mercredi, septembre 03, 2014

"La Causerie Fassbinder" de Jean-Yves Dubath


« Et tu l’aimes sa scansion ? Tu l’aimes ce ton ? tu l’aimes ce verbe en mine de rien ? » Semble dire lascivement Jean-Yves à son lecteur, son petit genre post-godardien, Nouvelle Vague continue, un récit que l’on attrape comme, par exemple, « Le Mépris » en cours de diffusion, très tard à la télé, sans trop savoir ce que c’est dans un premier temps et « remettant » peu à peu l’intrigue au fil des dialogues. Elégance particulière et nonchalante de l’intellectuel sans faux-col … de l’homme d’esprit plutôt … de l’homme de goût … de quelqu’un qui porte son histoire, sensibilité et souvenances.

Peut-on parler de « Nouvelle Vague » allemande ? Fassbinder et l’évocation par une bande de copains de son œuvre, « Effi Briest », adaptation du roman de Fontane, quoique je trouve « Frau Jenny Treibel » plus abouti. Fassbinder et ses références naturalistes, Maupassant, Flaubert ; Fassbinder et son hommage à Rhomer ; Fassbinder et sa liberté, sa disparition prématurée, comme une vie inaboutie, la partie que l’on refait sans cesse entre potes, et chacun a le droit de donner son avis, le lecteur aussi, le néophyte, une conversation de bistrot avec ses répliques décousues et l’intuition, en-dessous, débusquer une vérité ultime. Il ne faut pas mépriser les conversations de bistrot. « Tomber sur un film », en cours de diffusion ne retire rien à sa charge émotionnelle.

« Qu’il y a de bruit là autour, cependant est-ce que nous possédons Dieu, est-ce que nous ne possédons pas Dieu ? » Et j’ai vingt ans, dix-huit ans même : je lis en mode intuitif, quelques souvenirs en anticipation. « La Causerie Fassbinder » est une expérience d’un autre genre qui tantôt me renvoie au souvenir pré-adolescent de Paris, la France, la culture vues d’ici, un phare dans la nuit et complète mes références de « Teilzeit Berliner » actuel. Je ne retire aucune vérité du roman de Jean-Yves Dubath ; mieux ! J’en retire une esthétique, une émotion, en revenir encore une fois au film attrapé au vol sur un écran de télé, si possible tube cathodique, l’image n’est pas plus belle, elle a plus de relief, plus de vérité. Et l’on devine une grande œuvre, ne pas regretter ce que l’on a manqué, ce que l’on va manquer, on en pressent l’existence et ça suffit. Circonstances étonnantes, une chambre d’hôtel à Dehli, une tourista en rémission, un voyage avec Homais, son avatar, je n’avais pas vingt ans, Flaubert est parmi nous, une visite du Fort Rouge et sa p… de colonne de ferraille qui ne rouille pas mais est tout de même rouillée mais je préfèrerai poursuivre dans ce film, quelle merveille. C’était « Blade runner », je l’appris bien plus tard.

« Qu’il y a de bruit … », oui, vraiment mais cela n’empêche toutefois pas d’entendre, de se souvenir, d’apprendre, de se laisser toucher et de regretter deux ou trois petites choses parce qu’on n’a plus vingt ans et que Fassbinder est parti trop tôt. Se demander s’il ne serait pas plus sage d’allumer une clope, en re-fumer une, comme au bon vieux temps et marcher sous la pluie, une ville, une rencontre, quelque chose de sexuel, forcément … ce qui n’exclut pas l’amour ou Dieu mais pas de conviction, parce que la vie est trop fragile pour supporter un tel … sentiment. L’œuvre est trop fragile pour supporter le poids d’une narration. La fragilité d’une conversation, une conversation de bistrot peut-être, une brasserie en demi-jour, une table tout du moins, des amis, des verres à moitié vides, ou pleins, et ce verbe, hypnotique, vertigineux, faire parties des amis de Jean-Yves.



samedi, août 30, 2014

Ex-Glaubenskirche, Roedeliusplatz, première scène de "Canicule parano".





La Glaubenskirche m’est apparue pour la première fois au cours d’une promenade par un matin clair. Dans mon souvenir, les promenades d’agrément à travers la ville ont toujours lieu par un matin clair. En outre, je me souviens fort bien d’un Steh’Café, au coin de la Roedeliusplatz ; j’y avais pris un café et un «Pfannkuchen ». Longtemps après cette divagation, j’ai assidûment fréquenté une petite boulangerie du côté de Beaulieu, Lausanne, parce que son décor me rappelait l’établissement berlinois.

