jeudi, février 08, 2007

Présence


Politique ou égrillard, piquant, plaisant et bien d'autres choses ... Je n'ai que l'embarras du choix pour le billet de ce jour ! Et mes contradicteurs ne manquent jamais de me prêter complaisamment le flan. Par "contradicteurs", je m'entends, je pense à ceux dont je pourrais relever les défauts du discours, les incohérences et les petits travers ... Mais je n'épinglerai personne, je n'irai pas même voir du côté de C., village où vécut madame machin, la grosse et son verni de culture, la pose flatteuse de l'élite responsable et tous les poncifs mal rechampis que nous ressortent les élus cantonaux en avant avant-campagne.

Et l'après-midi, à Genève, sous son confortable ciel gris, une visite à J.-M., sa boutique, un café chez Martel, quelques courses, retour Lausanne, dînette chez Jacques avant de courir au cinéma, voir "La Traductrice", un dernier verre en ville ... en ville, je répète ! J'ai encore trouvé le temps de faire avancer mon "concile de pigeons", de finir du repassage, de réfléchir vaniteusement à la tenue de demain, d'après-demain, deux épisodes de "Verliebt in Berlin" pour faire passer le mal du pays, mon pays idéal, celui où je n'ai pas à porter une appartenance quelconque comme une croix, où il me suffit d'être ... Berlin, donc, Barcelone, Zürich, Paris, Bruxelles, Genève quand je peux y passer plus de 24h de suite, et oublier la contrainte du regard pornographique dont "Moscou" salit tout de son oeil inquisiteur et faux-jeton, sans parler de ses suppôts à temps partiel ni de quelques quidams à peine mal intentionnés rencontrés ici ou là qui ne manquent pas de me commenter et de travers ...

Cela faisait longtemps : ce soir, j'aurais eu envie de m'endormir en compagnie, auprès de quelqu'un en particulier, d'être simplement auprès de lui ... être ... Et dépasser ainsi l'ennui de ce jour après l'autre, et après celui d'avant, d'avant tous les autres. Je ne veux pas me laisser figer dans la posture de l'homme arrivé, solidement en place. Légère impression de tirer sur ma chaîne ... La Présence et la liberté me viennent alors d'internet; il n'est pas question de chat de rencontre mais d'une radio en ligne, des chants grégoriens pour seul programme, expression de cette présence chez ceux qui en jouissent à chaque instant de leur vie.

dimanche, février 04, 2007

Le divan de Freud


Je l'ai accepté ! Alors que j'hésite toujours et me fais longuement prier devant tout cadeau inopiné, cette fois, j'ai simplement répondu "merci" sans quitter la porcelaine des yeux, un amour de 40 cm, une pièce en Meissen de la fin du XIXème, brisé en plusieurs endroits ce qui en rajoute à son charme et lui confère une dignité qu'une parfaite conservation ne lui aurait pas accordée. J.-M. l'a soigneusement emballé puis nous sommes sortis, le petit marché aux puces et autres trucs du premier dimanche du mois, Plainpalais, Genève, un peu de fatigue derrière les yeux. On est venu me chercher du fin fond de mon esseulement lettré, cette distance consécutive au temps nécessaire à la conception, au filtrage, décantation ... Superbe isolement, un peu poseur et orgueilleux, rien qui n'impressionne au bout du lac. Je m'y sais différent : moins piquant, critique et cassant. "Tu trouves tout bien" m'a glissé J.-M. lors de notre promenade; un beau soleil néo-printanier, la Brasserie du Rond-Point, envie de me tatouer à l'intérieur un petit dessin de cette belle teinture genevoise, gober l'esprit de la ville, parce que la rencontre est belle, le bonhomme séduisant, la compagnie plaisante et l'échange stimulant. Et ça me fait des vacances, il faudrait vraiment que je puisse conserver cet état d'esprit confortable, cet enthousiasme léger et guilleret, une générosité du regard sur les choses et les gens.


Sitôt de retour à Lausanne, la rencontre d'un couple d'amis, je témoigne de ma préférence pour Genève. Oui, je préfère Genève et sa République à Lausanne et son Pays de Vaud. S'il s'agissait d'un bête choix, l'affaire aurait été réglée depuis longtemps. L'un de mes deux interlocuteurs était d'un avis contraire ... Et je ne sais pas pourquoi, ce genre d'échange a la fâcheuse tendance à dégénérer, la petite guéguerre de tranchées du "pour" ou "contre" se concluant indubitablement par un amer : "Puisque ça ne te plaît pas, va voir ailleurs !" "Autant qu'à finir balayeur, je préfère l'être ici, je serai toujours mieux traité que dans n'importe quel autre pays.", réponse de la bergère au berger que je sers consécutivement à ma critique du "saint" Pays de Vaud depuis mes dix-huit ans. J'ai toujours droit à ces mêmes airs pincés mais, est-ce ma faute si je suis lié, ligoté à ce canton (reconnaissance de diplôme et corporatisme cantonal en matière d'enseignement public obligent). Je crache dans la soupe, peut-être, mais cette ville (Lausanne), ce pays (Vaud) parlent en moi, j'en suis un citoyen irréductible et, de la même manière, je suis un membre irréductible de la famille Vallotton; je suis le résultat d'une somme de qualités et de défauts façonnés par les particularismes de ce terroir. Je le critique, et durement, en connaissance de cause, comme lorsqu'on se fait horreur dans le miroir pour un nez ou une chevelure qui ne nous plaisent pas. Si je pousse un rien plus avant cette démonstration, puisque l'on n'échappe pas à sa famille, la critique renvoie au sentiment - justifié ou non - de ne pas avoir été aimé comme on l'aurait voulu, autant qu'on l'aurait voulu. De divergences en malentendus, de susceptibilité froissée en maladresses, le contentieux se creuse sans pour autant contredire l'appartenance ... Et les mots restent froid, et à dessein; cris silencieux et fuite sur place, merci docteur pour cette séance constructive, nous avançons bien dans mon analyse.

dimanche, janvier 28, 2007

Changement de ton


Il est tant de changer de registre … L’œil de Moscou, la petitesse moralisante de la Côte, Madame de S. et tutti quanti : cela m’ennuie considérablement. Je mets déjà bien assez de profondeur dans « Le Concile de pigeons », dans la correction de «La Dignité » et la fondation d’un parti pour que mon journal en ligne retrouve un petit genre un peu cabot qui n’est pas pour me déplaire. Je pense, du reste, qu’il s’agit là d’un trait de caractère auquel mes élèves goûtent fort. Ils savent qu’un bon mot, une répartie heureuse digne de Labiche ou d’une teinture moliéresque suffisent à me radoucir tout en leur donnant la réplique. Je peux bien affecter cette rondeur. J’ai remporté la victoire lors de la dernière bataille (quoique Moscou me promette toujours une reprise de la guerre) et de haute lutte ! Je peux bien occuper mon loisir, à présent, à brocarder l’administration moscovite, ses incohérences, sa pudibonderie. Le temps n’est plus à la tragédie, il ne l’a jamais vraiment été. Et pensez bien que, me sachant devenu fonctionnaire de l’instruction publique avec tout ce que cela sous-entend de pérennité dans l’emploi, d’assurance en tout genre, de prévoyance retraite, etc., je jouis dès lors d’une indicible assurance. Me voilà petit prébendé vaudois, membre du personnel cantonal et ce, vraisemblablement, jusqu’à ma retraite ! J’en hennirai presque de plaisir, rapport au cheval de Troie !
Je vis mon année jubilaire, il est donc hors de question que quelques broutilles événementielles ne viennent me la gâcher. Promis, un jour, je vous raconterai tout, tous les détails, je me livrerai pour l’édification de mon lectorat. Quoiqu’il en soit, il y a vingt de cela, j’ai fait le bon choix et, cette année, permettez que je joue au lettré de province, au « régent » un rien frondeur, à l’ « élite » intellectuelle locale. Sulfureux juste ce qu’il faut pour émoustiller les culs bénis. Pour ce qu’il reste de l’année, je vais nous broder de bien beaux souvenirs, des moments de choix et sans prétention. Je ne peux présumer de l’avenir : jusqu’en décembre prochain, je vais m’interdire de jouer les Cassandre. Je vous promets toutefois de charmantes anecdotes, le piquant de quelques flagrants délits de mauvaise fois administrative mais rien qui ne justifie cette mine « gênée » que les suppôts moscovites aiment à prendre lorsqu’ils émettent du bout des lèvres un ordre à peine voilé, le couvert du bon conseil … Ils usent alors de la périphrase et du détour syntaxique avant de conclure par un silence piteux.
Que du bonheur ! De toute manière, en cas de malheur, du fait de ma nature de catholique croyant, je ne risque que la vie éternelle à la droite du Très-Haut qui, auparavant, n’aura pas manqué de m’absoudre de mes nombreux péchés consécutivement au rachat que son fils en fit par le martyre de la croix. Bon, pour le vaudevillesque de la crucifixion, il faudra repasser … Voilà que l’heure tourne, il faut que j’aille me montrer et promener ma nouvelle quiétude guillerette sous un soleil admirable avant de m’adonner à quelques activités typiquement dominicales et « gaies ».

jeudi, janvier 25, 2007

L'appel du 24 janvier


Hier, simplement hier, pour faire mieux que Thomas Mann et mériter son respect… Le grand auteur vivait de sa plume, soit, et s’il n’en avait pas vécu, il aurait « rempli ses devoirs envers la société », un autre travail, de l’enseignement vraisemblablement. Il était fier que Golo, l’un de ses fils, ait embrassé cette carrière en sus d’activités littéraires (tout le monde écrivait chez les Mann).
Hier, encore hier, un ciel fragile, gris et tranchant, les transparences de la glace sur le bord de la chaussée, sur la main courante de la balustrade, l’esplanade au-dessus du square Benjamin Constant, l’étendue du lac, un début de couchant doré. Je sortais de l’antre de l’hydre, je revenais d’un entretien. Pour la clique moscovite, ce journal littéraire ainsi que le roman en ligne de « La Vie d’un jeune homme vaudois à la dérive » n’existent pas. On m’a même assuré que du côté de «Moscou », on n’était pas homophobe. Je n’étais pas seul dans cette confrontation, j’avais un guérilléro syndicaliste pour me conseiller : « Notre collègue ici présent qui désire poursuivre sa carrière dans l’enseignement … ». On parlait donc de moi ! On a parlé littérature aussi. Pas une ligne de ce que j’ai pu écrire et qui, d’une manière ou d’une autre, a été rendu public, pas une ligne donc n’a échappé à l’inquisition moscovite, à l’œil globuleux de la réaction paternaliste. On n’y a rien trouvé de répréhensible … Et me voilà enseignant ! Installé dans un système, inscrit dans une hiérarchie, reconnu – quoiqu’on en dise – en tant qu’homme de lettres. Avec le temps, la pugnacité, « je connais ce canton mieux que le fond de ma poche », j’ai l’impression d’exister enfin en terre vaudoise. Il a fallu faire le forcing et la croisade n’est pas terminée. Je n’ai pas l’impression de me trahir. Je n’ai plus cet horrible sentiment de salissure … Je ne subis plus ce pays, son mauvais goût, sa lourdeur ni son hypocrisie : nous sommes liés. Sang, histoire, citoyenneté, résidence … tout ce que vous voulez mais le pays de Vaud, Lausanne et moi sommes liés … de la même façon que l’on est attaché à sa famille (pour ne pas dire entravé). Mes valeurs libertaires, ma foi catholique, mon orientation sexuelle font aussi partie de ce pays, le façonne et l’enrichisse. Il n’est plus question de subir mais de partager.
Hier, je vous devais une nouvelle, un serrement. En ce jour de l’indépendance vaudoise, j’ai eu une pensée pour Frédéric-César de la Harpe, « le jacobin » comme on disait sur son passage au congrès de Vienne. Ce citoyen éclairé a su transformer la rage de l’humiliation personnelle en action politique concrète et, quoique l’on dise ou que l’on taise, il a amené la démocratie en Suisse et l’indépendance à ma terre vaudoise en 1798. Décrié, calomnié, paradoxalement admiré par la jeunesse estudiantine, Laharpe (il signait ainsi) a méticuleusement été négligé par l’histoire suisse. Trop dérangeant, unique et hors norme.
Hier, donc, je devais vous annoncer la création d’un parti politique, le parti de la Dignité. Ni à gauche, ni à droite mais dans l’action raisonnée. Je ne veux pas rester simple observateur d’une prochaine déroute des valeurs élémentaires de la démocratie et de la culture occidentale. Entre le populisme alléchant de tribuns de droite et le corporatisme de la grande caste de gauche, je n’ai entendu personne m’offrir un modèle de dignité. Je l’ai cherchée, j’ai cheminé sur bien des pistes avant de m’en faire une petite idée, j’ai successivement joué à plein de personnage avant de la gagner, la dignité …
Hier, je n’ai pensé à aucun programme politique, je n’ai pas de stratégie, encore, je ne sais concrètement pas comment se fonde un parti politique ! J’en ai parlé autour de moi … Mon éditeur est enthousiaste … Il ne s’agit pas de peindre le diable sur la muraille mais, ainsi que j’aime à le relever auprès de mes élèves, notre dignité ne se fonde pas sur un quelconque statut social mais sur notre sincérité à être. J'en appelle donc à tous les citoyens de bonne volonté.

