chaussettes, toujours dans son rôle d’homme réfrigéré, mimant tant bien que mal
le grand froid. Détail piquant, il avait le peton soigné, propre, propre ! alors qu’il est
sensé aller … pieds nus et, de plus, la plante lisse, sans cale, un pied qui
saurait certainement attendrir les fétichistes de ce genre d’extrémité.
La foule toulousaine est … urbaine, réceptive à son milieu,
bourrue lorsqu’elle est pressée, le plus souvent pleine d’attention. Et lorsque
le Toulousain est en service, il est d’une parfaite amabilité (restaurants,
musées, magasins) ; il aime son métier et ne fait pas/ne semble pas faire
de différence entre le local et le touriste. Pas un tag sur les murs, une ville
calme et heureuse … Quoiqu’un nombre non-négligeables d’arcades commerciales
étaient fermées, faillies, barrées de vieilles planches, sur la place du
Capitole même. Peu de femmes voilées mais, au détour de rues moins fréquentées,
de ces jeunes hommes en survêtements de marque, ce genre que l’on prête à … la
banlieue. Ils ont l’air d’attendre ou de comploter. Ils n’aiment pas le
touriste, ni le passant du reste, pas de geste inconsidéré, pas un mot, juste
un regard et cette mine fermée propre à ceux qui se méfient de l’irruption
soudaine des forces de l’ordre. Je ne connais rien de la politique locale, de
l’étiquette des gouvernants. Il s’agit peut-être d’un calme trompeur … Il faut
encore évoquer le grand nombre d’églises historiques, les ravages de la
Révolution et de l’affairisme sur celles-ci, deux musées assez bons, l’un
public et l’autre privé, quelques belles toiles dans les deux, une salle
entière consacrée à Bonnard dans la fondation privée, un David vainqueur de
Goliath, héros des plus jeunes et troublant au détour d’un escalier dans le
musée public ; l’œuvre est d’un artiste du cru, Antonin Mercié. Voici tout
le charme de la province officielle, capable de produire et admirer benoîtement
ce qui, objectivement, ressort de l’érotisme le moins avouable.
lundi, février 22, 2016
"La commisération des serpents", extrait
Lie de vin … ou bordeaux, une couleur si ce n’est rare ou
précieuse, particulière du moins. Il aime bien prendre un objet courant en
point de repère, une breloque de turquoise ou une paire de gants, en l’occurrence,
ne pas rouler un regard vide et imbécile autour de lui, fixer calmement l’objet
choisi le temps de remettre ses idées en place, de se retrouver. Avant qu’il n’instaure
ce petit rituel assez simple, il lui est arrivé des retours … comment dire,
mouvementés, voire acrobatiques. Il a aussi pris l’habitude de commencer par se
situer : le lieu, le moment, puis les détails plus prosaïques quant à sa
personne. Il ne s’inquiète plus de ne pas retrouver de suite son nom, il paraît
que c’est normal ; à force de transiter, il a développé ce qu’on appelle
une conscience universelle. Le nom et le prénom tiennent du particulier.
« On ne change pas une équipe qui gagne, surtout quand
elle perd », dixit un obscur auteur. Cette citation est devenue le motto
de Steeve, il aime la retourner dans un sens, dans l’autre, s’en pourlécher
installé dans un café chic, aux heures de bureau. Il aime faire un peu la roue,
il se rembourse des longues années au cours desquelles il s’est benoîtement
laissé marcher dessus par des jobards analphabètes. On lui donne du « Monsieur »,
on le sert avec empressement et il prend un air extrêmement détaché, hautain,
ailleurs. Ça ne fait pas
avancer le schmilblick … Qui peut bien encore savoir ce qu’est le schmilblick ?