Je suis retourné par le fameux dimanche caniculaire à la Roedeliusplatz, je me suis arrêté sur le parvis de la Glaubenskirche, après-midi d’ennui, la chaleur semblait chanceler sous son propre poids. Il y avait d’anciens bains publics dans les environs, un édifice gigantesque, fermés et à demi ruinés. Petite musique de la ville, LA VILLE qui semblait n’avoir de cesse à trahir mon amour, mon admiration par ce séjour en canicule. Petite musique tout de même, le ciel s’est voilé, espoir d’un peu de fraîcheur. La messe en point de mire, la traversée de Berlin devant soi, ni le courage de faire le chemin à pied, ni l’envie de s’enfermer dans un transport public.


Le double clocher  de l’ex-Glaubenskirche m’avait frappé par sa physionomie, deux tours en dentelle de briques rouges sur briques beiges, accolées et coiffées chacune d’un toit aigu en pyramide octogonale. Un air de dignité médiévale. Cette église pourrait figurer dans un roman de Thomas Mann, « Altesse royale » par exemple, la nef trapue et imposante, l’idéal wilhelminien exprimé en dur sur toute la place. Discret séjour de la stasi par la suite … J’ai alors découvert une plaque officielle expliquant que se trouvait là le siège du ministère de la sécurité d’État. Roedeliusplatz comme une occasion manquée

samedi, août 23, 2014

"Canicule parano", aux origines du texte

Zietenstrasse, vue sur le Zwölf-Apostel-Kirche
C’était en été, une saison d’enfer et de fatigue qui incinérait toute tentative de repos. Tout serait dit et, pourtant, sous la douleur et l’ennui, brillait une gemme sombre. Pas même moyen de se draper dignement dans les plis de la tragédie, le drame tenait du vaudeville. Des prostituées grotesques faisaient claquer les dalles de béton décelées de l’entrée du bâtiment où je logeais, Zietenstrasse, bruit ridicule et insistant, le malaise d’un lit moite, l’énervement stérile de l’indécision. Je ne suis pas le principal protagoniste de « Canicule parano », je ne suis pas Maxence, j’ai partagé son mal-être et sa fatigue crasse. C’était l’été 2007 ou 2009, un été de canicule ressemble à n’importe quel autre, la chaleur efface tout, nivelle tout, écrase, aplatit sans merci.

Il me souvient de quelques scènes toutefois, d’une immense fatigue et de quelques éclairs, fulgurants, le vrai récit, celui qui m’est venu lorsque j’errais dans mon petit logement. La lumière, la vue, les volumes simples du studio me montraient une échappatoire, par en-dessous, là où il faut tout abandonner pour pouvoir passer. « Canicule parano » fait partie d’un plus grand projet, un triptyque à propos de ce que je nomme les « autres » vertus : trahison, amoralité, déréliction. « Canicule parano » illustre cette dernière « vertu ». Les deux précédents textes existent et s’intitulent « La nouvelle Fuite à Varennes » pour la trahison et « Slide show » pour l’amoralité. J’ai quelques projets pour « La nouvelle Fuite à Varennes », « Slide show » est au coffre, dans une bonne banque de la place, peut-être une publication dans bien longtemps. Il s’agit d’amoralité et non d’immoralité, au-delà … Pareil pour la trahison et pour la douleur, l’abandon, aller au-delà des apparences.

Le texte est venu après l’été, après Berlin, avec l’évocation de Bâle, de Barcelone, de Paris, de l’adolescence, belles destinations. Il m’est venu avec l’évocation de mille détails cocasses à propos de Berlin, l’autre personnage principal de ce roman. Il y a, aussi, en filigrane la réflexion sur la signification d’être romand, débat perpétuel surtout lorsque, comme moi, on a  trouvé son équilibre à Berlin, on a conçu sa spécificité culturelle de francophone en se frottant aux mondes germaniques. Je suis, soit, un auteur allemand de langue française mais les Vaudois sont des Prussiens qui s’ignorent. La preuve dans « Canicule parano ».


dimanche, août 17, 2014

Retour de croisière


 
Il n’y a pas de prix à l’infini calme de la mer, à la course perpétuelle des nuages au-dessus des flots, au déroulement d’un paysage de fjords, la baie vitrée de la cabine ouverte, le canapé tourné vers l’extérieur et glisser dans le sommeil devant un tel spectacle. Il n’y a pas de prix à la jouissance de la liberté, marcher sur un trottoir stockholmois, tallinnois ou copenhagois . Il n’y a pas de prix aux collections de peinture de l’Ermitage ; par contre il y en a un pour tout le reste sur une croisière, et bien trop élevé pour cette forme de prise d’otages festive à destination des blaireaux de luxe.