samedi, janvier 20, 2007

Une petite porte


Cette après-midi, promenade au jardin botanique, les serres, puis le parc de l 'ancien BIT, le parc Barton, la Perle du Lac, ma Genève, celle d'il y a bien longtemps, du temps de Gregory. Ma Genève dans cet hiver paradoxal, sous des cieux plombés, la lumière rase pareille à celle d'une belle fin de journée estivale, et cette impression profonde, pleine et puissante de me répandre dans le paysage, le bitume du chemin, les arbres, les promeneurs, les flots calmes du petit lac. Sentiment de perméabilité et de légèreté, les sens lâchent du leste; la lecture de leur rapport précis devient floue, caduque ... Gregory me manque mais sans tristesse ... Je me suis dit qu'il faudrait toujours garder une petite porte dans son existence, une sortie discrète, le passage anodin vers "autre chose", vers des saisons irréelles, des pensées très simples et pures à la fois, des couchers fantastiques, des crépuscules urbains où il suffirait de s'assoupir deux minutes dans le tram pour partir, mine de rien, dans une autre histoire, un scénario épuré, et tant pis pour la redondance, une vie banale et savoureuse genre scène parisienne à la mode Truffaut ...

Et cette promenade, le parapluie comme une canne, impression de donner de l'exercice à ma "fibre lyrique", de la profondeur sensible à une vie - pour une fois - très routinière, réciter quelques vers de Lamartine au-dessus du lac, l'hygiène de l'auteur, la dignité de Thomas Mann, ah ! le modèle de toujours. Pour l'aspect récréatif, il y a le mythe eighties' quasi eschatologique, le néo-décadentisme mitterrandien, une autre manière de retenir le temps, de le nier ... En tout cas ne pas subir son écoulement continu et monotone. Quand j'avais 15 ans, attendant romantiquement qu'un imbécile de prince charmant ne manque me rouler dessus avec sa Roll's Corniche blanche, puisque ça ne venait pas, j'en ai conclu qu'il fallait créer l'événement ! Je ne pense pas avoir appliqué ce judicieux conseil jusqu'à présent. J'ai su négocier d'une manière plus ou moins performante ma place, la façon dont j'ai voix au chapitre. Provocation et maladresse, courage et sincérité, sensibilité et raison, paresse et arrivisme ? La pièce n'est de loin pas terminée et je vous promets, chers lecteurs et chers suppôts moscovites, un joli coup de théâtre au 24 janvier !

vendredi, janvier 19, 2007

Le bureau de Thomas Mann


Il est plus d'une heure du matin ... Je suis assis dans mon lit, observé par la bergère, dans le coin de la chambre. Je pense à Gregory, je crois qu'il me manque ... S'il était encore de ce monde, je l'appellerai ... J'ai le mal du pays, Berlin, mon "chez moi" d'élection. Cela fait trois mois que je n'y suis pas allé, et encore la pensée de Traumprinz. Cette après-midi, au collège de C., village vaudois où vécut une dame lettrée et nymphomane, en recevant sur un ton proto-militaire les instructions d'un supérieur hiérarchique, je me suis demandé s'il avait aussi une Traumprinzessin en tête, le mal d'une terre d'élection au coeur ? Je me suis demandé à quoi ressemblait son intériorité ? Il est vrai que la "hiérarchie" et moi, cela fait deux et je n'imagine jamais rien de spécial au sujet de ses représentants si ce n'est de quelle manière leur répondre en leur signifiant mon fond de conviction anarchiste ...

Il est largement plus d'une heure du matin et j'essaie de percevoir une voix, au fond, tout au fond; je n'entends rien. Il n'y a que des images, Barcelone, Zürich, des promenades, des détails quasi insignifiants et aussi présents que le regard de la bergère. Je dois faire quelque chose de ces miettes, les assembler, créer ... J'ai fini de taper "A Poil !", l'une des quatre parties de "La Dignité". Mon roman historique attendra un peu ... "Le Concile de pigeons" m'appelle, drôle de texte dans lequel je peux rendre les mille petits riens picorés à gauche, à droite, avec voracité, à la façon d'un pigeon et je me sens à nouveau "pris", comme l'une de ces bestioles dans un filet de protection des façades.

Il est deux heures, la bergère s'est assoupie, tous les objets s'endorment. A force, nous habitons d'une vie résiduelle tous ces serviteurs inertes. Nous leur donnons leur valeur, nous les honorons d'un souffle de vie qu'ils continuent à porter parfois bien après notre propre disparition. Thomas Mann, à travers l'exil et ses nombreux déménagements, a toujours recomposé le décor de son bureau, méticuleusement. Cela participait à son activité littéraire, à croire que ce sont ses meubles qui ont écrit son oeuvre.

lundi, janvier 15, 2007

Le Concile de pigeons


Et si nous ne vivions qu'une existence de pacotille, si nous ne nous agitions que dans un monde de faux-semblants, toujours au bord du précipice, à un cheveu du néant ... Que resterait-il de Bach et de Nietzsche, de Flaubert, de Mann, de nos convictions philosophiques si nous ne maîtrisions plus ni l'écrit, ni la musique, ni les technologies de la diffusion culturelle ... Nous régresserions jusqu'à l'abstraction des beaux-arts, je pense; la peinture ne serait plus qu'une succession de signes méconnaissables ... Notre faculté de conceptualisation nous permet actuellement d'admettre des schémas techniques extrêmement complexes dont nous ne comprenons effectivement que les tenants et les aboutissants. Appareils-photos numériques, baladeurs MP3, MP4 ou WMA, téléphone cellulaire, technologie WAP, ordinateur portable, lecteurs DVD et DVX : autant de miracles d'un univers d'abondance culturelle. Si pauvre et intellectuellement peu pourvu en soit l'utilisateur, ce dernier finit toujours par être touché d'une manière ou d'une autre par une oeuvre majeure, le serait-ce dans une forme dénaturée ... Et si cette technique quasi magique venait à nous manquer ... tout est imaginable ... Le support quel qu'il soit reste fragile : les papyrus se désagrègent, les parchemins brûlent, les livres se perdent, les manuscrits disparaissent, les toiles et les partitions aussi, la façon de jouer s'oublie, l'auto-combustion guettent les films et les microfilms, les photos délavent, les fichiers informatiques deviennent illisibles ... Nous ne pouvons tabler que sur la perpétuité de nos émotions, sur leur saveur exacte, sur ces ombres sensorielles de nos souvenirs ... Nous avons appris à encoder notre expérience personnelle par ce biais-là, afin de la retenir et y accéder gratuitement au hasard de son renouvellement. Voilà les débats dans lesquels m'entraînent mon "Concile de pigeons", le dernier texte sur lequel je travaille, plutôt le dernier texte qui m'absorbe au mépris de toute logique d'horaire ...

Dimanche, sortie de boîte ... matinale et, donc, lever tardif par une après-midi de soleil. Je savais que je n'arriverais pas à faire entrer dans les dernières heures du week-end tout ce que j'aurais aimé y mettre : fitness, messe, visite galante, une à deux pages aux "Pigeons" (ceux du concile), un billet dans ce journal en ligne ... J'ai profité de la fin de l'après-midi, une promenade de jour pour faire pendant à la promenade du matin, déambulation dans la ville jusqu'au parc Mont-Repos, l'option fitness reportée à aujourd'hui. J'ai bêtement essayé de fixer ces impressions fugaces : la qualité originale de la lumière, l'agitation de la volière, beaucoup de promeneurs, une ivresse "stendhalienne" qui me faisait focaliser sur tout et rien. J'ai pris des photos, essayant diverses options d'exposition, un nouveau téléphone portable, délicat gadget ... Puis retour vers le centre, des images de Marseille, de Brest et de Barcelone se surimprimant à tel ou tel détail; aller consulter les horaires des messes à la basilique de Notre Dame de l'Assomption. J'assisterai à une célébration en semaine, mardi 18h20, vraisemblablement ... Je suis allé nourrir les "Pigeons", trouver un café fréquentable, un coin de table, un peu de calme : Le Palace - évidemment !

Une tourterelle chante sur le balcon, je retrouve les senteurs résineuses du chemin de Prélionnaz, la petite épicerie, le soleil à travers les branchages et le chant des oiseaux ... Je ne trouve pas le lien logique entre le souvenir d'enfance, les mille perfectionnements technologiques qui m'assistent en captant, classant, recueillant, stimulant, embellissant mon travail d'auteur; je ne trouvent pas de lien logique entre le chant de la tourterelle, le sourire séducteur, l'étreinte et la conversation de quelques garçons de bonne compagnie au (notule à l'attention des suppôts moscovites : j'ai bien écrit "quelques garçons", je vous laisse imaginer le reste !). Logiquement, il n'y a guère de lien ... un enchaînement décousu de faits ... Prenons un peu de distance : cela tient d'une partition sensible, équilibrée, un chant, peut-être la matière même de mon écriture ?!

samedi, janvier 13, 2007

"Chez Germaine"


Le jubilé, j'allais oublier mon jubilé, ma naissance - la volontaire - il y a un peu moins de vingt ans. Tout me semblerait dit dans ces quelques mots : se souvenir, commémorer, inscrire et son geste, et son souffle, et son oeuvre dans le temps. Une fois évacuée la question vague du "pourquoi moi ?", pour le meilleur et pour le pire, après avoir endossé la responsabilité de sa propre vie (je suis particulièrement fier d'assumer les vingt dernières années), il ne reste plus que la tâche considérable de travailler au tricot du récit, à traquer le petit rien parlant ...