A son dernier retour, non seulement il n’a pas retrouvé son nom avant une bonne
heure mais il lui a fallu une heure de plus, se souvenir du chemin à prendre,
retourner chez lui. Il est entré au hasard dans un cinéma, regarder n’importe
quoi, faire passer le temps, les effets se dissipent complètement au bout de
160 minutes, exactement. Brigitte, sa mère, trouve qu’il a changé, qu’il a le
caractère moins facile, qu’il est devenu intraitable, impatient, même s’il fait
bien plus « monsieur » à présent. Steeve travaille son rôle, comme un
acteur, d’où ses simagrées dans les établissements chicos de la ville. Il se
déride toutefois devant l’un des garçons du café N***, un brun, souriant,
aimable, toujours agréable et qui semble apprécier sa présence. Ce serveur s’adresse
à lui sans affectation, avec naturel et sympathie. Si Steeve était gay, il
aimerait draguer un garçon comme lui … mais il n’est pas gay, pire, sans sexe,
parce qu’amoureux d’une statue de cire. Il se comprend. Il a pourtant cherché à
« évacuer une certaine tension » avec une blonde pigeonnante accostée
en boîte, au « Temple » mais il a renoncé au milieu de l’action, pas
envie de se répandre pour si peu … et il aurait fallu rester un peu, les affres
de la conversation, des banalités, remettre le couvert. Non, trois fois non, et
on peut l’appeler à tout moment. Il a tout de même fait l’effort d’un mensonge
émouvant.
vendredi, février 12, 2016
"The danish Girl", avec Eddy Redmayne
L’accroche n’était pas des plus vendeuses,
façon curiosité socio-historico-sexuelle : le premier transsexuel de l’histoire
… Je conçois, je comprends mais me trouvant très à l’aise dans mon sexe et mon
orientation sexuelle… voilà, bof. Je me rappelle du terrible et émouvant
« Miss Mona » ou du subtil et féérique « Rose ». Il me faut
avouer avoir aimé tous les films que j’aie vus traitant de la transsexualité.
« The danish girl », toutefois, a pour lui un contexte, un décor
extraordinaire. Il s’agit d’une histoire de peinture, d’une émotion artistique
servie par une photographie de grand talent.
Côté fiche technique, la réalisation est
signée Tom Hooper (Le discours d’un roi),
la distribution repose sur un casting international et tout particulièrement
sur les très frêles épaules d’Eddy Redmayne, un jeune prodige qui avait déjà
interprété un Stephan Hawking plus vrai que nature. Eddy est the danish girl, si
convaincant et si pudique, un jeu fait de sourires las, de tressaillements,
d’une voix, d’un geste, le tout si vivant qu’il crève l’écran. Généreux dans la
performance, il laisse la part belle à ses partenaires, la Suédoise Alicia
Vikander (Ex-machina et Des Agents très spéciaux) son épouse, et
l’Allemand Sebastian Koch ( La Vie des autres) le chirurgien qui lui
fera changer de sexe.
L’histoire est authentique, elle débute au
Danemark, chez un couple de peintres, Einar et Gerda Wegener. La lumière,
l’atmosphère, Hooper a travaillé son sujet ; la référence à l’œuvre d’Hammershøi est évidente mais subtile, le petit plaisir d’un
amateur de peinture aux spectateurs amateurs de peinture ; certaines
scènes reproduisent l’une ou l’autre toile du maître danois. Ce sens artistique
exacerbé est du reste le fil rouge de la narration. Einar a du succès avec une
œuvre introspective, post expressionniste, baignée de sécessionnisme, un
paysage, quasi toujours le même, répété à l’envi, une grève, des arbres
dénudés, un ciel. Gerda peine à s’imposer, son œuvre est plus Art Nouveau, une
sorte d’Otto Dix féminin et par le mode de traitement, et par les thèmes. Lorsque
par jeu – en partie sexuel, voir la scène de la chemise de nuit en soie – Gerda
pousse Einar à s’habiller en femme, un bal d’artistes, elle comprend tout de
suite, se récrie et tient son sujet à la fois. Elle accouche de Lili, le double
féminin de son époux ; elle lui donne une identité, une existence à
travers les portraits qu’elle fait d’elle, des toiles qui remportent le succès.