 
Sur le papier, ça avait l’air sympa, il y avait surtout le but suprême de tout ce périple : visite de Saint-Pétersbourg et de l’Ermitage. Va pour l’offre baltique d’une semaine d’un célèbre croisiériste italien, pas celui du naufrage sur l’île de Gilio, l’autre, mais c’est quasi du pareil au même. Tout d’abord, il y a le bateau, le bâtiment et le nom tombe fort bien. Imaginez une sorte de super-résidence plouc de nouveaux riches de quinze étages, plus les cheminées, quatre cage d’escaliers et des espaces communs dégoulinants de miroirs, de balustrades en laiton, de moquettes à gros motifs et agrémentés de palmiers momifiés dans des cache-pots m’as-tu-vu. Tout est conçu selon une conception vantarde du bon goût qui se situe entre un bar d’hôtel quatre étoile supérieur pour meetings de représentants de commerce au bord d’une autoroute, le théâtre du palais de Beaulieu et le salon de thé Martel dans l’ancienne Uniprix à Genève. Rien n’est trop moche pour donner l’impression au client qu’il en a pour son argent. De loin, le navire qui porte forcément un nom en –a (Fortuna, Poesia, Luminosa, Concordia, Et-mon-c…-c’est de la pouletta) barre l’horizon de sa masse compacte et disgracieuse de HLM de grande densité. La chose flotte miraculeusement et, pourtant, elle tient plus du fer à repasser que de la marine. La bonne nouvelle, lorsqu’on est à bord, on arrive presque à oublier la laideur extérieure de la chose.

 
La vie à bord est faite d’une succession de courtes séquences innombrables propres à remplir la vacuité de la vie des foules. On impose des horaires en mine de rien (repas, buffets, spectacles, activités, excursions, etc., pire qu’à la caserne, on en vient presque à regretter sa vie en milieu laborieux). Chacune de ces activités revêt un aspect festif et exceptionnel, ponctuée de bravi et d’applaudissements. C’est tout juste si une équipe d’animateurs ne débarquent pas dans votre cabine pour offrir à l’admiration générale le fait que vous ayez tiré la chasse d’eau. Univers gentillet et infantilisant, insouciant et onéreux, débilitant et humiliant au final. Les spectacles sont dignes de la programmation d’une première partie de soirée sur M6 et dans un décors ! Une sorte de Las Vegas au rabais en carton-pâte et faux plafond dans un genre italianisant. Cette absence de goût se retrouve strictement partout. J’ai dû passer une semaine à dîner d’une boustifaille chichiteuse et quelconque avec vue imprenable sur des barbouillis représentant approximativement des villas palladiennes. Quant aux excursions, parlons-en, vous êtes dans votre bulle, ou plutôt votre bocal et on vous promène de ci, ce là en autobus sans jamais avoir le temps de goûter à l’air du temps. Quand vous avez la possibilité de vous déplacer seul, d’accéder à la ville sans passer par l’arnaque d’un transit organisé à prix d’or (sous des tonnerres d’applaudissements) par le croisiériste, vous pénétrez dans une petite ville, Tallinn par exemple, avec quelques cinq à six mille autres touristes en quête d’exotisme. Impossible de rien voir, de rien visiter, les  deux autres navires qui mouillent aussi pour la journée dégueulent une foule qui piétine tout, occupe tout l’espace et l’honnête homme n’a plus qu’à boire le calice de la honte et de la déception jusqu’à la lie. A Stockholm, l’escale était trop courte pour entreprendre une visite sérieuse de la ville, et à Copenhague, les autorités danoises, pas folles, ont inventé mille chicanes pour interdire au touriste un accès trop aisé en masse au centre-ville. L’honnête homme n’a qu’à marcher, ou prendre le taxi, il n’a qu’à payer … Comment ne pas comprendre les préventions des Copenhagois. Cette foutue croisière a failli me brouiller avec la capitale danoise que, pourtant, j’adore.
 