J'avais presqu'une demi-heure à tuer avant l'arrivée de mon train, en gare de Morges, sinistre gare, bonne petite ville à la réputation de laquelle j'ai travaillé dans mon roman "Appel d'air", New Versailles dans le texte ... Bref, je suis descendu en direction de la rue du Sablon, les nouveaux bâtiments, de grands locatifs élégants aux appartements aérés remplis de détails déco à la mode ... Pourtant, je sentais remonter des vieux pavés le parfum de mauvais alcool qu'exhalait la distillerie Salina, ses entrepôts moussus, le haut mur qui ceinturait sa cour, le jardin, la maison du propriétaire au milieu, les cris d'un coq idiot qui n'avait rien compris de son rôle : l'animal chantait à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. J'ai coupé par la rue Saint-Louis puis remonté la rue des Charpentiers, le "gagatorium" (EMS) Nelty de Beausobre à ma gauche, une infirmière s'activait derrière une fenêtre du second. En face se dresse encore "La Concorde", une salle paroissiale multifonctionnelle du début du siècle passé, une bâtisse rescapée, dans son style zürichois lézardé, plantée au milieu de parkings de fortune, les trois pâtés de maisons adjacents sommairement démolis. On peut même encore y repérer des carrelages au sol : ci-gît une cuisine ... Puis deux pauvres saules tronqués de la moitié de leur branchage lors de la construction du passage sous-voie trop raide et que personne n'emprunte.

Il y a vingt de cela, les arbres ombrageaient la terrasse de "Chez Germaine", avec sa pension miteuse au-dessus, ses locataires improbables ... "Chez Germaine" était un bouge, un bistrot poisseux dont les cuisines n'étaient plus utilisables depuis fort longtemps. Des manoeuvres de passage logeaient là un trimestre. On les retrouvaient en fin de journée buvant du mauvais Côte du Rhône et dévorant d'opulents sandwich préparés par ... Germaine ? Il y avait aussi un vieux couple de lesbiennes alcooliques qui occupaient gratuitement une chambre des combles, Coco et ... je ne m'en souviens plus ... Une femme encore vive, d'une mise épouvantablement négligée. Coco ne disait jamais grand-chose. Je sais qu'elle ne pouvait plus jouer de l'accordéon à cause de son arthrite, elle avait du reste vendu et bu l'instrument. Les deux femmes semblaient, à leur manière, tenir salon.

"Chez Germaine" a aussi été rasé. Je revois à peu près la vieille façade beige salie d'une maison de trois étages en tout, je revois la porte d'entrée, large, dont la partie supérieure était garnie de culs-de-bouteilles sertis au plomb, un travail d'une très belle qualité, tout comme la ferronnerie de la marquise de la terrasse au-dessus de laquelle s'épanouissaient les deux saules. Je ne me souviens plus très bien du reste ... Mais si je ne vous en touche pas un mot, qui, demain, après-demain, se rappellera de Coco et de son amie, de "Chez Germaine", de l'ombre de ses saules ...

jeudi, janvier 11, 2007

Stars etc.


Je sors du cinéma, "L'incroyable destin d'Harold Krick", soirée avec Elodie, la smart qui faisait des siennes en-bas de chez moi, nous sommes restés trop longtemps à bavarder à propos de la mystique du verbe, cette petite conviction que je couve et qui me porte à croire que les mots sont bien plus puissants que ce qu'il n'y paraît. Dans le film, Harold se découvre le personnage d'un roman, sa vie commentée par la voix off d'une narratrice, omniscience d'un témoin immatériel ... Et le monde, son existence monotone, tout se trouve alors submergé de vie. L'art n'est pas étranger à cette "conversion".
A propos, comme on dit à la télévision allemande avec un accent français si joliment marqué, mon syndrome de Stendhal tend à prendre un aspect chronique; je finis la journée les yeux révulsés et la cervelle lessivée par la déferlante émotionnelles. En retour, j'émets une onde, une sorte de note muette et séduisante : dans les files d'attente, les magasins, au café, au fitness, on me cède le pas, on me fait des politesses. L'oeil de Moscou se mettrait à cligner dans ma direction que ça ne m'étonnerait même pas. Je pars officier à C., vous savez le joli patelin vaudois où vécut notre bonne Germaine, j'y vais donc dans ce surprenant état et en grand uniforme (cravate fleurie et chemise impeccable), deux ou trois petites idées derrière la tête quant à mon programme d'histoire et de français, faire profiter mes élèves de mon esprit de contradiction et de mon art consommé de la critique. Cela ne m'empêche pas de les faire mettre au garde à vous au début de chaque cours et de leur inculquer des principes de discipline élémentaire qui leur seront d'un grand secours dans leur lutte vers l'indépendance et la pleine maîtrise de leur vie. Je repars de là guilleret, un tas de copies sous le bras, comblé lorsque la plume de ces ados m'offre les mots que je n'aurais pas sus, des formules au flamboiement novateur, la mélodie indicible et connue de l'air du temps. Il m'arrive même - afin de planquer le manuscrit que je viens à peine de commencer - de sortir le sus-mentionné tas de copies pour faire diversion, ne pas susciter la curiosité dans les cafés où ça me prend : l'impérieux besoin de sortir une phrase. De plus, avec ce transit de flux magnétiques, on ne manque jamais de m'adresser la parole, échanger un mot ... Ah, le mystère, la mystique et la puissance du verbe !
Cette après-midi, donc, après m'être un peu assoupi dans le square Benjamin Constant, j'ai été pris d'un besoin qui n'avait pas grand chose de littéraire et suis entré au Segafredo, établissement que je ne fréquente jamais. Les cafés lausannois sont régulièrement honorés de la visite de "stars" locales. L'autre soir, au Grancy, à l'occasion d'un dîner avec des collègues, j'ai pu observer J.K. grimacer et s'agiter de la façon la plus voyante possible, des écouteurs dans les oreilles alors qu'il dînait seul. Quel cirque et quel poseur, il avait aussi l'air d'un petit garçon qui se donne un genre par timidité. Je ne l'ai pas reconnu de suite, sa tête me disait quelque chose... J'ai même craint de me trouver face à un amant très occasionnel dont je ne me rappellerais plus. Bref, cela m'a conforté dans la pratique discrète de mon art en public. Revenons au Segafredo où est apparu S.L. en compagnie d'une amie. Contrairement à J.K., S.L. porte le regard avec beaucoup d'humilité et rougit presque lorsque, dans le feu de la conversation, il s'aperçoit qu'il pourrait être entendu de la table voisine. Il se déplace avec discrétion, s'adresse avec sympathie au serveur. Loin des spots-light, sans costume ni paillettes, il est d'une tournure aimable. Il était étroitement serré dans une veste cintrée. Rien à voir avec la tenue tendance et un rien grotesque que portait J.K. au Grancy. Les deux garçons sont pareillement séduisants et gratifiés de succès dans leur carrière respective. Je dois dire que S.L. ne me laisse pas indifférent. J'ai donc sorti mon tas de copies, "Le Concile de pigeons" (mon manuscrit) en-dessous, y faire entrer un avatar de S.L. afin qu'il occupe confusément les pensées du personnage principal. J'ai à peine eu le temps de prendre un stylo rouge et un air très absorbé que S.L. et son amie passaient devant moi. Et, hop, un regard du tas de copies à moi au tas de copies et rien à voir avec un de ces regards que l'on traîne par hasard sur ce qui se présente à soi ... J'en ai suffisamment vu pour assurer au jumeau de S.L. une belle entrée dans mon "Concile de pigeons".

samedi, janvier 06, 2007

Le syndrome de Stendhal


Jacques trouve certains objets trop bavards, d’une humeur trop diserte … On peut se laisser aller à les aimer, les écouter puis s'en éloigner, sens critique oblige. Il faudra que je lui demande … que je lui parle de la complicité des choses, des accessoires de l’instant et du silence aux accords si profonds et puissants qu’il vous porte aux limites de la syncope. Et pas la moindre chose dont le babil pourrait vous distraire, vous arracher à l’hypnose dévorante de la « perfection » terrestre ; les guillemets ne sont là que pour signaler mon incrédulité … La tête entre les mains, appuyé contre la table de l’ordinateur, pas même les chiffres argentés d’une carte de crédit ne viennent rompre le charme … Peut-être la ficelle d’un sachet de tisane bio entortillée autour de l’anse de la tasse cochon, un cadeau de ma nièce pour Noël, mais non, l’accord est trop puissant, je me sens repris par de profondes secousses immobiles. La pensée d’avoir oublié un volume de poche des contes fantastiques de Maupassant, un peu plus tôt, à la salle de sport, même cet agacement de devoir retourner chercher l’objet ou sa perte définitive éveille à peine un demi-agacement. Je serai donc frappé du syndrome de Stendhal dans mes murs, parmi la banalité d’objets aimés, soit, mais ordinaires. Je me rappelle avoir trouvé la Joconde d’une facture médiocre et d’être resté froid lors de la visite du fort rouge de New Delhi. Je sais avoir des goûts très arrêtés, toutefois ce chez moi aux tapis exténués, aux plafonds lézardés, aux placards affaissés, je le connais, je sais tout du cannage du fauteuil de jardin, dans la cuisine, qui craque et se casse tant et si bien que j’ai préféré jeter un coussin dessus pour ne plus rien voir du carnage, je sais tout des serrures brisées du secrétaire en faux Tudor et d’un pied raccommodé du lit …
Le silence baisse d’un ton, c’est bon maintenant, je perçois faiblement l’arrivée d’une voiture, je me tourne et je crois reconnaître dans la lueur lointaine d’un réverbère le grand carrefour de la Vogéaz, à Morges. Je suis pris d’un léger haut-le-corps, je n’ai pas l’habitude d’être tout entier dans l’instant, d’une pièce et d’une seule, un peu comme disait l’autre sur sa montagne « Je suis l’Alpha et l’Omega ». Si je ferme les yeux, je peux exactement retrouver selon la même orientation géographique, des postures que j’ai eues de Morges à Berlin, de Barcelone à Paris, de Genève à Zürich et partout ailleurs où j’ai logé … Voilà qui dépasse – et de loin – la quatrième dimension et toutes les autres, les tours de passe-passe façon ubiquité et autre voyage temporel. Pourtant, je ne suis pas en train de lire du Aldous Huxley et je n’ai rien consommé d’illicite ni d’alcoolisé, et je ne prends plus d’anti-dépresseur ! Les suppôts moscovites vont encore en tirer d’étranges conclusions … L’évocation de cette clique ne produit qu’un clapotis … acratopège dans l’onde de ma pensée et de mon ressenti ; au mieux cela me fait penser au détachant éthéré qui ne détache rien, dont j’arrose régulièrement mes tapis zébrés. Vapeurs froides, acres et grasses : de quoi craindre les pires puanteurs. L’appréhension dissipée, il reste moins que l’amertume d’un agrume.

mercredi, janvier 03, 2007

Garçon, la suite !


