mardi, février 11, 2014

"La Montagne magique", suite et fin

Vous aurez reconnu une œuvre de Hodler
Il faut éloigner de prime abord la question qui, habituellement, se pose à propos de tout travail littéraire : est-ce bon ? Une œuvre de mille pages  et d’une telle portée morale dépasse de loin les critères d’évaluation traditionnelle. Soit, Thomas Mann se regarde parfois écrire, les disputes qu’il met en scène entre Settembrini et Naphta sombrent dans les arguties absconses ; d’autres fois, il se laisse aller au lyrisme de descriptions pompières de la montagne, sa beauté, etc. Mais il y a la petite musique d’un jour après l’autre, la personnalité de Hans Castorp, l’honnête homme version wilhelminienne, un « Wanderer » modéré transitant d’un siècle à l’autre. Le sanatorium, la tuberculose ne sont qu’une excuse, un mal dont on mourrait honnêtement chez soi avant qu’il n’ait un nom. Cette affection n’a pas encore disparu mais les deux guerres mondiales l’ont reléguée au rang d’avatar sanitaire. Hans se laisse prendre aux bobards scientistes des médecins entrepreneurs qui tiennent le sanatorium du Berghof. Et dans ce XIXème qui n’arrive pas à finir en ce jeune début du siècle suivant, on s’ennuie tant, on se cherche des maladies, des troubles, on se bricole sa croix et on fourbit les clous pour une crucifixion entre gens du monde. Hans n’échappe pas à cette marotte, il se laisse prendre par naïveté.

Thomas Mann, entre le mémorialiste et le fabuliste, raconte les quelques années qui précèdent la Grande Guerre sur un mode allusif. Chaque personnage prend une dimension allégorique, représentant soit une identité nationale, un groupe culturel, une communauté religieuse, une classe sociale. Ils se rencontrent tous quatre fois par jour au moins, dans la salle à manger où ils s’installent à l’une  ou l’autre des sept tables, comme autant de pays. Un individu, pour peu que son séjour dure suffisamment longtemps, passera par chacune de ces tables. Valse des étiquettes, des identités sociales. Les empires centraux étaient bien plus cosmopolites – et démocratiques – que ce que l’on veut bien croire au regard de nos étroits Etats. Et l’Union européenne ne retricotera pas le lien rompu après la dissolution de l’Autriche-Hongrie et le dépeçage du reich allemand, le second, celui des empereurs Guillaume à moustaches. Tout un monde a été sottement liquidé avec l’armistice et, sur ce miraculeux alpage, on n’est pas fichu de goûter honnêtement aux derniers instants de cette bonne vie à laquelle chacun aspire. Le récit se termine quasi en pétard mouillé, le brave Hans, la queue entre les jambes, pas vraiment guéri, après avoir approché le grand amour idéal, s’en repart pour le champ de bataille sans la moindre « connaissance biblique » de la dame russe. On ne sait pas même s’il s’en est sorti ou pas, indemne ou quelques membres en moins. On ne peut garder à l’esprit que le bon garçon bien nourri jouissant de son tub en caoutchouc lors de sa toilette matinale.

Ce cher « enfant difficile de la vie », selon l’expression du pédagogue franc-maçon prosélyte Settembrini était en fait l’enfant docile d’une vie difficile. Orphelin très jeune, recueilli par son grand-père puis par un oncle à la mort du précédent, il se voit contraint à une carrière en dépit de sa sensibilité et de quelques dons artistiques.  Il doit mériter sa « bonne vie » et la gagnera comme ingénieur jusqu’à la parenthèse curative, son séjour sur les pures hauteurs, et ce jusqu’à l’oubli du peu de famille et de relations qu’il avait en bas, du côté de Hambourg. Du danger de sortir de nos routines, nous crie Thomas Mann. Et la guerre comme une ultime lubie, une crise bien plutôt, un coup de sang, une congestion, une fluxion ! le genre de chose à l’origine du décès du sénateur Thomas Buddenbrook. Un mal aussi inexplicable, spontané que ravageur. Après mille pages, trois mois de lectures lors de déplacement de toute sorte (Berlin, New York, Münich, Zürich – tiens, tiens, des destinations très « manniennes »), j’ai envie de connaître la suite, d’écouter les conclusions que Castorp tire de son expérience, de savoir comment il a fait après sa démobilisation car je suis persuadé qu’il a survécu. Je ne sais pas s’il a été blessé, j’attends des nouvelles, je vous les communiquerai dès réception.