En croisière, on touche au faîte de l’ineptie kafkaïenne. Vous passez votre temps à remplir des formulaires pour tout, à vous coltiner des réunions pour tout, à donner dans l’administratif mieux que dans un sous-secrétariat soviétique. Un personnel aimable et avenant vous explique tout (sous des tonnerres d’applaudissements) comme si vous étiez un demeuré. On vous glisse, par exemple, un programme quotidien sous la porte dont l’information la plus palpitante consiste dans l’annonce des horaires du buffet du petit-déjeuner que vous prendrez au dernier étage selon que vous aurez payé cher ou au cinquième avec service à la place selon que vous aurez payé très cher. Au buffet, j’ai donc eu l’immense plaisir de me faire piétiner tous les matins par des hordes affamées vous bousculant, vous marchant sur les pieds, vous coupant le passage pour vous fauchez la seule table de libre. Résultat, vous avez intérêt à ne pas avoir pris d’œufs, sinon vous les mangerez froids. Bon, j’ai rendez-vous avec les peinturluris palladiens de la salle à manger (tonnerre d’applaudissements), je vais pour la dernière fois m’installer sur une chaise de velours cramoisi et deviser avec Cy. et le couple avec lequel nous partageons la table à propos de nos impressions de la journée. Nous allons arriver en retard, le garçon va nous faire rattraper le temps perdu mine de rien, histoire que l’on en ait terminé avec le plat principal alors que (tonnerre d’applaudissements) on nous présentera dans une chorégraphie approximative les desserts du jour.

 
Quelle réalité se cache derrière la bonne humeur surjouée ? Le personnel de service est d’une efficacité et d’une amabilité sans égal, il représente le vrai plus du croisiériste. Serveurs, femmes de chambre, dames de buffet, casseroliers, techniciens de surface, mécaniciens de l’ombre et petites mains de l’industrieuse buanderie n’arrêtent jamais et, pour peu que le passager le remarque, l’anonyme laborieux saura le saluer dans cinq à six langues en sus de la sienne. On peut se dire qu’une petite partie du prix de cette onéreuse croisière aura servi à l’entretien de quelques familles dans des pays émergents. Peut-être vais-je retenter l’expérience … avec un minimum d’organisation ça devrait même être agréable. Dans une croisière, préparez vous-même vos excursions avec l’aide d’une agence de voyage locale. Faites-vous prendre par un taxi à l’escale et choisissez vos buts de visites selon vos goûts et sans la compagnie pesante de bovidés. Ça ne vous coûtera guère plus cher que les virées 100% pur plouc vendues à bords. Je vais retenter l’expérience car le ciel, la mer au couchant et soi tout petit au milieu, ça n’a pas prix.

 

dimanche, août 10, 2014

"Crois-moi, je mens" de Nadine Richon

Entre le bagage en soute dont le poids est limité et le bagage en cabine dont le volume est limité, j’ai tout de même emporté le dernier Richon avec moi. Ce n’était, soit, pas « A la Recherche du temps perdu » à glisser dans ma valise-trolley mais chaque gramme et chaque cm2 comptent lorsque l’on part pour une semaine de croisière suivie de quelques jours dans la campagne brandebourgeoise. Mon mérite réside dans le fait que j’avais déjà goûté aux 4/5 de « Crois-moi, je mens » dont la lecture ne m’a occupé que de Morges jusqu’à Gesundbrunnen (via Genève Aéroport et Berlin Schönefeld). Je vais donc faire le reste du voyage avec un livre consommé. Il me reste jusqu’à Rostock pour en faire la critique, je réserve la semaine de croisière à la lecture/correction de «L’Affaire Julia ». « Canicule parano » ne m’appartient déjà plus, il est aux mains des imprimeurs-accoucheurs.
 