En un mot comme en cent : et m ...
La moitié de mon précédent billet s'est envolé suite à une erreur de manipulation (de ma part). Je ne suis pas avare de ma plume; l'angoisse de la page blanche, je ne connais pas. Parfois la paresse de prendre la parole, de produire cette parole, de la tisser, la rebroder ... Une soie précieuse et commune, paradoxe ... un peu de moi, de mon souffle et d'autres choses. J'aurais pu écrire de gentils romans pour dames qui ne savent pas quoi faire l'après-midi, avec des héroïnes pseudo-historiques et des dialogues miteux. Cela aurait été mauvais, assurément, se serait vendu et aurait plu aux suppôts moscovites, rapport à l'oeil (de Moscou, voir les billets du 1er au 12 décembre). Je souhaitais du reste à ces braves gens une bonne et heureuse année 2007, certainement meilleure que 2006 s'ils continuent à me lire. Ils auront un peu de distraction au bureau. J'avais aussi une pensée pour ma tripotée de vacataires, mes "époux" successifs depuis ces trois dernières années (dont je ne citerai pas le nom par discrétion) et mes amants (dont je ne citerai pas le nom parce que ça serait trop long); j'avais une dédicace spéciale pour l'un d'entre eux à qui je proposais des taosts Hawaï (pain de mie, moutarde Thomy, jambon carré, fromage carré, ananas en boîte, cerise au milieu, vingt minutes au four) puis les douze coups de minuit sur la place de la cathédrale, la voir s'embraser de feux rougeoyants et finir le champagne en tête à tête. Le monsieur a dû être refroidi par le billet dans lequel je me disais marié à mon oeuvre ou par la composition du menu ...
J'ai passé Nouvel An avec Yohann, chez l'une de ses amies et je suis rentré vers deux heures, trottoirs mouillés, une nuit fraîche juste assez agréable pour rentrer d'un pas mesuré, la première promenade de l'année. J'ai exactement retrouvé cette atmosphère pleine, savoureuse et banale à la fois; quelque chose de très photogénique, un rien poétique, à peine inspiré comme si "la bonne vie" allait de soi. Il y a bientôt vingt ans, j'ai fait le choix de croire à cette vie-là. J'aurais pu céder au sordide et à la panique, j'avais ... le choix. J'aurais pu "bovaryser" ou "guibertiser" (voir le décadentisme d'Hervé Guibert). J’ai préféré le battement discret d’une horloge dans le séjour, le service aimable des établissements de qualité, « la bonne vie » donc, ses codes et ses clichés que je revisite depuis. J’ai par là-même fait le choix de l’autofiction. Au fil de ma plume, j’ai appris à donner le change, à être riche de ma dignité et d’une certaine adresse, j’ai appris l’élégance dans la durée au mépris de la mode et des agités … Je vais vous épargner le laïus de la lutte contre les forces du néant, de la création artistique comme planche de salut, etc. Et pourtant … Je peux vous raconter un crépuscule venteux, des cieux d’or et de colère, le parfum de Christine resté accroché aux coussins du canapé, un photophore décoré de dentelle, le verbe cinglant et chantourné de Charles-Albert Cingria, le ruban luisant du bitume détrempé sous un horizon bas, la route qui vous appelle et commence juste en bas, la porte de service sur la rue Recordon. 3 janvier et envie de courir à travers l’année, à la recherche de Dieu sait quoi, à collectionner des riens et toujours l’espoir de rencontrer le bon, le « prince charmant », un billet de loterie gagnant … De l’appétit en tout cas, allez, « Garçon, la suite ! »

samedi, décembre 23, 2006

Chère Germaine


La tentation du silence ... Quoique, au collège de C., village où vécut Madame de S., on s'est fait à l'idée de compter parmi les enseignants un homme de lettres, avec tout ce que cela sous-entend (d'embarras). Il y a aussi la tentation du départ ... Pas d'inquiétude, je ne pense pas à un départ à caractère définitif, avec dernier voyage et dernière demeure. Le suicide reste toutefois une possibilité dans la vie de l'homme de raison, une dernière carte, un peu bravache, un dernier coup d'éclat grinçant. Je pense plus prosaïquement au Canada, à ma chère Berlin, Barcelone, Zürich, Zoug ? Euh, oui, pourquoi pas ... De toute manière j'arrive à me sentir chez moi partout, et même au collège de C. où j'avais une heure à tuer hier. J'ai failli me mettre à la ponte de ce billet depuis l'un des ordinateurs de la salle des maîtres. Cela m'aurait bien fait rire mais je ne connais toujours pas mon code d'accès que l'on me répète régulièrement et que j'oublie tout aussi régulièrement.
Il est midi, je suis encore installé dans mon lit, les voilages bleus de la large baie du balcon à ma droite et le ciel, derrière, de la même nuance un peu délavée, toujours le même chaos de toits, un tas de baraques sur la trop splendide toile de fond des Alpes lorsque l'horizon se dégage. Je suis très attaché à cette confrontation, à ce dialogue de sourd entre un urbanisme en roue libre et une nature d'une beauté forcément indicible. J'ai grandi dans du béton pré-mal-fabriqué seventie's, je ne peux qu'avoir de la tendresse devant de telles constructions et beaucoup de méfiances face à l'inaccessibilité de paysages de cartes postales. Dans le village de C., étalé tout autour du château de Madame de S., on cultive le pittoresque du coup d'oeil; réverbères, pavés, plate-bandes, nouveaux quartiers : tout a été mûrement pensé et, même si ce n'est pas du meilleur goût, cela reste toujours joli (et propre en ordre comme il se doit). Il y a une sorte de pacte tacite entre les autorités, la population et le cadre. Les choses, les gens, les éléments sont liés comme de vieux époux qui ne s'aiment plus mais s'aiment bien ... Parmi ce délicat équilibre, il est clair que le moindre écart tient du scandale ...
La tentation du silence ... la tentation du départ ... la musique des toutes petites choses, un rayon de soleil, le petit vase d'opaline turquoise offert par Jacques, une ombre sur le tapis, des fumerolles qui s'échappent nerveusement d'une étroite cheminée, quelques moineaux sur la balustrade. Il y aurait tant plus à dire et c'est déjà beaucoup ... Deux galets sur la commode grise, ramassés sur la plage de Barcelone ... Un nouveau roman en vue, la dernière main à "La Dignité" dont la publicité est déjà faite, je dois faire un saut à Paris, l'émigration attendra la fin de l'année scolaire, j'ai une classe de joyeux cancres à éveiller aux mystères de la littérature, les faire grandir un peu, et Rome en février, Lyon, Zürich, Bruxelles peut-être, Berlin évidemment, Barcelone à Pâques, élargir l'horizon depuis le préau du collège de C., village où vécut cette chère Germaine.

lundi, décembre 18, 2006

Plus fort que tout


"Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs", j'avais attrapé cette phrase un lointain dimanche après-midi, à la radio, Couleur 3; elle ne m'a jamais quitté depuis. Je pourrais ajouter que nos vies avancent sur un tapis de roses ... Tout dépend de l'histoire que l'on se raconte ... que l'on a envie de se raconter. Je ne vais pas verser dans un optimisme bêbête et béat du genre des bons conseils de Mme Rosette dans les colonnes indigentes d'un journal dominical ... La plupart de ceux qui encombrent le devant de la scène et accaparent l'opinion publique sont issus d'un autre temps, ce sont des apparatchiks gentiment fossilisés ... et ils n'ont jamais su raconter des histoires qui font rêver. Désolé pour les gens de la finance, ils ne donnent pas mieux le ton. Ils essaient de se refaire une vertu en chantant les louanges de l'écologie mais le catastrophisme climatique ne fait pas plus rêver ... Pas mieux pour les intégristes circoncis ou non ... Un jour, je vous raconterai une très très belle histoire, quelque chose de très intime, plein de lumière, de chausse-trappes, d'action, de coups d'éclat. Je vous raconterai des levers fabuleux, des prières éplorées, des attentes ardentes, des retrouvailles émouvantes, des retours encore plus inespérés que celui d'Ulysse dans sa patrie. Je ne vous cacherai pas un détail du merveilleux conte que j'ai commencé à me raconter il y a près de vingt ans. Vous verrez, il y aura encore plus de panache que dans les aventures d'Angélique marquise des anges, et des châteaux à Vienne, des après-midis à Venise, le thé à Berlin, un cocktail à Udaipur, des soirées brillantes à Paris, du glamour, quelques larmes, beaucoup d'émotion et un cloître dans la brume, comme cet après-midi à Einsideln. Et je vous raconterai des caresses encore plus suaves que celles décrites dans Les mille et une Nuits, et des hommes virils et galants, des femmes élégantes et discrètes, de grands adolescents solaires et élancés. Je vous raconterai cette vraie vie et comment tout cela a commencé, et la fabuleuse lutte contre les obscures forces du mal que l'ont fini toujours par vaincre comme Goldorak écrasant les troupes de Véga. Vous saurez tout ... et me croirez lorsque je vous dis "Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs."

mardi, décembre 12, 2006

Se souvenir des beaux jours !


Nous voilà à nouveau entre nous, j'entends entre gens de bonne compagnie. "L'oeil de Moscou" s'en est allé promener son regard inquisitario-réprobateur ailleurs où je ne suis pas; l'hydre de la censure mal pensante après avoir imprudemment risqué un ou deux tentacules sur ces pages - et celles du blog secret - et se les être fait trancher sans sommation s'en est allée ramper dans les fonds vaseux de ses convictions dévoyées. Toute cette molle cabale sentait des pieds : le léger fumet d'une homophobie standard étiquetée "pornographie". Ma pornographie est plus propre que votre morale, chers contempteurs, et après ces quelques passe-d'arme, je ne vois que des amis autour de moi, et des élèves heureux de me revoir.
Mes amis, imaginez un peu le calvaire que cela a pu être pour tout cette armada de petites gens précipitées dans ces pages et ces problématiques si éloignées de leurs préoccupations coutumières : rien à propos du géranium en pot, du leasing chez Opel ou Toyota, du foot ou des dernières tendances pédagocigo-psy-psy-beurk. J'imagine plus d'un préposé le nez collé à l'écran, comptant et recomptant les "bites", "burnes", "trous" (trou ? ça compte pour de la pornographie ou pas ?!) Par principe, j'ai tout de même contacté Dialogai, m'ouvrir de cet incident et je me suis entendu répondre ce que je ne voulais pas croire : il s'agit bien d'homophobie ! Il me faut encore demander un avis de droit et peut-être un courrier de protestation.
Il y a pourtant tant plus à dire : des cieux couleur de Vienne, des couchers rasant en or et saumon, le souvenir de Traumprinz, un bref courriel de sa part, un texto de Nicolas, un autre de Grégoire, mon vieil appartement proprement tenu et le temps qui se remet à s'écouler, un goutte à goutte liquoreux, doux, capiteux qui me laisse abandonné sur le canapé, rêveur comme un héros romantique. Et je me réveille totalement neuf de cet état passager, renouvelé, vierge, tout prêt à commencer une nouvelle histoire, un nouveau roman, quelque chose d'un rien douloureux, un gentil exil de soi, avec des veillées sur une pile d'oreillers à volants, des cravates élégamment nouées, des chaussures brillantes et les week-ends ailleurs, se faire quelques mois de beaux souvenirs normaux, tranquilles, avant la catastrophe que je ne suis pas le seul ni le seul auteur à pressentir.