mercredi, février 05, 2014

Retour de Barcelone


Regarder l’horizon, à la limite de la mer et du ciel, remplit l’âme de douceur et les yeux de larmes. Merveilleux ailleurs à vue et, pourtant, inatteignable. Retourner à la mer primordiale signifierait devenir partout l’horizon, être l’ici et le là-bas, l’alpha et l’oméga, quitter sa finitude humaine pour s’associer à son Créateur. Heureux les peuples en bord de mer. Ils connaissent l’exaltation innocente du beau temps, un soleil toujours aussi jeune à chacune de ses apparitions. Et le vent, léger, qui joue avec les voiliers.

dimanche, janvier 26, 2014

Revenir sur Vallotton, exposition au Grand Palais

Pour en terminer avec Vallotton au Grand Palais, une semaine après la fermeture de l’exposition, bilan très positif quant à la renommée du peintre vaudois – vaudois, j’insiste, même si Félix vécut depuis ses dix-sept ans à Paris, il grandit à Lausanne et ne rompit jamais le lien avec sa famille, ses origines. Dans mon précédent billet, j’avais évoqué les portraits, les nus, les scènes mythologiques et les xylographies. Je vais m’arrêter à présent sur les paysages, trois toiles qui me semblent emblématiques.

Dans mon carnet d’exposition, ai noté, à propos des Andelys, le soir, toile de 1924, (73,3x60,5) :

« La suavité d’un coucher de soleil, en mauve, bleu, vert d’eau, un soleil couchant, son reflet dans l’eau, douceur extrême, mélancolie, aspect « pastel », une grande présence et pourtant pas une figure humaine, un chemin solitaire. »

Je suis revenu à trois fois devant cette œuvre, la meilleure de tout l’accrochage à mon avis. Je ne la connaissais pas, et pour cause, elle appartient à une collection privée. Le sentiment est profond, ample. Impression de recevoir la confidence d’un ami de longue date, de se retrouver soi-même dans la sourde nostalgie de cette solitude du bout du jour. La présence physique de la toile est grande, en dépit d’un mauvais éclairage, d’une glace protectrice et de la foule. Ce bord de Seine aménagé, se tenir juste à la limite du flux de la vie, un appel à la paix et quelques regrets, peut-être ceux de ne pas y arriver, le courant joyeux de la renommée, du succès, du plaisir bourgeois. Le point où l’esseulement et une peine délicate valent tous les trésors du monde.

Tiré du catalogue, Exposition Vallotton, Grand Palais, tous droits réservés
Deuxième toile, La Cathédrale de Petropavlovsk, 1913, (73x92) :
           
« Surprenant Vallotton à la limite d’Hammershøi et de Hoper, quelques piétons anonymes sur une place, une rivière, la cathédrale sur l’autre rive. La place est dans l’ombre, la rivière et l’autre rive en pleine lumière ; contraste. »

Il se raconte que Vallotton n’aurait jamais mis les pieds à Petropavlovsk, ville d’Extrême-Orient russe ; la vue n’a du reste rien de particulièrement russe, hormis son nom. La couleur du ciel indique, soit, un pays du Nord, un pays où règne l’un de ces hivers fait de gris lumineux, d’horizons plats et infinis, cité improbable, appel à un ailleurs, une grande ville anonyme, le confort de l’anonymat qui représente le sujet même de la toile. Quelle était l’intention de Vallotton ? Exploiter l’exotisme d’un dôme, sorte de stupa post-industriel dans un style IIIème République ? Ou le rapport d’une rive à l’autre ? La lumière, le soleil, l’idéal d’un côté et l’ombre, des passants pressés de l’autre ? Il était interdit de photographier la toile ; combien de visiteurs, négligeant cette injonction, après être restés hypnotisés par cette vue en ont emporté un cliché.


