Pour en terminer avec Vallotton au Grand Palais, une semaine
après la fermeture de l’exposition, bilan très positif quant à la renommée du
peintre vaudois – vaudois, j’insiste, même si Félix vécut depuis ses dix-sept
ans à Paris, il grandit à Lausanne et ne rompit jamais le lien avec sa famille,
ses origines. Dans mon précédent billet, j’avais évoqué les portraits, les nus,
les scènes mythologiques et les xylographies. Je vais m’arrêter à présent sur
les paysages, trois toiles qui me semblent emblématiques.
Dans mon carnet d’exposition, ai noté, à propos des Andelys, le soir, toile de 1924,
(73,3x60,5) :
« La
suavité d’un coucher de soleil, en mauve, bleu, vert d’eau, un soleil couchant,
son reflet dans l’eau, douceur extrême, mélancolie, aspect
« pastel », une grande présence et pourtant pas une figure humaine,
un chemin solitaire. »
Je suis revenu à trois fois devant cette œuvre, la meilleure
de tout l’accrochage à mon avis. Je ne la connaissais pas, et pour cause, elle
appartient à une collection privée. Le sentiment est profond, ample. Impression
de recevoir la confidence d’un ami de longue date, de se retrouver soi-même
dans la sourde nostalgie de cette solitude du bout du jour. La présence
physique de la toile est grande, en dépit d’un mauvais éclairage, d’une glace
protectrice et de la foule. Ce bord de Seine aménagé, se tenir juste à la
limite du flux de la vie, un appel à la paix et quelques regrets, peut-être
ceux de ne pas y arriver, le courant joyeux de la renommée, du succès, du
plaisir bourgeois. Le point où l’esseulement et une peine délicate valent tous
les trésors du monde.
Tiré du catalogue, Exposition Vallotton, Grand Palais, tous droits réservés |
Deuxième toile, La
Cathédrale de Petropavlovsk, 1913, (73x92) :
« Surprenant
Vallotton à la limite d’Hammershøi et de Hoper, quelques piétons anonymes sur
une place, une rivière, la cathédrale sur l’autre rive. La place est dans
l’ombre, la rivière et l’autre rive en pleine lumière ; contraste. »
Il se raconte
que Vallotton n’aurait jamais mis les pieds à Petropavlovsk, ville
d’Extrême-Orient russe ; la vue n’a du reste rien de particulièrement
russe, hormis son nom. La couleur du ciel indique, soit, un pays du Nord, un
pays où règne l’un de ces hivers fait de gris lumineux, d’horizons plats et
infinis, cité improbable, appel à un ailleurs, une grande ville anonyme, le
confort de l’anonymat qui représente le sujet même de la toile. Quelle était
l’intention de Vallotton ? Exploiter l’exotisme d’un dôme, sorte de stupa
post-industriel dans un style IIIème République ? Ou le rapport d’une rive
à l’autre ? La lumière, le soleil, l’idéal d’un côté et l’ombre, des
passants pressés de l’autre ? Il était interdit de photographier la
toile ; combien de visiteurs, négligeant cette injonction, après être
restés hypnotisés par cette vue en ont emporté un cliché.
Troisième
toile, Honfleur dans la brume, 1911,
(82x88) :
« La ville quasi solitaire, vue en
contre-bas, la colline boisée, le chemin qui mène au village, tons gris.
Douceur, nostalgie, présence en dépit de l’absence de figures humaines. La
brume ne remonte pas jusqu’à la colline, des frondaisons d’un vert marqué, une
autre saison. »
Honfleur était la villégiature de la famille (recomposée)
Vallotton. Le peintre y appréciait le littoral. Souvent, les toiles qu’il y
réalisait laissaient transparaître une sorte de malaise, une mise à l’écart
volontaire. Il y a les autres, leur bonheur confortable et Vallotton, son
indicible mal-être en dehors. Dans ce « Honfleur dans la brume », la
donne est inversée. Le lieu social, la ville, les maisons, le foyer sont en
dessous, léger brouillard, comme un songe, une fantasmagorie floue. Vallotton
se tient sur la colline, hors le brouillard, parmi une végétation luxuriante.
Il doit être seul, sans mélancolie, à croire qu’il jette un dernier regard
en-dessous avant de reprendre sa route.
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