samedi, décembre 09, 2006

Nouvelles du front


Démobilisé, je suis démobilisé ... Il pleut à verse, j'aime ce bruit, le passage des voitures, je suis installé dans mon lit, il y a un nouveau cochon en peluche à côté de moi. J'ai plaisir à me raconter la petite histoire du "tout va bien, rien n'a changé, tout est normal". Je me dis qu'il y a toujours une bonne série à la télé et le débit rapide de Joël Collado dans le bulletin météo sur France Info. Je ne suis pas tombé de ... la dernière pluie, je sais bien que je me raconte une histoire, que les signes s'accumulent et qu'il ne sera bientôt plus possible de se leurrer. En fait de démobilisation, il s'agit plutôt d'une permission. Et je suis prêt à repartir sur le front, mener ma troupe, ne pas lâcher notre position.
Hier, au retour de C., petit village où vécut Mme de S., le collège où j'officie, j'ai eu une fort belle conversation avec l'un de mes collègues, à propos de la tentation du désespoir, des forces du néant et de la fragile volonté de continuer. Nous avons parlé de Julien Green, il faut que je me procure le journal de cet auteur, encore un récit en "je", une expérience de chair et de sang condensée dans un dialogue entre soi et soi, et Dieu aussi.
A propos du collège de C., j'y parais désormais cravaté ! Je n'ai pas adopté cet accessoire vestimentaire par coquetterie, encore que ... Non, il est question de témoigner de mon adhésion volontaire à ma fonction, il s'agit aussi d'un signe d'alliance avec mes élèves et ça m'est une croix de fer symbolique, méritée pour hauts faits d'armes dans la guerre menée contre la censure et la répression de la liberté d'expression. Et la cravate n'a-t-elle pas été inventée afin de reconnaître les soldats d'une même armée parmi la confusion du champs de bataille !

lundi, décembre 04, 2006

A la droite de Thomas


Cela fait trois fois que je reprends ce billet, j'en viens à hésiter entre ce qu'il faudrait dire, ou pas, comment ce pourrait être perçu ... Quand j'étais enfant, on se racontait mi-blagueur, mi-soucieux, le mythe de "l'oeil de Moscou" qui parvenait même à vous observer à travers le trou de la serrure de la salle de bain. On en regretterait la guerre froide ! En fait, je me dis que j'ai donné à voir mes chers cochons en peluche à des regards tout berk-berk, à des paires d'yeux ne méritant certainement pas la délicate peluche de mes amis tout roses. On oublie que, parfois, être lu est synonyme d'être mal lu. Ma foi, si c'est au prix de ce martyre littéraire que l'on gagne sa place à la droite de Thomas Mann, je subirai mon supplice avec dignité ... et ne manquerai pas de tout cafter au fil de mes billets.
Pour en revenir à l'actu des mondanités, belle réception samedi soir au château de Nyon, à l'occasion de la remise du prix des Ecrivains Vaudois. On y célébrait Jean-Michel Olivier (de la descendance de Juste), un auteur qui adore jouer avec les masques à travers son oeuvre. Je ne vais pas refaire le petit discours que j'ai servi à mes pairs, je conseillerai simplement la lecture de "Nuit blanche", bref roman enlevé qui n'a rien à voir avec de la littérature vaudoise plan-plan bien comme il faut. C'est presqu'aussi gratiné que "My life is a soap opera", presque de la littérature gay autofictive (voir "autofiction") avec ... des hétéros ! Monsieur Olivier est un homme fort bien marié, une femme séduisante, deux filles, une bibliographie d'une vingtaine d'ouvrages ... Je dois avouer qu'il était plaisant de se retrouver entre gens de lettres ... un verre à la main et de la dinde froide au creux d'une serviette dans la poche ! C'était pour la bonne cause, personne n'en voulait plus, le buffet était en voie de "débarrassage" et Elodie m'accompagnait. Non pas qu'Elodie convoitait les blancs de dinde pour son usage personnel mais elle a trois chats trop gâtés. Patrick, mon éditeur, le monsieur qui m'a dit en son temps que ce serait bien si j'avais un truc en ligne histoire de promouvoir mon activité, faire de la publicité - de ce côté-là, mission accomplie, j'ai même réussi à attirer un lectorat auquel je n'aurai jamais pensé ! - donc Patrick était de la partie. Et parmi tout ce monde, que le vin était bon, Elodie en pleurait de rire, impression d'être les hôtes et la concierge du château mi-impatiente, mi-fatiguée, attendant qu'on ait fini de se faire des politesses parmi, et que l'on débarrasse le plancher pour fermer !

vendredi, décembre 01, 2006

La Trinité


Mercredi, je suis passé au collège de ... , petit village où vécut Mme de ... , histoire de reprendre contact avec les lieux avant mon retour, de bavarder un peu avec mes collègues. Nous avons causé "littérature en ligne" si vous voyez ce que je veux dire ! Les enseignants font de remarquables lecteurs, assidus, perspicaces et plein d'humour. L'une de mes collègues de français, appréciant le style, me disait être toutefois embarrassée, impression de violer une intimité, d'entrer là où on ne l'avait pas invitée, de jouer les voyeuses. En filigrane, j'ai perçu la question "à quoi sert le blog ?". Comme on consulte un livre de cuisine pour une recette, un dictionnaire pour une définition, un recueil de poésie pour s'émouvoir, on lit Madame Bovary, de l'autofiction ou un blog afin de se revêtir de la sensibilité de son auteur, de "passer" son regard, des lunettes qui focalisent et colorent, une autre façon de voir ce qui vous semblait commun.
 
Y a-t-il de l'exhibitionnisme dans la tenue d'un journal littéraire en ligne ? Autant que dans un annuaire où l'on donne au regard public une chose aussi intime que son numéro de téléphone et parfois même sa profession ! Croyez bien qu'un professionnel de l'écriture ne manque pas de mettre en scène son propos, de se théâtraliser. La comédie se donne à voir mais la coulisse et les loges restent dissimulées aux spectateurs. J'ai la prétention de croire que je peux offrir à mon improbable lectorat de l'émotion, du rire et des expériences qui leur seraient utiles, voire une parole réconfortante. Par exemple, tout le monde sait que je partage ma couche avec ... des cochons en peluche ! Combien d'amoureux de la gent porcine grâce à moi ne se sentiront plus seul ni honteux de leur penchant; je compte du reste bientôt lancer une pig-pride.
 
Blague à part, on me parle de "justification", je dirai plutôt réflexion à froid, observation, c'est un re-play image par image qui permet de comprendre la mécanique du sentiment, de l'évènement, qui permet d'isoler les ingrédients d'une atmosphère. J'ai un regard et une sensibilité particulière à faire partager. Dans cette activité, les lettres françaises ont une brillante référence ! Je le répète, je ne suis ni Flaubert, ni Mme Bovary, je ne suis pas Mme de Staël non plus, Dieu m'en garde (quoique je commence à avoir une certaine sympathie pour elle), je ne suis pas Guibert et ni même Montaigne. Oui, Montaigne, avec ses Essais à la première personne du singulier; un auteur qui s'est directement impliqué, commentant lectures, événements publics ou privés. Il commence par l'adresse suivante :
"C'EST icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dés l'entree, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privee : je n'y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire : mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ay voüé à la commodité particuliere de mes parens et amis : à ce que m'ayans perdu (ce qu'ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve, la connoissance qu'ils ont eu de moy. Si c'eust esté pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautez empruntees. Je veux qu'on m'y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice : car c'est moy que je peins. Mes defauts s'y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l'a permis. Que si j'eusse esté parmy ces nations qu'on dit vivre encore souz la douce liberté des premieres loix de nature, je t'asseure que je m'y fusse tres-volontiers peint tout entier, Et tout nud. Ainsi, Lecteur, je suis moy-mesme la matiere de mon livre : ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq."
De Montaigne, ce 12 de juin 1580.
 
Tout est dit ! On pourrait m'objecter deux ou trois choses, Montaigne écrit pour ses proches, il se montre sans fard ... mmoui ... je ne reviendrai pas sur les principes de l'énonciation mais dès qu'il y a production d'écrit à caractère littéraire, il y a diffusion, tripatouillage, pose et paradoxalement sincérité. La blogosphère, telle que je la pratique, procède de Montaigne, Flaubert et Guibert.

jeudi, novembre 30, 2006

Des rats et autres rongeurs


Il vaut mieux avoir un écrivain dans sa bibliothèque plutôt qu'à sa table, dans son lit ou son salon. Il finit toujours par éventer vos petits secrets, à raconter des horreurs à votre sujet, à vous affubler de mille sobriquets ridicules et animaliers. Lui-même se situe entre le rat et le paon. Alors que les paroles s'envolent ou s'enlisent dans les sables mouvants de la mémoire, l'écrivain revient sur les faits comme un rongeur tenace à la faveur de l'obscurité. Et quand ça ne vous vandalise pas le garde-manger, ça vous rabâche les oreilles avec de vieilles lunes ou des considérations de vieilles filles. Et n'essayez pas le coup de la censure, il en profitera pour sortir de l'obscurité, glousser à l'irrespect de la sacro-sainte liberté d'expression, fera la roue et ne sera pas le moins du monde gêné de se payer la bobine de la dite censure d'une plume affûtée. Il faut du reste rendre hommage à la sus-mentionnée censure qui a certainement permis l'élaboration des plus beaux textes, a offert les plus belles occasions transgressives à la littérature par simple tentation. L'homme de lettres est paresseux, il faut l'aiguillonner comme ... une bête de trait ! Si on lui dit "oui" bien gentiment, si on remplit son verre et son assiette, vous verrez l'animal s'amollir, poétiser sur les plaisirs de la table, faire du théâtre de boulevard ou préparer d'obscures anthologies dont l'intérêt justifie à peine la dépense d'édition et certainement pas les crédits de recherche ... Attention de veiller à ce qu'il ne s'ennuie pas ! Il trouverait la gamelle mauvaise, cracherait dans la soupe et se mettrait à l'anarchie. Par principe, il faut lui dire "non" de temps en temps et se laisser vitrioler. C'est à se prix-là que vous aurez l'immense privilège d'être immortalisé dans la peau d'un bovidé ou d'un camélidé ... Bon, quand l'écrivain de votre fréquentation se fait une renommée, voire touche au faîte de la célébrité, vous pourrez toujours vous targuer de le connaître et aurez mille anecdotes croustillantes à son sujet. L'écrivain est une bestiole qui ne sait pas trop se tenir; Thomas Mann est une exception. Vaudeville ou tragédie, été ou hiver, un homme de lettres c'est encore plus varié que la télévision câblée; il y aura toujours un programme qui finira par vous plaire.