Troisième toile, Honfleur dans la brume, 1911, (82x88) :

« La ville quasi solitaire, vue en contre-bas, la colline boisée, le chemin qui mène au village, tons gris. Douceur, nostalgie, présence en dépit de l’absence de figures humaines. La brume ne remonte pas jusqu’à la colline, des frondaisons d’un vert marqué, une autre saison. »


Honfleur était la villégiature de la famille (recomposée) Vallotton. Le peintre y appréciait le littoral. Souvent, les toiles qu’il y réalisait laissaient transparaître une sorte de malaise, une mise à l’écart volontaire. Il y a les autres, leur bonheur confortable et Vallotton, son indicible mal-être en dehors. Dans ce « Honfleur dans la brume », la donne est inversée. Le lieu social, la ville, les maisons, le foyer sont en dessous, léger brouillard, comme un songe, une fantasmagorie floue. Vallotton se tient sur la colline, hors le brouillard, parmi une végétation luxuriante. Il doit être seul, sans mélancolie, à croire qu’il jette un dernier regard en-dessous avant de reprendre sa route.


lundi, janvier 20, 2014

Exposition Vallotton au Grand Palais, finissage.



Autoportrait, Félix Vallotton, 1885
En préambule, il est nécessaire de dire à quel point le Grand-Palais, en dépit de la majesté et de la taille de l’édifice, est un espace d’exposition mal adapté, aménagé avec approximation ; pas de vrai hall d’accueil, un vestiaire microscopique, pas de casiers à monnaie, des toilettes (comme partout dans Paris du reste) qui donneraient plutôt envie de se soulager dehors ou dans l’escalier, pas de cafétéria et la clientèle ! La plupart des Parisiens courent les expositions de peinture comme on va à la foire du Trône, on s’occupe, on se distrait un peu, on passe le temps et on encombre doublement l’espace (station et conversations/commentaires déplacés), à moins qu’ils ne sacrifient au culte de la culture, véritable religion laïque et bobo, sans pour autant que cela ne repose sur un attrait sincère. Snobisme. Les Parisiens ont gardé l’habitude des « Salons » où ils allaient traîner savate sans chercher un dialogue avec les œuvres, sans chercher à se laisser émouvoir. Quant aux professionnels de la chose culturelle, Vallotton leur glisse entre les mains. Sa sensibilité, sa mélancolie, sa réserve leur composent une véritable énigme.

L’exposition peut être considérée comme un succès … pour ceux qui ont découvert Vallotton à cette occasion et se sont laissés toucher. Pour les coutumiers de l’œuvre, il est permis de relever plus d’une maladresse. L’accrochage commençait par le fameux autoportrait, le premier, Vallotton à vingt ans, revêche, une œuvre remarquée au Salon de 1885. La toile ne respire pas assez, on l’avait placée à droite de l’entrée, sans dégagement, alors qu’il eût peut-être fallu réserver une paroi entière à sa radicalité, face à l’entrée. D’autres portraits étaient accrochés de ce côté-là, en forme d’accueil.

