Il vaut mieux avoir un écrivain dans sa bibliothèque plutôt qu'à sa table, dans son lit ou son salon. Il finit toujours par éventer vos petits secrets, à raconter des horreurs à votre sujet, à vous affubler de mille sobriquets ridicules et animaliers. Lui-même se situe entre le rat et le paon. Alors que les paroles s'envolent ou s'enlisent dans les sables mouvants de la mémoire, l'écrivain revient sur les faits comme un rongeur tenace à la faveur de l'obscurité. Et quand ça ne vous vandalise pas le garde-manger, ça vous rabâche les oreilles avec de vieilles lunes ou des considérations de vieilles filles. Et n'essayez pas le coup de la censure, il en profitera pour sortir de l'obscurité, glousser à l'irrespect de la sacro-sainte liberté d'expression, fera la roue et ne sera pas le moins du monde gêné de se payer la bobine de la dite censure d'une plume affûtée. Il faut du reste rendre hommage à la sus-mentionnée censure qui a certainement permis l'élaboration des plus beaux textes, a offert les plus belles occasions transgressives à la littérature par simple tentation. L'homme de lettres est paresseux, il faut l'aiguillonner comme ... une bête de trait ! Si on lui dit "oui" bien gentiment, si on remplit son verre et son assiette, vous verrez l'animal s'amollir, poétiser sur les plaisirs de la table, faire du théâtre de boulevard ou préparer d'obscures anthologies dont l'intérêt justifie à peine la dépense d'édition et certainement pas les crédits de recherche ... Attention de veiller à ce qu'il ne s'ennuie pas ! Il trouverait la gamelle mauvaise, cracherait dans la soupe et se mettrait à l'anarchie. Par principe, il faut lui dire "non" de temps en temps et se laisser vitrioler. C'est à se prix-là que vous aurez l'immense privilège d'être immortalisé dans la peau d'un bovidé ou d'un camélidé ... Bon, quand l'écrivain de votre fréquentation se fait une renommée, voire touche au faîte de la célébrité, vous pourrez toujours vous targuer de le connaître et aurez mille anecdotes croustillantes à son sujet. L'écrivain est une bestiole qui ne sait pas trop se tenir; Thomas Mann est une exception. Vaudeville ou tragédie, été ou hiver, un homme de lettres c'est encore plus varié que la télévision câblée; il y aura toujours un programme qui finira par vous plaire.
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