jeudi, novembre 23, 2006

Join the club


Heureusement que je ne suis pas vénal, j'en aurais été malade ! A moins que mes antidépresseurs ne soient particulièrement efficaces. J'ai appris l'autre jour de la bouche verbeuse et pleine de commisération de je ne sais quel préposé officiel que je ne toucherai plus de salaire à partir du "18 novembre y compris" et que, voilà, voilà, et pendant ce temps mon chocolat chaud refroidissait et mon brave interlocuteur s'écoutait parler, et me conseillait de ne pas reprendre trop tôt, de me ménager ... J'ai failli pouffer de rire car m'est revenue à l'esprit la petite histoire de Marie-Chantale rencontrant un mendiant qui lui dit ne pas avoir mangé depuis trois jours. Et l'élégante de répondre "Ce n'est pas bien, mon brave, il faut vous forcer !" Bon, ça va pour cette fois, mon chocolat était encore buvable et mon interlocuteur semblait authentiquement compatissant. Je n'ai pas pu m'empêcher de raconter jovialement mon histoire à ma mère qui s'en est inquiétée. J'ai tenté de la rassurer avec un argument qui me semblait, ma foi, de poids. "La situation est sous contrôle pour cet hiver, j'ai acheté mon manteau sitôt les nouvelles collections en rayon !" Une affaire, vous devriez voir, un vêtement long et très chic, ça aura beaucoup d'allure par les rues de Berlin, pour les prochaines vacances. En attendant, je vais prendre mon bâton de pèlerin et m'en aller trouver les offices de pauvres de la place. On m'y reçoit toujours aimablement. Il était tout de même plus facile, par le passé, de faire sa cour à un prince, ça avait plus d'allure que de finir dans les antichambres aux moquettes trouées de l'administration communale ... Et pour le champagne, j'irai le boire avec Billy ! Attention, nouveau vernissage ce soir !
J'ai passé un début de semaine fort agréable, entre Jean-Michel Olivier et Golo Mann. Le premier parce que j'ai accepté de faire un discours à l'occasion de la remise du prix des auteurs vaudois dont il est le lauréat et le second, le cadet de Klaus et Erika, le fils de Thomas, le neveu d'Heinrich (et arrière petit-fils d'Hedwig Dohm) parce que je lis ses souvenirs de jeunesse, un pavé fort bien documenté, un peu poussiéreux parfois mais qui n'est pas sans rappeler le style Mann, c'est à dire de la rigueur, un sens certain de la dignité et une conscience pointue, voire pointilleuse de l'image sociale. Il était enseignant ... d'histoire et d'allemand ! Je dois avouer que, dans la tribu Mann, Klaus reste mon préféré. Je lui trouve l'esprit plus délié, un réalisme politique quasi prophétique et le parfum subtil et alléchant du scandale ... du scandale pour petits bourgeois. Klaus a du reste tiré le diable par la queue toute sa vie. Bienvenu au club !

jeudi, novembre 16, 2006

"Frevall c'est moi"

Bien, on ne va pas tergiverser, appel à tous les lecteurs, si ce que vous venez lire ici ne vous convient pas, passer donc votre chemin ! De toute manière, vous n'apprendrez jamais rien de spectaculaire surtout si vous n'êtes pas versé dans des questions de littérature !
Je ne m'adresse pas à tout le monde, je pense particulièrement à la petite inquisition menée par habitude en terre vaudoise. Cela n'est pas sans lien avec le fameux "Madame Bovary, c'est moi !" de Flaubert. Je ne suis, soit, pas Flaubert ni donc Mme Bovary, ni Mme de Staël (le ciel m'en garde) mais je suis un auteur, un auteur qui tient un journal littéraire en ligne, un blog, un peu à la manière des frères Goncourt. Je ne suis pas non plus l'un ou l'autre membre de cette fratrie. Je tiens simplement à expliquer que l'écrit rajoute un plus au sens des choses, un sens sous le sens, les événements sont anecdotiques. L'écrit est libre lorsqu'il n'insulte ni ne pousse à la haine. L'écrit a un énonciateur et un récipiendaire, par élection. Selon le contexte, le "je" n'a pas toujours la même valeur ! Dans le cadre d'une activité littéraire, le narrateur n'est pas l'auteur et ce que vous lisez tient de la fable ... Vous ne me croyez pas ? Ah, quel dommage que l'on ne croie pas les écrivains, le monde tournerait tellement mieux !
Hé, lecteur, si tu penses te reconnaître sous un masque ou sous l'autre, qu'il te plaise ou non, et bien je te rappellerai le procès que des dizaines d'apothicaires ont tenté d'intenter à Flaubert pour s'être lu dans le personnage d'Homais. Mais quelle est la frontière entre le littéraire et le témoignage circonstancié d'événements ? donc de la réalité ? Elle est ténue ! Elle tient à la personne du narrateur qui n'est pas l'auteur et l'est aussi et ... Sophisme jésuitique ... Peut-être mais je ne connais rien de plus sacré que la liberté d'expression. Qu'on se le tienne pour dit, de Crissier à Cossonay et à Cottens, Cudrefin ou Champagne !
Défense et illustration de "My life is a soap opera"
Il faut que je vous parle de mon modèle : Thomas Mann ! Au-delà de l’œuvre, de la saga des Budenbrook, de la magie de sa narration ample, colorée, j’admire l’homme, l’auteur mesuré, le père de famille, l’époux, le meilleur ambassadeur de la grandeur de la culture allemande. J’admire l’individu éminemment policé qui a su museler la bête, refouler l’homosexuel et, à la fois, plonger au cœur de ses fantasmes. Il livre ainsi ses désirs dans leurs formes les plus pures. Tadzio, le jeune et brillant Tadzio, le merveilleux adolescent qui, à son insu, conquit le grand Thomas Mann, Tadzio, objet de tous les cultes, ne vieillira jamais entre les lignes de « Mort à Venise ». La littérature suspend le temps ; de plus, elle pacifie les sentiments les plus emportés, elle ennoblit ce qu’elle touche et donne à voir la vertu là où on ne l’imaginerait pas. Elle raconte avec force détails des univers insoupçonnés, pousse des portes qui vous seraient toujours restées fermées. Avec Thomas Mann, ses Budenbrook, nous vivons au milieu d’une grande famille d’une cité hanséatique, nous nous faufilons parmi les vanités de cette élite née pour diriger … Dans «La Mort à Venise », notre prix Nobel de littérature nous raconte la douleur et l’espoir fou d’un homme mûr face aux attraits naturels de la jeunesse masculine. Dans ce travail, l’auteur, à aucun moment, ne perd sa dignité … Un auteur sincère ne perd jamais sa dignité …Revenons à la lecture de ce soir. « My life is a soap opera » est un roman de pédé, tel qu’indiqué en titre de collection. Ce terme est à prendre dans ses deux acceptions, c'est-à-dire un écrit léger – par opposition à quelque chose de corsé, fait pour les vrais hommes – et un roman ayant trait à l’homosexualité. Il faut, à présent, que je vous fasse la genèse de ce texte. Avant même le début de sa rédaction, je me suis donné quelques contraintes : je tenais à employer un lexique romand, les mots de ma mère, de ma grand-mère et témoigner, en même temps, de la culture gay ! Sur cette base, j’ai construit un conte, une sorte de fable dont le héros ne serait pas une jeune fille malheureuse qui attend son prince charmant mais un jeune gay pas si malheureux qui attend aussi son prince charmant. Quel rapport avec Thomas Mann ? Je vous donne à voir un milieu, une logique comportementale, des codes propres à la scène gay de la même façon que Herr Mann montrait la bourgeoisie du début du XXème siècle. J’ai opté pour une trame romanesque plutôt que de donner dans le témoignage intime et personnel, je raconte un monde que je connais, soit, mais de la même façon que Marivaux, dans sa « Vie de Marianne » a raconté la fin du XVIIIème siècle, les mœurs des lingères, de la noblesse, l’art du vêtement et les mille détails nécessaires à une peinture vivante. Je pourrais vous glisser encore bien d’autres modèles, de Flaubert à Mauriac, jusqu’à Yves Navarre. Qu’est-ce qui les relie tous ? Leurs romans sont conçus comme lieu de témoignage d’une époque et d’un milieu donné.Je dis bien roman car, je ne crois plus à l’autofiction, je n’ai pas écrit mes mémoires, ni même de confessions publiques à la façon de Jean-Jacques Rousseau. Je me permets ici de vous rappeler une évidence linguistique : l’auteur – moi – et le narrateur sommes deux entités distinctes. Je m’appelle Frédéric Vallotton et le narrateur de « My life » se prénomme Jean-Pierre, surnommé « La joie de vivre ». Il se raconte alors qu’il a 95 ans et, je sais bien que je fais plus jeune, mais j’en ai 36. Soit, Jean-Pierre et moi-même avons quelques traits communs : nous sommes gays et romands. Cela s’arrête là … il a beaucoup plus de succès que moi avec les garçons. Blague à part, je me présente devant vous ce soir en tant qu’auteur, homme de lettres en général, et heureux père de ce dernier roman en particulier. Peut-être qu’un jour, le gâtisme faisant, je me prendrai pour Jean-Pierre ! J’aurai peut-être son ingénuité et sa parole volubile. A ce propos, la rédaction de « My life is a soap opera » était porteuse d’une dernière contrainte : raconter un « conte de fée » moderne sur un mode rablaisien, cela sous-entend une langue gaillarde, plutôt verte par moment, des situations crues et drôles, une façon de rattacher mon travail à la tradition populaire de la gaudriole et de la gauloiserie un peu épaisse. J’ai beau être l’auteur d’un roman gay, j’écris pas pour les pédés !Un dernier point encore, je suis persuadé que la littérature ne sert pas qu’à distraire, enjoliver, ou émouvoir. Elle est porteuse de sens. Je n’ai pas écrit « My life » selon une logique prosélyte, je m’excuse auprès de ceux qui ne considèrent mon travail que comme une suite de scènes crues de sexe, et auprès de mes futurs lecteurs qui pourraient partager cet avis, mais j’ai écrit « My life is a soap opera » de la même manière que Charles Perrault a écrit « Peau d’âne », il y a une morale au bout du compte, une petite philosophie plutôt sympathique que je pourrais résumer par « Nous sommes tous des empereurs, nous sommes tous des étoiles ! »

jeudi, novembre 02, 2006

In Memoriam


Hier, en bon catholique, je suis allé honorer mes morts. Je suis allé sur la tombe des mes grands-parents maternels et sur la "tombe" de mon père, le jardin du souvenir selon une demande faite de son vivant. J'avais assuré à ma mère qu'il s'agissait d'un mur fait de petites niches où sont placées les urnes que la végétation recouvre petit à petit. J'avais confondu avec le colombarium ...
Un article de presse a fini par la mettre au courant. Elle en pleurait, se maudissant d'avoir envoyé feu son époux à la fosse commune ... Je me revois très précisément et je revois encore plus précisément l'image mentale qui m'est apparue : le croque-mort à quatre pattes, devant un vaste trou rempli de cendre, armé d'une petite cuillère, recherchant les restes de son client déposé là par erreur ! L'incident s'est terminé dans un rire.
En mémoire de mon père j'ai déposé une plante et un lumignon. Je n'étais pas seul, je me suis adressé à lui à voix basse, lui raconter deux ou trois choses de ma vie, lui dire que ça va, que ça pourrait être mieux mais que je ne manque de rien. Puis une autre plante, un autre lumignon, cimetière de Renens, chercher la petite pierre de faux marbre rose orné d'une rose de faux bronze en relief sur le côté droit ... Henri et Marguerite reposent en dessous, dans leur urne respective ... Le nom de ma grand-mère ne figure pas sur la tombe, ma mère était au chômage lorsque sa mère est morte, on a limité les frais et je crois que ni elle, ni ma soeur ni moi n'avions à l'époque la force d'assumer un deuil dans les règles ... Je me suis assis en tailleur sur le papier d'emballage de la plante, au milieu de l'allée de graviers, devant la tombe d'Henri et de Marguerite dont personne ne peut soupçonner la présence. Je leur ai parlé un peu, les visiteurs passaient devant moi en faisant mine de ne pas me voir ...
Hier, j'ai témoigné de mon respect à mes disparus ... Ils n'étaient pas tous là, il aurait fallu que j'aille sur la tombe de mes grands-parents paternels mais j'aurais eu de la peine à réfréner mes insultes ... et celle de Daniel, mon parrain et passer trouver mon Grégory. Ses cendres trônent dans la chambre à coucher de sa mère. J'aurais préféré qu'il y eût une tombe, un lieu qui n'appartienne pas plus aux uns qu'aux autres.
Hier, j'ai essayé tant bien que mal de raccommoder ces morts, ces disparitions, de renouer et de faire les choses au mieux ... Ne pas rester brouillé avec la mort des siens. Tant pis pour le jardin du souvenir, pour le nom qui ni figure pas sur la pierre, pour la sépulture même qui n'existe pas, pour la rancoeur qui traverse les générations ... Tant pis ...