Il a été tenté une présentation de l’œuvre vallottonienne selon un ordre chronologique et thématique. Il en résultait des sortes de « hiatus », des ruptures du fil narratif, ce qui tend à prouver à quel point Vallotton échappe à la critique artistique. Elle ne peut le comprendre car elle l’interprète comme un peintre français et Vallotton – serait-ce un karma familial ? – est un transfuge et le sera sa vie entière en dépit de son attachement à la République et en dépit de sa nationalité acquise par mariage. Les errances de cette critique sont marquées par la pauvreté du commentaire des toiles à caractère mythologique (Orphée dépecé, Persée tuant le dragon, Satyre enlevant une femme au galop, etc.), toiles en trop grand nombre au Grand-Palais et qui sont, à mon avis, parmi les moins bonnes de mon illustre cousin. Personne ne semble relever l’ironie de tels travaux, comme une manière qu’eut le peintre de se payer la tête de l’histoire de l’art et de ses pompeuses références, à savoir de la miche au kilo en dépôt de bilan, voir Étude de fesses. Seule trace de cette ironie, les commissaires ont pensé à placer une étude de … jambon en pendant du fessier cellulitique.

Principal mystère vallottonien, le rapport de l’artiste aux femmes. Était-il gay ? Sans sexe ou peu porté sur la chose plus vraisemblablement. Une fois de plus, difficile de comprendre l’attitude « coincée » de notre homme si l’on ne connaît pas les conditions de sa jeunesse vaudoise protestante, le poids de la morale, le refoulement en vertu cantonale cardinale. Mais il vivait à Paris depuis ses dix-sept ans, me direz-vous, les petites femmes légères, légères, la bohême artisteuse et ploum ploum tralala. Oui mais non ; Vallotton reste fidèle à sa race. Quelques inquiétudes familiales quant à sa relation avec Hélène Chatenay, une jeune femme charmante dont il fit son modèle, qui vivait avec lui … et qui avait d’autres galants. Pas l’ombre d’une paternité « sauvage ». Soit, il y a les aiguilles à tricoter et Vallotton était peut-être infertile. On ne lui connaîtra qu’une seule autre femme, son épouse, Gabrielle, veuve du galeriste suicidé Rodrigues-Henriques. Vallotton n’eut pas besoin de lui faire des enfants, elle en avait déjà ! A relever que la femme dans la peinture vallottonienne et l’œuvre gravée est un être majoritairement manipulateur, infidèle, castrateur ou une présence anonyme, une silhouette de dos. A moins que ce ne soit une réponse de Vallotton aux motifs en vogue (La Blanche et la Noire en échos à l’Olympia de Manet ou La jeune Fille au Perroquet, thème des plus courants depuis le portrait de Mathilde de Canisy par Nattier, voir aussi le nu de Courbet). Si Vallotton n’est pas gay, il est passablement misogyne. Sa maîtresse puis son épouse représentaient avant tout le foyer, la cellule familiale (voir le cas de Thomas Mann et son épouse Katia Mann-Pringsheim).

Pour clore ce billet, l’œuvre gravée était donc abondamment présentée. Son évidence narrative, sa modernité, sa propension à évoquer une situation en quelques traits fait de Vallotton un auteur de BD avant l’heure. Le tirage de l’épreuve de justification de destruction des bois, succession d’extraits d’une suite de dix xylographies, les Intimités, semble raconter en raccourci un vaste roman bourgeois, du Mauriac sous le trait de Tardi. Cocorico oblige, la suite « C’est la Guerre » figurait en bonne place. Vallotton y montre plus son horreur du conflit, de ses ravages qu’il prend parti. Il aimait soit à parler de sa « haine du boche » mais le sentiment semble artificiel, sans fondement.