 
Tous ces menus détails d’intendance de (presque) nantis n’ont rien d’incongru en préambule de la critique de « Crois-moi … ». Nadine y évoque dans un style « Sagan faceboukien » une intrigue numérique. Deux femmes, Violette et Catherine, deux protagonistes dont la jeunesse n’est plus sur des modes différents, un mystérieux séducteur, le réseau social, un récit bien ficelé au dénouement rondement négocié, rebondissement léger et un peu de douceur aussi. Au rayon de ce qui ne m’a pas convaincu, il y a une lichette de bienpensance et son bla-bla rabâché mémère sur les bords. Je ne peux malheureusement pas entrer dans trop de détails, je risquerai de vendre la mèche. Il y a aussi un délire à propos de séries télé et quelques-unes des plus moisies, ça ne dure qu’un demi-chapitre et cela tient plus de la responsabilité de la maison d’édition qui aurait pu faire remarquer à l’auteur que l’on s’éloignait du sujet. Une très belle conclusion vient toutefois corriger cette maladresse. Dans mon assortiments de bémols, je trouve encore de l’anecdote perso sans grande importance par rapport à l’intrigue et une mise en abîme chancelante du genre « ce n’est pas moi, c’est elle », faite d’un demi « comme si ». Certains trouveront ça mignon, ça titille un peu, ça picotouille comme une langue de chat avec son sucre acidulé, de la bonbonnaille qui se veut sérieuse. L’autrice n’est-elle pas en train de nous raconter et d’avouer publiquement une tentative de turlute extra-conjugale idéalisée ? du vrai de vrai mais romancé ?! Qu’importe, Nadine a suffisamment de métier et de références  pour faire vivre ses personnages, pour déployer un univers nuancé et sensible. Je vous l’ai dit, du Sagan. La belle Mme Richon a aussi l’art de faire phosphorer son lecteur, mine de rien, sur la problématique de l’âge et de la séduction ou de la valeur intrinsèque du mariage. Elle y apporte des résolutions pleine de bon sens et d’empathie. Qu’il doit être doux de faire partie de ses proches.
 
 
Quelques belles formules, le regard nostalgique sur ce qui a été, la bascule de l’âge, l’extrême jeunesse, 45 ans, après la femme est vieille. Que Nadine se console, chez les gays on est vieux à passé 25 ans (28 car tout le monde ment sur son âge), après on est condamné à la transparence publique, thème développé autour du personnage de Violette. Catherine, la seconde protagoniste de « Crois-moi … », à défaut de retenir les ans, s’économise et prend grand soin d’elle-même au risque de ne plus vivre. Des promesses d’amour cybernétiques viennent l’entretenir dans ses chimères. Facebook, miroir aux alouettes ou réalité augmentée ? C’est selon peut conclure le lecteur, il suffit de choisir ses amis virtuels, ses connaissances, avec le même soin que ses amis physiques.
 
Prochaines critiques, promis, Louise Anne Bouchard et Jean-Yves Dubath
 
« Crois-moi, je mens », Nadine Richon, éd. Campiche

jeudi, juillet 31, 2014

Retour de Pologne, suite et fin



Grand boulevard varsovien
Varsovie ou la ville qui ne dort pas, ou peu ! J’y ai vu un fitness ouvert 24h sur 24 et les grandes enseignes du commerce de détail, les supermarchés ferment tous leurs portes entre 21 et 22h, selon le jour de la semaine, même le dimanche pour certains. Toute cette activité se distribue dans un rayon de 500 mètres autour du Palais de la culture et de la science. Ces commerces ont du reste réinvesti les grands édifices de la période communiste triomphante dans ce nouveau centre, profitant d’espaces grandioses. Il ne faut pas manquer non plus d’emprunter l’élégant boulevard Nowy Swiat, bordé de beaux hôtels particuliers du début du XIXème siècle dont les rez-de-chaussée sont occupés aujourd’hui par des cafés, des boutiques, une atmosphère très urbaine chic juste ce qu’il faut, une promenade recherchée qui emmène le chaland jusqu’au décor de théâtre de la vieille ville reconstituée. Joli tour de force à l’usage du touriste ou de l’édification des foules afin de témoigner de la pugnacité du peuple polonais face aux vicissitudes de l’histoire. Le résultat n’est pas trop moche mais cela sent néanmoins l’artifice, du disneyland socialiste. La Pologne a si peur de perdre son histoire que le moindre machin d’avant 45 est considéré comme sainte relique. Les autorités sont allées jusqu’à repêcher des bouts de balustrade en fonte provenant d’un pont du début du XXème siècle sur la Vistule, pont détruit durant la guerre, et à exposer la chose comme la huitième merveille du monde dans la cour d’un ministère quelconque. Cette phobie de la perte historique a dicté l’interdiction de l’exportation de tout objet antérieur à 1945 même s’il n’est pas d’origine polonaise ! Du coup, pas de brocante et un marché juteux à prendre pour les petits malins qui pourront toujours exporter les tonnes de cochonneries branlantes et ébréchées qui encombrent nos caves et nos greniers pour aller les revendre en Pologne à prix d’or. Cet embargo sur les exportations de presque antiques a certainement un effet désastreux sur la connaissance de la peinture polonaise à l’étranger. La fin du XIXème et le début du XXème ont connu une pléthore d’artistes de talent dont le nom reste inconnu sorti du cercle culturel slavo-polonais. Je vous en ferai un autre billet, un de ces prochains jours, mais je dois évoquer ici la rétrospectives du sublime Alexander Gierymski (1850-1901). A
Paysage par Gierymski
travers son œuvre brille le génie d’une belle nation, de l’étoffe de l’Allemagne wilhelminienne, de la France de Napoléon III ou de l’Autriche de la Sécession. Gierymski a peint son pays, Münich, Venise, Paris avec le goût et la sensibilité innée des hommes de sa génération, dans ce style subtil et cosmopolite du postimpressionnisme. Il y a du von Max dans les faux-jours, du Cuno Amiet dans l’émotion des paysages, un rien de Vallotton fauve dans certaines marines. Il souffle surtout le génie polonais dans sa forme la plus universelle, la moins folklorique. Je suis resté bien vingt minutes devant un paysage … polonais, un chemin, une allée de tilleuls et un ciel fabuleux, émouvant comme dans un Nolde. Gierymski sait aussi peindre la lumière italienne, et la brume parisienne, et la rue varsovienne, et ce monde de l’avant catastrophe, la fausse route prise en 14 qui, paradoxalement, va rendre un territoire à la Pologne mais la priver d’une réelle intégration. La Pologne de Gierymski nous raconte un pays européen, une nation, une petite histoire faite d’anecdotes, de la couleur des trottoirs, de la foule des cafés et de belles personnes.


