dimanche, octobre 01, 2006

Les heures


Tout à l'heure, déjà hier, j'étais assis sur un banc, gare de Lausanne, perdu dans la vue, la trouée vers le lac qui bute contre l'horloge de l'hôtel Au Lac. Il était 19h15, heure creuse, heure désespérée pour les esseulés, les pauvres, heure privilégiée de la trahison. C'est à cette heure-ci que Grégory trouvait la plus pitoyable des excuses pour me laisser la soirée durant seul dans son appartement. C'est toujours à cette heure si spéciale que Grégoire me trahissait aussi ...

A l'époque, je croyais à ma pauvreté et je croyais que cette dernière m'attirait la solitude. Depuis bientôt trois ans, depuis Berlin, je me sais riche de moi-même, de ma vaste expérience émotionnelle et ne me sens du reste jamais seul ... Il y a les livres, la pensée, le babil intérieur lorsqu'il n'y a personne de physique à rencontrer. Parfois, soit, je me sens coupé de moi-même, privé du temps de dormir, de me remplir du souffle du monde, de me nourrir l'esprit, de regarder passer les heures ... J'en ai vu s'écouler de fort belles sur les plages de Barcelone, à travers les rues de Paris, Zürich et, évidemment, Berlin. Et à Genève aussi ... Lorsque le cadre est trop coercitif, je perds le juteux de ma pulpe, ma substance se racorni, se rigidifie. Je suis alors amer et j'ai la bouche pleine de "vacheries" ciselées comme de la haute joaillerie.

Les autres sont autres ... je n'ai pas à les réformer, ils ont un fonctionnement plutôt intéressant et perçoivent plus qu'il n'y paraît; je pense à mes collègues du collège de C. Ils ont peut-être juste peur de laisser refluer en eux la vaste vague de la mélancolie, un flot inexorable qui emporte tout et vous laisse larmoyant devant des riens. Après le raz-de-marée, lorsque tout a séché, il n'est pas un lieu de votre pensée qui ne soit envahi d'une fine poussière, un sable délicat, si fin qu'il ne griffe pas mais lustre les idées les plus ternes ...

Jeudi dernier, au Centre d'art contemporain de Genève, en visite avec mes élèves, je suis resté "scotché" devant une installation, un montage vidéo de Nicolas Rebel je crois, un autre collectionneur d'heures qui, à travers ses heures mortes, son temps passé, son enfance et tous les possibles que chaque minute même écoulée porte encore - le parfum d'un disparu sur un vêtement qui lui a survécu - rejoint l'archétype universel de la mélancolie. Les quelques élèves qui se sont arrêtés devant cette oeuvre s'en sont vite détourné : "C'est trop triste !"

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