… les paysage et les intimités à suivre dans un prochain billet.

lundi, janvier 13, 2014

"Musique dans la Karl Johan Strasse", extrait 3


Cathédrale de Beauvais par Henri le Sidaner, 1900 

Beauvais,  la cathédrale Saint-Pierre au crépuscule, diaphane, dorée, miraculeuse au bout d’une étroite rue, la rue Feutrier, la façade ouest du transept, la douceur d’une fin de journée estivale telle que la représente Henri Le Sidaner en 1900, exposition « L’idéal Art Nouveau », au Palais Lumière, Evian. Une brève escapade de quelques heures « à l’étranger » ; une brève escapade de quelques heures dans mes territoires passés, mon ex-francophilie, le souvenir de ma vie à vingt ans, le plaisir d’un peu d’art, rien de dérangeant, idéal balnéaire, Maurice Denis (1870-1943), dix, quinze, vingt ans après « Musique dans la Karl Johan Strasse », à croire que l’artiste essaie d’y croire, les dernières vacances avant la catastrophe. La vasque de la villa Médicis dispense sa fraîcheurs et son clapotis, la ville éternelle au-delà de la terrasse ; une colonie de vacances à Trégastel, sous la gouverne de bonnes sœurs en cornettes éclatantes, un après-midi clair, ou le goûter dans un intérieur simple mais la belle lumière d’une fenêtre. Il y aussi Honfleur, un sentier sous les arbres, le village en contrebas, la villégiature estivale de Vallotton, je verrai cela la semaine prochaine, une fugue d’un weekend.
            L’hiver existe-t-il dans l’Art Nouveau ? voir « La Neige » (1913), de Maurice Boudot-Lamotte (1878-1958). S’agit-il encore d’Art Nouveau avec ce paysage de banlieue en gris, brume, neige et fumées (train et usines pour cette denière). Les voies sont à peine marquées en sale dans la neige et derrière un maigre bosquet luit un regard orange, les phares de la locomotive. Tout semble brouillé par le froid et la suie. Nostalgie ? Inquiétude ? Torpeur ! rester encore un peu dans un demi-sommeil, prolonger « l’âge d’or ».
            Je reviens encore à la cathédrale de Beauvais, la toile du Sidaner, la douceur des tons, l’onctuosité du pinceau, la maîtrise élégante de la technique, la profonde paix de l’instant, captée par l’artiste, rendue par la toile. Entre promesses perdues et joie de retrouver ce qui est passé.

dimanche, janvier 05, 2014

Adventure Time

Jake, le chien jaune aux pouvoirs magiques, et Finn, un pré-ado malicieux, toujours coiffé d’une cagoule qui lui fait deux oreilles animales, forment le duo vedette d’Adventure Time, une série d’animation américaine. Jake et Finn ne sont pas seuls dans le monde de Ooo. Il y a la princesse Chewing-Gum, le roi des Glaces et son pingouin Gunter, le roi Liche, Marceline la jeune vampire, BMO (à prononcer Beemo) la console de jeu vivante de Finn, et tant d’autres personnages loufoques à la Hanna-Barbera, tous sortis de l’imagination du créateur de cette série à succès, Pendleton Ward, diplômé du California Institute of Art.

Au-delà des chiffres, d’un engouement exponentiel, Adventure Time séduit par son ton décalé, limite absurde et subtilement référencé. A relever, nous avons affaire à du travail soigné : neuf mois par épisode, un scénario écrit, des dessins faits mains.  On se laisse attraper le doigt sur la zapette, entre deux panneaux publicitaires et une fin d’émission rasante, et on reste collé sur Cartoon Network, ce qui est tout de même un peu honteux. La bande son est aussi léchée que le dessin, une mention particulière pour les versions françaises, très écrites, fluides et en bon adéquation avec la musique. Jake le chien jaune s’allonge, se déforme, prend la taille d’un géant, se met à voler … C’est toute la culture enfantine du spectateur adulte qui est invoquée.