Gare de Jablonowo Pormorskie, dans la région de Brodnica
Gdansk était devenue en 1918 une ville indépendante sous son nom allemand, Danzig, privant le pays d’infrastructures vitales sur la Baltique. Gdynia, tout à côté, village de pécheurs à l’origine, deviendra le premier port de commerce polonais. Je logeais près d’une très belle plage, Gdynia Orlowo, quelques hôtels, une zone balnéaire en plein boum, un centre commercial plutôt luxe. La commune s’étend sur plusieurs sites dont une vaste section dans un style moderniste, le tout relié par de nombreux trains régionaux. Ne pas oublier la très chic et balnéaire Sopot ni Gdansk, son indépendance d’esprit, une magie « dresdoise » à la nuit tombée (en plein jours la ville fait de même un petit peu trop « disneyland » historico-socialiste). Toute cette côte est très fréquentée par une clientèle polonaise. Il y a cette langueur des lieux de vacances aimés, la promenade le long de la plage, une bonne sœur en habit qui fait des pâtés de sable avec une petite fille, le vieux monsieur qui vend des framboises et des mûres, dans des barquettes qu’il a fabriquées à partir de cartons recyclés. Il y a aussi la douceur des Polonais envers les oiseaux et tous les animaux. Ils disposent des bols d’eau dans les jardins publics pour les pigeons, ils grondent les enfants qui les effraient ; les enfants sont du reste très bien élevés. Il faut que j’ajoute encore l’amour des Polonais pour le cinéma, il y a des salles dans toutes les villes et beaucoup de librairies. Peuple lettré, autant amateur de poésie que de vodka ! Mais cette langue ! du chinois en dépit de son alphabet latin agrémentés de mille petits signes étranges. Impossible de donner le nom du joli café dans lequel vous vous êtes arrêté ou de citer un peintre. Je pourrais encore vous écrire mille lignes sur Brodnica, le mariage auquel j’étais invité, les hôtels, les lignes de train, Poznan et son allure, le grand art des tatoueurs polonais (en comparaison, les tatoués de Suisse romande ont l’air grossièrement gribouillés). Nous en resterons là, vous retrouverez le reste dans les romans à venir et de nouveaux billets en direct de Pologne où je compte retourner.