Le reste du
récit est fait de lumière, d’amour, de souffrance et d’espoir … surtout de
souffrance. Comment comprendre le transsexualisme alors que, dans l’entre-deux
guerres, on croyait encore à l’hystérie féminine ! De spécialistes en
spécialistes, Einar reçoit les diagnostiques les plus fantasques, se soumet à
des traitements improbables alors que grandit Lili en lui. Gerda sent
s’éloigner son époux mais ne peut s’empêcher de peindre jusqu’à l’écœurement cette
Lili qui lui vole son mari. Après un fastueux épisode parisien, Lili
rencontrera le Dr. Warnecros, praticien à Dresde, chirurgien expérimental du
changement de sexe. Il sera celui qui permettra à Einar de … mourir dans le
corps d’une femme !
« The
danish Girl » nous raconte une époque, quand le XIXème siècle durait
encore dans le confort de la modernité du XXème. Il faudrait encore parler des
costumes, de la bande son, des seconds rôles, des décors … Une réussite
délicate, tout à l’image du traitement du sujet.
samedi, janvier 30, 2016
"Les deux vies de Louis Moray" de Stéphane Bovon
Après avoir
exploré, défriché, déchiffré le monde d’après la « montée », Stéphane
Bovon, en scénariste professionnel, a décidé de nous offrir un
« prequel » à cette catastrophe fondatrice – l’élévation des eaux
jusqu’à l’altitude symbolique de mille mètres. Le troisième tome de la suite
« Gérimont » nous raconte la jeunesse du roi Louis Moray à Vevey, de
nos jours. La fresque est truculente et notre bon Stéphane en profite pour nous
narrer sa ville, les lieux emblématiques et, surtout, son microcosme politique.
Laurent Ballif, Fabienne Despot, Jérôme Christen, Oskar Freysinger en guest
star, et quelques autres encore, la peinture est enlevée, on rit à chaque
ligne, pas même d’un rire méchant. Bovon est une crème d’homme, jamais véreux,
méchant, énervé : un ami solide, ouvert, curieux, capable de toujours voir
le meilleur chez autrui … Vous avez affaire à mon double inversé ! Là où
je vous aurais glissé quelques vacheries à mots couverts, du sous-entendu en
mine de rien vitriolé, notre auteur nous offre un regard bonhomme et
perspicace.
Vous l’aurez
compris, cette saga Gérimont est le prétexte idéal afin de se regarder avec
distance, quasi la vérité d’un conte et Stéphane Bovon – dessinateur, auteur,
éditeur, graphiste, performeur, comédien, dj, etc. – nous fait partager sa …
sagesse. Sincèrement, et sans ironie, Stéphane est un puits (sans fond) de
culture au service d’une philanthropie à la portée de tous. Il dévide une
conception créative et sagace de l’histoire et du système politique
helvétiques. Cela tombe si juste que je n’ai quasi rien à y redire, trois fois
riens, du détail, une absence un peu marquée de l’Eglise catholique dans la
réalité religieuse vaudoise contemporaine et le fait de désigner les Habsbourgs
et leurs troupes « d’Autrichiens ». Habsbourg, le berceau de la
famille impériale, est un village … argovien et, à l’époque du soulèvement
d’Uri, Schwyz et bidule, la région avait les Habsbourgs, une famille du cru
donc, pour seigneur. On ne parlait même pas encore d’empire autrichien mais de
« Saint Empire romain germanique ». Du détail.
Le premier tome
était un choc, le second permettait au lecteur de « creuser le sillon » ;
il fallait marquer les esprits avec le troisième, le meilleur des trois à mon
avis, un texte que vous pouvez lire indépendamment de ses deux prédécesseurs :
la satire politique se suffit à elle-même. Il est du reste étonnant que l’on n’ait
pas fait plus d’échos aux « Deux vies de Louis Moray » en cette année
électorale !? Une municipale de Vevey m’en faisait la remarque, me
confiant encore qu’elle avait tant ri. Bovon affecte un style « décontracté »,
un joli travail de discours direct-indirect libre et le reste dans une écriture
fluide aux effets certains et discrets. Le texte est plaisamment référencé,
bandes-dessinées, pop-rock, peinture, surtout peinture, tout l’éclectisme de l’auteur.