jeudi, octobre 12, 2006

"2006 ou presque"


"Kopf hoch" qu'il disait l'autre imbécile, le taré de Vienne, le lâche ... Comment a-t-il pu imaginer une seconde que je puisse baisser pavillon, la reddition, la soumission ? Je ne sais pas pourquoi je me suis souvenu aujourd'hui de cette parole, l'un de ses derniers messages ... Peut-être à cause de toutes les belles promesses que la nouvelle année n'a pas su tenir, parce qu'elle n'est plus si nouvelle que ça, l'année, en cette mi-octobre ! Parce que toutes les "opportunités" qui se sont offertes à moi n'en ont pas été : des chausses-trappes, des embûches. Pourtant cela ne m'a pas empêché de vivre, d'affirmer ma qualité d'homme de lettres, de grandir dans ma propre vie et de rencontrer par ces biais-là des individus, des singularités.
Ce soir serait un beau soir pour LE départ, ni trop joyeux, ni trop exalté, rien de particulier, une soirée lambda au cour de laquelle il est permis de tirer sur la chaîne juste pour vérifier la longueur de la liberté, se dire que c'était bien quand même mais sans trop de regrets non plus. J'en ai connu des nuits dramatiques où l'errance se le disputait à l'angoisse, au sordide. Mais c'est fini. Fini, je suis trop grand pour avoir peur du croque-mitaine ou de ma "hiérarchie" ! Trop grand pour me faire chapitrer comme un gosse ou balader comme un ado amoureux; trop grand pour les douleurs vaines et les passions dévorantes. En fait, je suis bien, dans cette nuit ni chaude ni froide, milieu de semaine, pas d'urgence à l'horizon, quelques amis, beaucoup de restes, encore un peu de famille et un époux, juste trop pour partir là, ce soir, dans le contentement d'un jour banal et doux.
Ce serait le moment parfait, pas trop près de Noël pour ne pas gâcher la fête, pas encore novembre et son cortège de désespérés livides, simplement partir, sans pathos, rester sur une bonne impression, octobre en épilogue ... Il ne faudrait pas même penser aux moyens, un geste simple, bref, tirer sur le bouchon de la baignoire et voilà ! Un générique de fin, on rallume, ça ferait un joli Lelouch pour une projection tardive, une p'tit histoire avec quelques récurrences sympa et pas trop de scénario.
Yann, Yohann, Nicolas, Christine et même Alda feraient fort bonne figure dans la narration. Par contre, on verrait à peine R., trop infatué, trop salement manipulateur, Méphisto au sourire compatissant, trop rock'n roll aussi ... Il y aurait une ou deux scènes à Vienne dans ce récit-là, et puis forcément Berlin, et cela s'intitulerait "2006 ou presque".

dimanche, octobre 01, 2006

Les heures


Tout à l'heure, déjà hier, j'étais assis sur un banc, gare de Lausanne, perdu dans la vue, la trouée vers le lac qui bute contre l'horloge de l'hôtel Au Lac. Il était 19h15, heure creuse, heure désespérée pour les esseulés, les pauvres, heure privilégiée de la trahison. C'est à cette heure-ci que Grégory trouvait la plus pitoyable des excuses pour me laisser la soirée durant seul dans son appartement. C'est toujours à cette heure si spéciale que Grégoire me trahissait aussi ...

A l'époque, je croyais à ma pauvreté et je croyais que cette dernière m'attirait la solitude. Depuis bientôt trois ans, depuis Berlin, je me sais riche de moi-même, de ma vaste expérience émotionnelle et ne me sens du reste jamais seul ... Il y a les livres, la pensée, le babil intérieur lorsqu'il n'y a personne de physique à rencontrer. Parfois, soit, je me sens coupé de moi-même, privé du temps de dormir, de me remplir du souffle du monde, de me nourrir l'esprit, de regarder passer les heures ... J'en ai vu s'écouler de fort belles sur les plages de Barcelone, à travers les rues de Paris, Zürich et, évidemment, Berlin. Et à Genève aussi ... Lorsque le cadre est trop coercitif, je perds le juteux de ma pulpe, ma substance se racorni, se rigidifie. Je suis alors amer et j'ai la bouche pleine de "vacheries" ciselées comme de la haute joaillerie.

Les autres sont autres ... je n'ai pas à les réformer, ils ont un fonctionnement plutôt intéressant et perçoivent plus qu'il n'y paraît; je pense à mes collègues du collège de C. Ils ont peut-être juste peur de laisser refluer en eux la vaste vague de la mélancolie, un flot inexorable qui emporte tout et vous laisse larmoyant devant des riens. Après le raz-de-marée, lorsque tout a séché, il n'est pas un lieu de votre pensée qui ne soit envahi d'une fine poussière, un sable délicat, si fin qu'il ne griffe pas mais lustre les idées les plus ternes ...

Jeudi dernier, au Centre d'art contemporain de Genève, en visite avec mes élèves, je suis resté "scotché" devant une installation, un montage vidéo de Nicolas Rebel je crois, un autre collectionneur d'heures qui, à travers ses heures mortes, son temps passé, son enfance et tous les possibles que chaque minute même écoulée porte encore - le parfum d'un disparu sur un vêtement qui lui a survécu - rejoint l'archétype universel de la mélancolie. Les quelques élèves qui se sont arrêtés devant cette oeuvre s'en sont vite détourné : "C'est trop triste !"

mercredi, août 09, 2006

"Il y a tant de belles choses à voir"


L'auteur doit témoigner de son époque, de la réalité qui l'entoure ... de son monde avant tout ! L'auteur a la puissance particulière de projeter ses visions, ses espoirs et ses craintes ... Il a le talent d'agencer son entour et la création tout entière, en faire un tout cohérent, beau et intelligible. La pensée est créatrice. Les mots sont oints du Sens.
Plus prosaïquement, j'ai cessé d'habiter la ville où je séjourne, je me suis détaché d'un rapport quasi romanesque avec des lieux. Et, pour des raisons que je ne m'explique pas, les bus, les cafés, la foule, tout m'est devenu odieux sous le soleil caniculaire et je me suis mis à tituber dans un décors mort, je me suis laissé emplir par le hasard d'un monde décousu et pas très intéressant, fait de chewing-gums collé sur le bitume, de jeunes filles d'une vulgarité inversement proportionnelle à leur âge. J'ai sombré dans des histoires de cuisinière en panne, de contrat de travail en attente, de place à trouver pour des dossiers ... Cela est trop sale, pas même drôle, c'est une pollution.
"Il y a tant de belles choses à voir", je sors de la projection de "Stay". Je crois que le cinéma nous parle, il est notre pythie moderne et cette histoire en mille-feuilles narratif tragique m'a sorti de la vacuité commune des petits papiers à remplir, des mille choses inutiles que l'on est obligé de faire lorsque l'on ne vit pas sa vie et que l'on veut néanmoins la remplir. Tant pis pour les contingences, il suffit de ne pas leur accorder d'importance pour qu'elles se règlent d'elles-mêmes, elles sont si inexistantes comparées à la mélancolie des temps. Qu'importent les procédures de l'administration vaudoise en regard du génie de la musique baroque. Qui pourrait croire que c'est un "passe-temps" ! Les filles vulgaires, les chewing-gums et l'administration vaudoise sont des "hobbies" - et j'emploie à dessein cet anglicisme écoeurant - des "hobbies" un peu régressifs. Ce sont, au mieux, des embûches dans ma vie d'homme de lettres. Je ne céderai pas à ce pauvre réel troué. De nous deux, lui a bien plus besoin de mon talent que moi de ses "opportunités".
Jusqu'à ce mal-être, ces mille petits troubles, des histoires de sinus, d'allergie, de crépitements auditifs et de je ne sais trop quoi ... Je n'ai pas envie de vivre à travers mes "bobos" comme ces vieux rentiers qui ont gâché leur vie entière à n'en rien faire, ratatinés sur eux-mêmes. Et je suis aussi atrabilaire que ceux-ci par rejet, il s'agit de mon mode de défense, une façon de vomir les fausses préoccupations et les importuns. Cela ne me rend pas toujours très accessible à mes proches ni même très aimable ... Par bonheur, Nicolas, qui est un fort beau garçon, a le caractère encore mieux fait que le visage !

mercredi, juillet 26, 2006

Stop smoking


Pour la dernière fois, j'ai pleuré Lausanne, ma Lausanne, celle qui n'est plus, la Lausanne du Nyff, du Jet-Lag, du salon de thé Manuel, de la petite Migros de la rue Marterey, la Lausanne des conférences "Connaissance du Monde", animées par feu Jacques-Edouard Berger, ma Lausanne du Théâtre municipal, dirigé par Renée Auphan, la Lausanne que je parcourais avec Grégory, où j'ai habité avec Grégoire, où j'ai étudié avec Christine, où, surtout, j'avais tant rêvé au prince charmant. J'ai pleuré ma Lausanne des salles de cinéma du Palace et de l'Athénée, ma Lausanne de l'EPA-Unip, une certaine idée du confort et de l'éducation. J'ai aussi pleuré la Lausanne du Négociant et des premières Jungles.
J'ai porté un toast à sa disparition dans la sinistre brasserie de la Paix, puisque tout autre café a disparu et que je n'ai pas réussi à me faire à la clientèle bobo des nouveaux lieux à la mode. Je suis rentré abattu par la chaleur et l'usure, la peine ... Je l'ai pleurée et c'est fini parce que j'en ai décidé ainsi. Mais je l'ai pleurée, dans la touffeur d'un début de soirée d'agonie, jeté sur mon mauvais canapé, le salon encombré de méthodes d'allemand et de brochures pédagogiques. Je ne pense pas que Thomas Mann ait pleuré Münich, peut-être la mère patrie dans son expression la plus romantique mais il avait une famille, il n'avait pas besoin du génie des lieux. Il n'écrivait pas dans les cafés mais à sa table et je me suis tant - complaisamment peut-être - aimé dans le rôle de l'auteur qui écrit et fume au café, dans sa ville, son jus. J'ai arrêté de fumer il y a cinq ans, aujourd'hui j'arrête ma Lausanne d'antan idéalisée.

lundi, juillet 10, 2006

Intermède berlinois

Pliage réglementaire

La pluie s’est mise à tomber comme une rédemption, S-41, le Ring, une grosse fille qui sent la charcuterie et la merde est assise dans un coin, elle écoute du hard-rock – trop fort, apparemment pour que je puisse en percevoir la « mélodie » – suivi d’un solo de violon extraordinairement triste. Je la détestais, subitement elle me touche. Retour de boîte classique, impression de suçoter du bout des lèvres le calice de la honte.
J’ai, dans une poche de mon jeans le n° de Laure, rencontrée au Eingang 28, accompagnée du beau Marc, 24 ans. Nous sommes partis ensemble. Il y avait quelque chose de gratifiant à quitter la place suivi de ce duo très voyant. Passé au Schwutz, et puisqu’il ne se passait rien, Marc est parti chasser une belle pièce avec laquelle prendre du bon temps. Ils s’embrassaient et je pensais à Nicolas. Peu avant que je prenne congé, mes deux Français avaient réussi à déchaîner l’animosité de la moitié du tas de garçons autour d’eux, et les flatteries de l’autre moitié. Scène cocasse qui s’est surimprimée à la pluie battante. J’ai déplié mon « en-cas », petite veste de pluie qui se glisse dans une pochette de format A4. J’ai alors pensé à Otto Stich (ancien conseiller fédéral suisse), en visite officielle en Chine qui, dans des circonstances météorologiques identiques, avait déplié sa capote militaire, devançant les parapluies officiels. Voilà donc pourquoi je suis Suisse et eux Français.

vendredi, juin 30, 2006

Profession de foi


Cela se résume, finalement, à la vieille lutte entre le bien et le mal. On se retrouve à la croisée de chemins pavés de bonnes intentions, livré à l'angoisse du choix. Cela s'exprime, souvent, par un demi-pas à gauche ou à droite, par une parole, à peine ... un souffle et pourtant si lourd de sens. Perdu, ou brisé d'hésitation, s'élève alors hors de nous un chant, doux et triste à la fois, moins qu'une plainte, une mélopée d'une grâce infinie. Nous en sommes tout à notre stupéfaction.
 