vendredi, juillet 25, 2014

Retour de Pologne, première partie

Campagne polonaise, au Nord du pays
Coincée entre l’Allemagne et la Russie, la Pologne est un concept géographique aux frontières fluctuantes desquelles dépend un territoire parfois proche du néant. Il en résulte un certain stress au sein de la population polonaise résidant sur le susmentionné territoire. N’ayons pas peur des mots : ils sont morts de peur. Toutefois, le bon esprit de ce peuple, son industrie et sa chaleur lui dictent de se comporter avec affabilité tant avec les Russes, qu’avec les Allemands et tous ceux qui passeraient par son beau pays. Et ce que j’ai vu de la Pologne est vraiment beau, entre autres une campagne luxuriante, prés, champs, vergers et forêts, le tout vallonné sans excès. Il n’y manque que le Jura au Nord-Ouest pour en faire une copie de l’arrière-pays vaudois. Du reste, dans cette Pologne, on pratique la cochonnaille sous toutes ses formes, comme dans le Pays de Vaud. Sur les petits chemins vicinaux, on y croise parfois l’un de ces curés polonais du même modèle que les affreux et intolérants que l’on nous a refilés et que l’on trouve parfois dans nos paroisses du diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg et Neuchâtel. L’Eglise polonaise, dans son rigorisme sectaro-intégriste, a charitablement décidé de laisser la compassion, la douceur, l’aménité et la tolérance aux laïques qui pratiquent ces vertus avec un zèle religieux. En Pologne, on préfère les individus aux catégories. On est sur ses gardes mais on reste persuadé que l’autre est un type bien qui mérite respect et sympathie. On est fier de ce pape fils du pays et récemment devenu saint, on se signe mille fois dans les églises et on fait mille génuflexions mais on laisse l’Église à l’église parce que les curés, en dépit du respect qu’on leur porte, ça reste sectaire ici. En matière de politique, on est pareillement vigilant. On fait ce qu’il faut pour répondre au soutien de Bruxelles, meilleur rempart aux appétits impérialistes des voisins. De plus, l’Europe unie a payé pour la remise en route de l’économie dès après la fin du soviétisme. On est donc amis et, entre amis, on ne laisse pas des histoires de dettes vous gâcher la relation. Soit, le duo un peu inquiétant des jumeaux Kaczinski (Kachinski pour les non polonophones) faisait hurler dans la presse étrangère, on avait un peu honte à chacune des déclarations homophobes ou racistes de l’un ou de l’autre mais, m’a-t-on assuré, toutes leurs décisions politiques ont toujours été prises dans l’intérêt du pays.

Je n’ai pas séjourné six mois en Pologne, ni deux, ni un mais dix jours entre Varsovie, Gdynia, Gdansk et Brodnica avec une halte de quelques heures à Poznan. C’est peu mais suffisant pour passer au travers des clichés. Première étape, Varsovie, la gare centrale, un plan de ville un peu vague en poche, suffisant pour trouver mon hôtel, un établissement d’un style néo-soviétique, sécuritas à la réception, chambre spartiate dans laquelle je n’ai trouvé qu’un seul linge éponge et petit-déjeuner à prendre entre 7 et 9h (je prends mon petit-déjeuner entre 7 et 9h lorsque je travaille et dès 9h en vacances). La ville, écrasée sous un ciel bas, s’ouvre à moi par des boulevards distribués avec beaucoup de sens pratique. Elle m’apparaît grise et usée sous la pluie. On peut lire dans n’importe quel guide touristique que « toute la ville a été détruite par les troupes allemandes » ; on entretient le souvenir du martyre. Tiens, bizarre, dès au sortir de la gare, j’avais déjà avisé une quinzaine de bâtiments Art Nouveau, Biedermeier, néo-classiques de la fin du XIXème et, non, il ne s’agit pas de reconstructions postérieures à la guerre, ça se voit aux enduits des façades qui s’écaillent et aux logos publicitaires d’avant-guerre à demi-effacés. La vieille ville a effectivement été entièrement rasée puis reconstruite/reconstituée avec les pierres d’origine dès l’armistice. Mais le spectacle est moins saisissant qu’à Brest où la ville a vraiment complètement été détruite. Malheureusement, toutes les belles capitales de l’Est de l’Europe avec leur petit genre wilhelmino-hausmannien ont été très gravement endommagées, presque rayées de la carte. La capitale polonaise n’a donc pas le monopole de la souffrance. Entre Berlin et Varsovie par exemple, difficile de dire laquelle des deux villes a la plus été détruite … Ah, oui, Berlin, la capitale de l’agresseur, les méchants de service, et bla, bla, bla, sous-entendus les victimes civiles allemandes et les destructions de biens culturels allemands sont des victimes et des destructions de seconde classe, voire même c’est bien fait, et puis à bas l’Allemagne, et « dégermanisons » l’Europe slave … Mission impossible tant les influences culturelles allemandes ont été importantes dès la fin du XVIIIème de Berlin à Saint-Pétersbourg. Effets corollaires de cette « victimisation » officielle et de cette volonté de rejet, on ne parle plus allemand, ou on fait la gueule quand on doit donner des renseignements en allemand. Exemple concret, le site des chemins de fer polonais, site accessible en sus du polonais, en anglais, allemand et russe. Si vous consultez votre page en allemand et voulez acheter un billet en ligne, ça n’est pas possible, il faut passer par la page en anglais ?! Vous désirez acheter un titre de transport sur une ligne internationale gérée par les trains polonais, un trajet sur le Berlin-Warszawa Express à tout hasard, impossible ! Il faudra passer par le site de la Deutsche Bahn. Même si l’on comprend votre allemand, il est préférable de pratiquer l’anglais et, parfois, la bonne surprise d’une vendeuse, d’un guide, d’un quidam qui s’adresse à vous en français. Et si la seule langue de communication possible est l’allemand, passé un léger mouvement d’humeur (et le temps nécessaire pour repérer votre accent français), votre interlocuteur se déride et redevient ce Polonais si serviable et attentif à autrui.