C’est ici que l’on rappelle la présence d’une toile de Picasso première période
au musée Jenisch, un bassin dans le cloître de la cathédrale de Barcelone. Le
roman se termine sur cette toile du reste, et quelques mystères. Bovon a mené
une intrigue façon « Lost », scénario sophistiqué et lyrique sur le
ton d’Achille Talon. Une lecture nécessaire.
mardi, janvier 19, 2016
"Des Geôles" de Jean-Yves Dubath
Voici le roman subversif de 2015, loin devant les
gribouillis de littérateurs agités, imbibés ou non, sous influence ou non,
portés sur le sexe ou juste vantards : aucun d’eux n’arrivent à la
cheville de Dubath avec son « Des Geôles ». La presse est quelque peu
passée à côté, les libraires un rien moins et comment atteindre son lectorat
lorsqu’on n’est pas invité à faire la roue sur des plateaux de télé locale,
d’autant plus lorsque l’auteur jouit d’une syntaxe exigeante et use d’un riche
vocabulaire.
Il est nécessaire de goûter le verbe walsérien de notre
homme, sa sensibilité à fleur de plume, cette prise de risque maximale qui
consiste à se livrer, sans faux semblant, à ses lecteurs, à travers des sortes
de didascalies à l’intrigue. Il y a le Dr. Raoul Aeschlimann, le criminel
Albert Wasser, Mlle Rietberg, assistante sociale à la prison de S. et Mlle
Juliette, une perruche, compagne du détenu – à perpète’ – Wasser. On se trouve
dans le huis clos d’une prison, du milieu carcéral, du carcan social, des
Grisons. Le Dr. Aeschlimann tient de l’antihéros social comme aimait les
décrire Robert Walser. Le bon Raoul est, soit, médecin, longue carrière, mais
sans la blouse blanche du chercheur ou du chef de clinique arrivé. On pressent
que la pratique personnelle de son art l’a mené à exercer en prison. Le bon Dr.
se met en marge, volontairement, par dégoût modéré du système, de ses
complaisances : le cœur d’un juste, d’un pur bat dans sa poitrine.
Dubath nous laisse entrapercevoir les raisons de
l’incarcération de Wasser, crime sadique à caractère sexuel, du pain béni pour
les psypsys à taulards, les sociologues, les je-ne-sais-trop-quoi-o-logues, du
joli monde qui exerce avec assurance et de confortables salaires. Et si le
patient leur échappe : bourrez-le de calmants. Et on passe au suivant. Et dans la bonne
humeur. Toute l’horreur du gentil système nous est montrée, démontrée, cette
horreur est juchée sur des hauts talons qui claquent, Mlle Rietberg, la cruche
de service, avec cette bonne parole réconfortante à la bouche, le goût de la
soumission helvétique, la grandeur nationale : se faire nabot face à la
montagne.
dimanche, janvier 10, 2016
"Le Royaume" d'Emmanuel Carrère, suite et fin
![]() |
L'auteur en dédicace |
Lire « Le Royaume », jouir de la promesse du
printemps par une fin de journée, janvier par exemple, le couchant, une heure
dont les merles chantent la douceur, et croire que l’hiver ne sera plus … Oui,
croire, suivre sans raison cette intime conviction qui vous fait vous
émerveiller au chant délicat et mélancolique « des oiseaux du ciel ».
« Le Royaume » est un texte brillant, drôle, alerte, d’un style subtil
et aimable à la fois, pas d’effets gratuits, une parole sincère, tout
simplement, et la coulisse du récit offerte aux lecteurs avec cette même
simplicité. J’ai terminé la lecture de ce pavé dont la taille représente le
seul défaut, et je ne parle pas du nombre de pages, du temps qu’il faut
consacrer à sa lecture, juste de la taille de l’objet, un peu encombrant et mal
commode à manipuler, surtout dans les dernières pages.
J’ai donc terminé ce voyage auprès de saint Luc, l’irascible
saint Paul, saint Marc, ou plutôt saint Jean-Marc de son vrai prénom. Et saint
Jacques le majeur, saint Pierre, le colérique saint Jean et le Pommadé … Celui
qui est « frotté d’huile », oint … le Messie. Voilà exactement le
genre d’anecdote que glisse Emmanuel Carrère dans son récit. Il avait, avec
d’autres auteurs, participé en son temps à une version réactualisée de la
Bible, dépoussiérer une phraséologie trop pompeuse encombrée de termes usés,
d’où le « Pommadé » glissé par le comique de la troupe.