On a brûlé au nom du salut, condamné, ostracisé, rejeté, jugé, mis à l'index et nous sommes tous le juge de notre propre monde, le grand ordonnateur, privé du pouvoir élémentaire de disposer de l'entier de son jugement parce qu'hésitant ... Il est écrit que nous devons nous tenir prêt, à tout instant ... L'inspecteur des travaux finis va passer vérifier l'excellence de notre vie ? Viiiite, des critères, des marche-à-suivre, du dogme, une notice explicative, n'importe quoi ...
 
En tant qu'homme de lettres, il est dans ma nature de me pencher sur les discours en tout genre, de les défaire, d'observer leur maillage, d'éprouver la solidité des arguments, la qualité d'espoir et de rêves qu'ils produisent. Je suis une sorte d'inquisiteur rompu au dé-tricotage express de la théorie la plus solide en apparence. Je crochète l'étroite trame avec mon intime conviction et j'observe ce qui se passe après avoir tiré très fort dessus. Cela n'a rien d'héroïque ou de risqué; cela tient plutôt de la mauvaise farce. A ce propos, je me rappelle d'un examen de linguistique à l'université où un pauvre docteur de la chose m'avouait que mon analyse était, soit, recevable mais pas exprimée dans le bon verbiage, le sabir officiel de la corporation linguistique !
 
Je viens vous montrer comment couper le filet dans lequel on tente de vous prendre à chaque pas. Je viens vous dire que vos choix sont beaux et vos détours fascinants. Je viens vous annoncer que vous jouissez du Verbe, que celui-ci peut se faire danse ou mélodie, qu'il peut se faire exploit physique ou réussite économique, qu'il est souvent une simple pensée ou un émoi, un viatique pour pousser plus avant sur le sentier que vous avez décidé de suivre.

jeudi, mai 18, 2006


Minuit et demie, les bus rentrent au dépôt les uns à la suite des autres. Je ne suis pas sorti ce soir, l'anniversaire de Sébastien et de Denis au sommet de la colinne Montriond ... J'ai sommeillé en travers de mon lit, à peine le courage de me faire à manger. Au hasard de la télévision restée allumée, un documentaire historique, Arte, le milieu à Berlin durant les années folles, la mécanique du rejet social, la déportation des gays durant la seconde guerre mondiale : un étrange mélange à la fois libertaire, abusif, expiatoire et tabou. Le nazisme, à ses débuts, avait une tendance très "gay friendly", vite abandonnée du fait des attaques répétées des communistes qui traitaient les chemises brunes de pédé, critique reprise en sourdine par le centre bourgeois ...
Il y avait des témoignages, douloureux et pleins de verdeur à la fois, des hommes qui racontent qu'il était naturel d'avoir des relations avec d'autres garçons dans le scoutisme, même de coucher avec le cheftain, et puis les corps libérés, beaux, triomphants, une découverte de soi qui ne choquait personne ou si peu. Un survivant expliquait qu'après avoir connu la prison pour homosexualité en 34 ou 35, rendu à la liberté, il s'est engagé dans l'armée parce qu'il n'y avait plus que des femmes autour de lui et qu'il avait besoin d'une présence physique masculine. En racontant cela, il souriait et montrait des photos de superbes hommes, nus, ses camarades de troupe, batifolant dans l'eau ou s'ébrouant dans les lavabos de la caserne ...
Je me suis senti minable et honteux après ce documentaire, surtout après le récit à propos du jeune juif blond, la partie d'échec, la dernière nuit d'amour avant l'arrestation. Je me suis senti minable parce qu'empêtré dans des problématiques qui n'en sont pas et honteux parce que je vis dans une époque dite "ouverte" et que j'ai laissé passer mon adolescence contraint par les bons discours compréhensivo-castrato-petit-bourgeois et parce que je n'ai pas le courage de me lever et de dénoncer le prêchi-prêcha bien pensant actuel ... Soit, je l'ai fait en partie à travers "My life is a soap opera". On pourrait du reste prendre au pied de la lettre l'une ou l'autre de mes sentences, on pourrait m'en demander une explication, il me suffirait de répondre "littérature" ... et puis non, non, je défendrais mes opinions, jusqu'à la prison s'il le fallait ... ce serait toujours mieux que d'écouter mon oreille crépiter dans la crainte d'une tumeur imaginaire.

mercredi, avril 12, 2006

Tibidabo

Rédigé durant mon séjour à Barcelone du 6 au 10 avril


Une dernière chose de ce voyage pour mes « mémoires ». A la basilique de Tibidabo – la plus haute colline de Barcelone – dans la crypte, plus exactement dans la chapelle de l’adoration perpétuelle, à la gauche de l’autel, une figure d’ange … Comment raconter sa physionomie si humaine, si vivante, son regard détourné, pudique et si triste à la fois. Il présente à l’adoration, à la dévoration des fidèles la sainte hostie, le corps … le Christ. Il le présente avec douleur, comme s’il sacrifiait le dernier souvenir d’un disparu trop aimé. De sa main droite, il sert avec affection un calice contre sa poitrine. Les phalanges de sa petite main sont crispées avec la même angoisse qu’un enfant qui étreint sa peluche car il devine … Mon Dieu, ses yeux, sa posture, toute la contenance et l’humilité de sa personne, et ce suprême sacrifice auquel il consent … Il m’a semblé si seul ; jusqu’aux plis de son habit traversé des marbrures de la pierre … Tout souffle est en passe de la quitter, il se laisse gagner par la minéralité de l’autel, un dernier effort encore, pour offrir ce corps si aimé. Et après ? Après, il aura perdu et la vie, et le ciel, et l’amour. Je suis redescendu interdit de cette rencontre, jamais je ne pourrai oublier cette impuissance devant une peine incommensurable. On aimerait pouvoir se jeter à genou et prendre le pauvre visage entre ses mains, lui dire « Tout ira bien ».
Qu’importe Flaubert, Thomas Mann et Hervé Guibert, je me fous d’être « un homme de lettres », sensible, écorché, et tout, et tout. Ce n’était qu’un bas-relief, d’une facture artistique plutôt naïve, soit. Il m’a toutefois parlé, il m’a raconté le sentiment de « déréliction » (c'est-à-dire se sentir un vieux truc moche et sans intérêt qu’on a balancé négligemment au bord du trottoir), il m’a donc raconté ce sentiment comme je ne l’avais jamais compris. Que je n’aie personne sous la main à qui raconter mes jérémiades, je suis un grand garçon, et j’ai mes lecteurs, mais qui, aujourd’hui, pourrais-je consoler simplement en lui soufflant à l’oreille « je suis là ! ».

mardi, avril 11, 2006

Bério, mon Bério

Rédigé lors de mon dernier séjour à Berlin, du 31 mars au 3 avril 2006

Bério, mon Bério, chez moi, ses beaux serveurs, sa carte simple mais goûteuse, son décor un peu revenu de tout, l’endroit que je préfère afin de jouer à Thomas Mann. J’ai décidé que j’allais rater ma vie comme lui, je vais sacrifier ma vie sentimentale à mon sacerdoce, non, en fait Thomas a juste sacrifié sa sexualité à son idéal bourgeois mais il avait beaucoup d’affection pour Katia, son épouse … Thomas Mann avait besoin du cadre bourgeois, afin d’en tester les limites, en débusquer les perversions, les crimes, les incohérences. J’ai besoin du milieu gay afin de procéder de la même façon. A propos, avec Thomas, nous arrivons aux mêmes conclusions, nous affectons la même froideur et le même égocentrisme, la même tenue impeccable, la même discipline. Il tenait aussi son journal, j’en tiens deux … oui, j’ai un blog secret, pour mes réflexions les plus crues, les plus abruptes, puisque dans le monde de la réussite claironnante, il est interdit d’être amer. Voilà tout à fait le genre de remarque que j’y rédige.

samedi, février 18, 2006

Le rêve d'Hadrien


Nous vivons à Rome, parmi ses vices et ses vertus ! Nous ne sommes pas si éloignés du grand empire, de son état de droit, de ses débordements, de son luxe et de son invraisemblable mixité chapeautée par quelques principes de bonne vie en société. Chaque café est une annexe du forum où nous nous rencontrons, discutons, nous mentons, nous envions. Partout dans le monde, il y a des aéroports, le câble, des chaînes satellites, internet et il nous est donné d'entendre le milord de Piaf joué par des musiciens indiens. Cette merveilleuse cacophonie est porteuse de tous les espoirs et de toutes les libertés ... Par le bas, par le commerce, par la culture un peu poubelle, subitement, nous nous rencontrons à travers des langues que nous ne maîtrisons que partiellement et, pourtant, nous nous comprenons.
A chaque fois que l'on franchit la porte de notre logement, nous sommes téléportés à travers les cinq continents, 5000 ans d'histoire et nous restons ... chez nous ... On touche au rêve pacifique et universaliste de l'empereur Hadrien. Pourquoi ne pas garder dans tous les instants de notre vie sociale une dignité toute romaine, ce calme qu'octroie la certitude d'être dans le juste, le bon, le beau ... Porter le calme des César ... quoiqu'il arrive ! Ne pas oublier de participer, chacun selon son talent, sa mesure, à l'édifice de l'univers qui ne serait pas comme il est sans nous. Chaque intention compte, chaque souffle, chaque rêve ... Je ne vois guère de différence entre ce que poursuivent mes copines durdurettes, les projets de Patrick, les études de Maximiliano, les attentes de Yohann, la délicatesse de Yann ou mêmes les efforts de mes élèves avant un test de math. Je vois de moins en moins de différences entre Lausanne et Berlin, entre la vie que je n'osais rêver et ce que je vis ... Tout cela se brode sur la même trame, est fait du même fil ...