Il m’est déjà venu l’envie de « révéler » mon admiration pour cette série. Dès la première fois, un samedi soir aussi, heure indue, et une belle histoire d’amitié, d’affection sincère, une histoire toute bête et touchante … Car Adventure Time touche toujours au but, droit au cœur, avec poésie, innocence et morale. Finn est une sorte de Wanderer dépourvu de la moindre once de tragique. Il est ce petit homme (au sens d’être humain) qui traverse bravement son parcours initiatique ; on appelle ça l’enfance puis, plus généralement, la vie. Finn, c’est nous. Ce soir, je franchis le pas, j’en fais un billet, après être resté frappé et ému par l’épisode « La Brume des souvenirs », un épisode musical au cours duquel Marceline la vampire aux accents de Keren Ann donne la réplique à un néo-Benjamin Biolay/Roi des Glaces au son d’un clavier et d’une boîte à rythmes un peu ringarde ou super tendance. Cet épisode place définitivement toute la série dans la catégorie des contes, et des plus précieux : les consolant.

mercredi, janvier 01, 2014

Das Neujahrskonzert der Wienerphilarmoniker 2014

Il fait beau sur Vienne, Musik Verein, année du centenaire, 2014, 1er janvier. Juste un peu trop tôt, comme chaque année. Étrange tradition néo-sissiesque, post-sécessionniste (rapport au mouvement artistique), charmante, désuète et si « trendy » depuis quelques dix ans, le Concert de Nouvel An me renvoie à des souvenirs d’enfance ; le déjeuner chez mes grands-parents, jarrets de veau au menu, c’était toujours ainsi. Comme le concert ou le défilement des ans : une sorte de mouvement perpétuel.

Depuis, j’ai investi le mythe, l’ai enrichi de la suite des Sissi, de quelques séquences d’histoire, de ma découverte de Berlin, d’une histoire malheureuse à Vienne, de mes lectures de Thomas Mann, Thomas Bernhard, Sigfried Lens, von Keyserling … mes lettres germaniques. Cet attachement personnel et général pour un évènement culturel finalement assez province – il ne s’agit pas de jouer des pièces de Wagner ni de Schönberg mais uniquement du ploum-ploum tralala dirigé par un copain de l’orchestre – cet évènement, donc, ne peut s’expliquer dans la durée que par la volonté de recoller ce qui a été brisé, « racommoder » une pièce de porcelaine, avec mortier et pose d’agrafe.

Août 1914, un bel été certainement, et tout bascula … Nous avons pris la mauvaise voie, nous, l’Europe, nos « prédécesseurs ». Avec la paix, ils brisèrent, tout espoir d’un XXème (et d’un XXIème ?) siècle harmonieux, progressiste, vertueux. Étonnant qu’après l’Anschluss, parmi les bruits insistants de bottes, le Wiener Philarmoniker eût l’idée d’organiser un tel concert de musique légère, c’était le 30 décembre 1939. Le rappel insistant de ce que l’on avait perdu il y avait un peu plus de vingt ans (la débâcle de 18) ou une volonté d’inspirer le nouveau Reich ? Quoiqu’il en soit, la tradition traversa la guerre et, durant la guerre froide, connut même sa première diffusion télévisée.


Eurovision, cinquante pays « arrosés », même des pays d’Afrique subsaharienne : das Neujahrskonzert est devenu le symbole, le fétiche de notre bonne vie perdue, la lumière des César qui brille encore à défaut de nous éclairer. A quand le retour du Heiliges römisches Reich, vaste État responsable avec ses parlements locaux et sa légitimité plutôt que le diktat de Bruxelles ! Quand pourrons-nous céder, dans la confiance, à la suavité de cithare de la légende de la forêt viennoise ?

samedi, décembre 28, 2013

Wien Berlin, Berlinische Galerie



Troisième extrait de « Musique dans la Karl-Johan Strasse », autofiction en cours de rédaction.