Je l’avais déjà signalé dans ma critique à mi-parcours,
« Le Royaume » est le meilleur ouvrage d’histoire biblique qu’il
m’ait été donné de lire … quoique je ne sois pas un grand lecteur de ce genre
documentaire. Emmanuel (littéralement Dieu
est avec nous, je sais, je l’ai déjà glissé dans le premier volet de ma
critique), Emmanuel donc, en parallèle des aventures et mésaventures du doux
et, apparemment pusillanime Luc, nous refait le récit de la rédaction des
évangiles et du reste du canon du Nouveau Testament. Les textes les plus
anciens sont vraisemblablement l’évangile selon saint Marc (Jean-Marc) et les écrits
pauliniens. Jean-Marc serait le fils de
la femme qui reçut Jésus et les apôtres pour leur dernier repas, la sainte
Cène. Jean-Marc parle le grec comme « un chauffeur de taxi pakistanais à
Londres parle anglais », dixit Carrère. Marc s’exprime à l’aide d’un verbe
sec, sans fioriture. Dans son évangile, le Christ se montre révolutionnaire et
carré, voire péremptoire. De leur côté, les lettres pauliniennes ne font pas
grand cas de la personnalité du Christ ; le dernier apôtre n’a en tête que
l’organisation des jeunes communautés chrétiennes et l’ouverture de cette foi
aux gentils … aux goïs, aux non-circoncis à qui le ciel est tout de même promis
en dépit de leur prépuce. Puis viendrait l’évangile selon saint Luc, médecin de
culture grecque, frotté de judaïsme, ayant fortuitement rencontré Paul en
tournée dans sa Macédoine natale. Il le suivit, de Jérusalem à Rome, ce qui lui
permit de rencontrer ceux qui avaient connu le Christ et conservaient son
souvenir, son enseignement à travers une sorte de recension de ses paraboles,
de ses coups de gueule aussi. Cette source fantôme (appelée source Q par la
théologie) est présente chez Luc mais absente chez Jean-Marc. Quant à
l’évangile selon saint Jean, il résulterait effectivement de l’enseignement du « disciple
préféré », paroles recueillies dans son grand âge par un autre Jean, un
grec d’un genre plutôt platonicien qui rendit ce témoigne de manière très
intellectuelle. Et Mathieu ? le
dernier évangile, le plus sobre, le plus consensuel, construit autour de la
source Q, une sorte de récit à l’usage des communautés orientales. Mathieu
serait plus une marque qu’un individu authentique.
Et Carrère en vient à évoquer la guerre judéo-romaine, la
Rome de Caligula, de Néron, de Vespasien ; il n’oublie pas de convoquer
l’historien incontournable et contemporain de ce premier siècle :
Flavius-Josèphe, poser le décor. « Le Royaume » peut se lire à la
manière d’un roman historique, on est quasi dans le docu-fiction
« Rome », avec le making-off en parallèle. Carrère fait carton plein :
l’esprit, l’humour, la culture, le don de conteur, il a tout, cet auteur, tout
sauf … la foi ! Il aimerait y croire mais ne trouve aucune preuve, rien de
concluant. Il s’astreint à un « lavage de pieds », chercher un
dernier petit bout de foi jusque là. Il n’a pas l’air de souffrir de cet état,
il ne cesse de s’interroger à son propos, comme de mes amis hétéros qui finissent
par coucher avec un homme afin d’éloigner d’eux l’hypothèse de méconnaître leur
homosexualité ! Je reste coi. Et si notre auteur n’a pas retrouvé cette
foi qu’il a pratiquée avec ferveur durant trois, ans avant de s’en détourner
comme d’une lubie, son roman, le fruit de sept ans de recherche, nourrit
copieusement l’inculture philosophique et théologique de croyants dans mon
genre.
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