Autoportrait, Félix Vallotton, 1885 |
En préambule, il est nécessaire
de dire à quel point le Grand-Palais, en dépit de la majesté et de la taille de
l’édifice, est un espace d’exposition mal adapté, aménagé avec approximation ;
pas de vrai hall d’accueil, un vestiaire microscopique, pas de casiers à
monnaie, des toilettes (comme partout dans Paris du reste) qui donneraient
plutôt envie de se soulager dehors ou dans l’escalier, pas de cafétéria et la
clientèle ! La plupart des Parisiens courent les expositions de peinture
comme on va à la foire du Trône, on s’occupe, on se distrait un peu, on passe
le temps et on encombre doublement l’espace (station et
conversations/commentaires déplacés), à moins qu’ils ne sacrifient au culte de la
culture, véritable religion laïque et bobo, sans pour autant que cela ne repose
sur un attrait sincère. Snobisme. Les Parisiens ont gardé l’habitude des
« Salons » où ils allaient traîner savate sans chercher un dialogue
avec les œuvres, sans chercher à se laisser émouvoir. Quant aux professionnels
de la chose culturelle, Vallotton leur glisse entre les mains. Sa sensibilité,
sa mélancolie, sa réserve leur composent une véritable énigme.
L’exposition peut être considérée
comme un succès … pour ceux qui ont découvert Vallotton à cette occasion et se
sont laissés toucher. Pour les coutumiers de l’œuvre, il est permis de relever
plus d’une maladresse. L’accrochage commençait par le fameux autoportrait, le
premier, Vallotton à vingt ans, revêche, une œuvre remarquée au Salon de 1885.
La toile ne respire pas assez, on l’avait placée à droite de l’entrée, sans
dégagement, alors qu’il eût peut-être fallu réserver une paroi entière à sa
radicalité, face à l’entrée. D’autres portraits étaient accrochés de ce côté-là, en forme d’accueil.
Il a été tenté une présentation
de l’œuvre vallottonienne selon un ordre chronologique et thématique. Il en
résultait des sortes de « hiatus », des ruptures du fil narratif, ce
qui tend à prouver à quel point Vallotton échappe à la critique artistique.
Elle ne peut le comprendre car elle l’interprète comme un peintre français et
Vallotton – serait-ce un karma familial ? – est un transfuge et le sera sa
vie entière en dépit de son attachement à la République et en dépit de sa
nationalité acquise par mariage. Les errances de cette critique sont marquées
par la pauvreté du commentaire des toiles à caractère mythologique (Orphée dépecé, Persée tuant le dragon,
Satyre enlevant une femme au galop, etc.), toiles en trop grand nombre au Grand-Palais et qui sont, à mon avis, parmi les moins bonnes de mon
illustre cousin. Personne ne semble relever l’ironie de tels travaux, comme une
manière qu’eut le peintre de se payer la tête de l’histoire de l’art et de ses
pompeuses références, à savoir de la miche au kilo en dépôt de bilan, voir Étude de fesses. Seule trace de cette
ironie, les commissaires ont pensé à placer une étude de … jambon en pendant du
fessier cellulitique.
Principal mystère vallottonien,
le rapport de l’artiste aux femmes. Était-il gay ? Sans sexe ou peu porté
sur la chose plus vraisemblablement. Une fois de plus, difficile de comprendre
l’attitude « coincée » de notre homme si l’on ne connaît pas les
conditions de sa jeunesse vaudoise protestante, le poids de la morale, le refoulement
en vertu cantonale cardinale. Mais il vivait à Paris depuis ses dix-sept ans,
me direz-vous, les petites femmes légères, légères, la bohême artisteuse et
ploum ploum tralala. Oui mais non ; Vallotton reste fidèle à sa race.
Quelques inquiétudes familiales quant à sa relation avec Hélène Chatenay, une
jeune femme charmante dont il fit son modèle, qui vivait avec lui … et qui
avait d’autres galants. Pas l’ombre d’une paternité « sauvage ».
Soit, il y a les aiguilles à tricoter et Vallotton était peut-être infertile. On
ne lui connaîtra qu’une seule autre femme, son épouse, Gabrielle, veuve du
galeriste suicidé Rodrigues-Henriques. Vallotton n’eut pas besoin de lui faire
des enfants, elle en avait déjà ! A relever que la femme dans la peinture
vallottonienne et l’œuvre gravée est un être majoritairement manipulateur,
infidèle, castrateur ou une présence anonyme, une silhouette de dos. A moins
que ce ne soit une réponse de Vallotton aux motifs en vogue (La Blanche et la Noire en échos à l’Olympia de Manet ou La jeune Fille au Perroquet, thème des plus courants depuis le
portrait de Mathilde de Canisy par Nattier, voir aussi le nu de Courbet). Si
Vallotton n’est pas gay, il est passablement misogyne. Sa maîtresse puis son
épouse représentaient avant tout le foyer, la cellule familiale (voir le cas de
Thomas Mann et son épouse Katia Mann-Pringsheim).
Pour clore ce billet, l’œuvre
gravée était donc abondamment présentée. Son évidence narrative, sa modernité, sa
propension à évoquer une situation en quelques traits fait de Vallotton un
auteur de BD avant l’heure. Le tirage de l’épreuve de justification de destruction
des bois, succession d’extraits d’une suite de dix xylographies, les Intimités, semble raconter en raccourci
un vaste roman bourgeois, du Mauriac sous le trait de Tardi. Cocorico oblige, la
suite « C’est la Guerre » figurait en bonne place. Vallotton y montre
plus son horreur du conflit, de ses ravages qu’il prend parti. Il aimait soit
à parler de sa « haine du boche » mais le sentiment semble artificiel,
sans fondement.
… les paysage et les intimités à
suivre dans un prochain billet.
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