"Mädchen mit Hut", Franz Lerch, 1929
Le portrait de Johanna Straude, par Klimt, une œuvre de la débâcle (1917/18), et pourtant un regard clair, une tenue, une élégance moderne intemporelle. Exposition Wien Berlin, à la Berlinische Galerie. Il y a cette folle de Baladine Klossowska à côté, la mère de Balthus, par son frère Eugen Spiro en 1901 ; un homme nu en face, une toile de Kolo Moser, de l’authentique néo-Hodler. L’homme nu est musclé, solide, dessiné, il avance la tête baissée, il regarde son sexe ?! Je surprends mon reflet dans la glace d’une vitrine. J’aurais dû mettre une cravate, j’ai une coupe de cheveux qui n’est pas sans rappeler celle des modèles, la coupe dite allemande, courte et structurée. J’aimerais avoir sur le temps, l’époque, le regard lassé et distant d’Elisabeth Bergner, un portrait par Emil Orlik (1925). Elle se tient de profil, la tête rejetée en arrière, le buste de trois-quarts face, un teint de rêve, certainement obtenu grâce aux miracles d’un maquillage adroit. L’inquiétude du regard de Schönberg par Max Oppenheimer, en 1909, son crâne d’œuf, sa bouche mi-pincée, les yeux tournés vers la droite, il n’a apparemment pas envie de voir une Nini chatte en l’air à l’aquarelle, par ce petit bourgeois branleur d’Egon Schiele. Deux ménagères effarées, au marché, par Max Beckmann, un extrait d’une œuvre plus grande de 1914 que l’artiste a taillée en 1928. Le cynique, le désabusé a malicieusement retenu l’anecdotique, une vieille à calotte et capote tenant le bras d’une bien plus jeune, forte poitrine, grand chapeau, et les deux la bouche ouverte, stupéfaites et figées. Ce que craignait Schönberg dans la salle précédente est-il arrivé ? Un autre extrait de cette même œuvre de Beckmann, la toile est en pied et montre une famille bourgeoise en calme fuite ; l’inquiétude de monsieur est lisible, l’agacement de madame, l’insouciance des enfants, la soumission de la bonne. Un pré-Picasso par Otto Dix, 1922, à l’aquarelle, un blessé de guerre qui ressemble à Marie-Thérèse Walter. L’inquiétude de Schönberg était donc fondée. De nouveaux tourments dans le regard de Lola, en 1927/28, un portrait dans un goût hispanisant par Christian Schad, une brune aux grands yeux, un éventail à la main, un châle rouge sur les épaules, des aplats de couleur et de la moustache comme chez Frida Kahlo. Quant à Franz Lerch, il a vraisemblablement préféré fuir aux Etats-Unis (voir « Schlafendes Mädchen », 1930) afin de donner libre cours à son goût de la lumière sur un mode Hoper, ce sens américain des choses simples de la sensualité que l’on retrouve jusque chez Katz. Il faut terminer sur la « Mädchen mit Hut » de Lerch aussi, une rive en 1929, l’été, la silhouette garçonne du modèle, son regard dans l’ombre de son couvre-chef. Je quitte Berlin sous ce regard.

mardi, décembre 24, 2013

La Liste de Schindler



La liste, l'original dressé par les bureaux de Herr Schindler

« La Liste de Schindler », un film choisi au hasard d’un placard, tuer le temps, fêtes obligent, la tradition pour les apprentis de ne rien faire durant leur dernier jour de cours avant Noël … parce que c’est Noël. Je ne cède qu’en partie à cette tradition, toutes mes classes ont un test durant cette fameuse semaine et s’il reste du temps, soit, je leur montre un film. Et pourquoi pas « La Liste de Schindler ». Le sujet n’est pas très festif je l’avoue. De plus, je n’apprécie pas particulièrement Spielberg que je juge trop « faiseur », trop bateleur.

Il ne faut pas très longtemps au spectateur pour plonger dans l’horreur concentrationnaire du ghetto de Varsovie. Les impressions sont vives, effrayantes, marquantes, l’efficacité hollywoodienne au service de la plus inconcevable inhumanité, des images crues, des situations authentiques, le crime gratuit et pratiqué comme un art subtile, comme une chasse à cour humaine ou comme un sacerdoce sanglant, un service efficace, l’horreur de l’horreur froidement organisée, contingentée, réglée. Difficile de ne pas se projeter dans l’un ou l’autre des micro-scénarios, de ne pas vivre les enjeux psychologiques extraordinairement intriqués de chacune de ces saynètes. L’exemple de l’officier SS apparemment enrhumé qui, parmi des prisonnières, désigne celle qui sera sa bonne. Elle s’approche de lui et il lui demande de rester où elle est ; il ne voudrait pas lui passer son rhume. Le même officier fait froidement exécuter une prisonnière ingénieure de formation qui supervisait la construction d’un stalag pour les prisonniers. Les fondations ont été  mal coulées, elle demande à ce que le travail soit recommencé. Mise en cause de la hiérarchie. Inacceptable. L’officier exige tout de même que le travail soit recommencé après l’exécution de l’ingénieure.

La projection a cessé après trois quarts d’heure, la fin du cours avait sonné. Les élèves semblaient « sous le coup », horrifiés et fascinés à la fois, curieux du comportement de Schindler, de sa dualité. Quelques heures plus tard, je prenais l’avion, Berlin évidemment, pour quelques jours. Difficile voire inimaginable de faire le lien entre MA Berlin et ce qu’elle put être en 40, à l’époque du IIIème Reich triomphant. Je l’ai trouvée, comme à chaque fois en cette période de l’année, extraordinairement calme, presque assoupie dans un coma … thérapeutique. Le jour tombe si vite, c’est une ville de conte que l’on traverse dans un demi-jour mélancolique. Les mille vies de Berlin comme les deux visages de Schindler.

samedi, décembre 14, 2013

"L'Onde Septimus", Blake et Mortimer


Jaloux ?
Cinquante-sept  ans après « La Marque Jaune », Blake et Mortimer se remettent sur la piste du Pr. Septimus, génie déséquilibré, précurseur et inventeur du télécéphaloscope, un appareil permettant de contrôler l’esprit humain. L’intrigue est embrouillée, faisant étroitement référence à l’œuvre imaginée par Edgar P. Jacobs (1907-1987), le père du couple … pardon, du duo blond et roux, à savoir du capitaine Blake et du savant Mortimer. Ce 22ème album n’est donc pas de la main du maître mais d’un trio de successeurs, Jean Dufaux au scénario, Antoine Aubin et Etienne Schréder au dessin. Le résultat est bluffant de fidélité.

« L’Onde Septimus » plaira aux fidèles, aux conquis d’office. Le néophyte risque d’être perdu quoique séduit par l’atmosphère atemporelle de la série, une Londres policée et fities’, où des domestiques indiens servent avec déférence des messieurs tirés à quatre épingles dans leur club. Cela fleure bon l’homosexualité refoulée, la femme apparaît dans l’intrigue comme un bouquet de glaïeuls dans un intérieur chic. On invoque sur fond d’après seconde guerre mondiale des forces surnaturelles, le génie dévoyé de savants forcément fous et des tentatives d’envahissement extra-terrestre. Une brocante !

Toutefois, l’intérêt réside dans la perpétuité d’un monde normal, selon une représentation anglo-saxonne, un monde en proie à tous les dangers (communisme, décolonisation, libération des mœurs, féminisme, homosexualité assumée, etc.). Ce monde s’auto-multiplie ou plutôt, se démultiplie puisque, dans la chronologie de la série, « L’onde Septimus » se place entre « La Marque Jaune » et « L’Affaire Francis Blake ». On peut imaginer glisser de nouveaux épisodes et « déplier » ainsi la narration. On réécrit « l’histoire » et l’enracine dans sa logique à perpétuité. Il ne reste plus aux successeurs d’Edgar P. Jacob que de faire évoluer le scénario, histoire de sortir Blake et Mortimer de la catégorie des BD réac’. Ils pourraient, peut-être, enfin imaginer un épisode ou les deux héros se déclareraient ! Et les femmes seraient peut-être autre chose que des bouquets de glaïeuls. A suivre.