Palais de la culture et de la science
Varsovie m’a séduit. La ville que l’on dit moche peut l’être de prime abord avant de se révéler assez belle, ceinturée par ses immenses  boulevards, édifices pompeux sur un mode soviétique, frontons classiques, colonnades, contre-allées arborisées, quelques belles églises restaurées ou reconstruites. On peut marcher longuement sans se sentir fatigué. Ses transports publics sont très efficaces, deux lignes de métros en croix, le reste de la ville quadrillé par des trams rapides et confortables. Au Nord-Ouest se dresse un « down-town » de gratte-ciels digne d’une ville nord-américaine. Les édifices sont inventifs et entrent en dialogues avec l’invraisemblable Palais de la culture et de la science qui trône au cœur de la ville, à quelques minutes à pieds de la gare principale. Il s’agit d’une tour en « wedding cake » d’un style Art Déco tardif dans un goût stalinien, cadeau du peuple russe au peuple polonais. Ce seul édifice justifierait la visite de Varsovie. Vous le voyez quasiment de partout, à moins que le stratus bas n’en efface le sommet, antenne et horloge. La terrasse au trentième étage est accessible par deux ascenseurs directs manœuvrés chacun par une préposée d’une volumétrie non-négligeable juchée sur un tabouret, ce qui réduit considérablement les possibilités d'accueil des dits ascenseurs. Le Palais abrite deux théâtres, le Musée Technique, un cinéma multisalles, un café, une salle de congrès en rotonde, toute une lustrerie rococo, du marbre à la tonne et un charme incroyable. Retour sur la gare, à son voisinage plus précisément, le centre commercial des « Terrasses dorées » (selon traduction de l’un de mes interlocuteurs polonais). L’édifice se déploie au pied d’une tour en une sorte de filet de dentelle verre-acier ondoyant et comptant presque deux cents commerces, un multiplex là aussi, des restaurants, un fitness gigantesque et des kilomètres de promenade.

… à suivre




jeudi, juillet 17, 2014

"Ils sont tous morts" d'Antoine Jaquier

Commençons doctement … ou avec pédanterie, par ce qui ne va pas. Il sourd de « Ils sont tous morts »  une attitude esthétisante décadentesque dans ce style grotesque et rockn’roll junky, à savoir « la vie c’est de la merde », « fuck le système », et bla bla bla, dans le genre crise d’ado qui ne trouve rien d’autre pour remplir sa stupide vie que de faire une crise (si, si, ça passe le temps surtout lorsqu’il n’y a rien de bien à la télé). Corollairement, on rencontre un chouia d’homophobie par-ci, par-là, voir la fameuse scène où Jacques trop cuit n’est pas fichu de remarquer qu’il se laisse embarquer par deux ladys boys et qu’il en fait tout un fromage alors qu’il laisse entendre, par la suite, qu’il compte aussi profiter de l’ivresse de jeunes filles pour arriver à ses fins. Deux ou trois autres anecdotes fleurent bon l’homophobie petit-bourgeois, un comble lorsque ce sentiment émane de prétendus rebelles à la société. Bref, deux poids, deux mesures. Autre problème, une complaisance encore plus marquée pour les scènes de radada, avec les détails et tout, pire que chez Houellefbeck. Bof. L’homme de qualité jouit et se tait ! mais surtout, il la ferme. Je dois avouer que les vingt premières pages m’ont été pénibles, j’ai failli jeter le livre mais j’avais promis à l’auteur – qui m’a gracieusement offert son ouvrage – d’en parler dans mon blog. Durant quelques minutes, il m’est passé en tête l’excuse foireuse du livre perdu dans mes tribulations berlino-poloniennes (tribulations très pépères comparées aux aventures de Jacques). Bon. J’avais promis et comme les trains polonais ne sont pas forcément les plus rapides du monde, je m’y suis mis et je ne regrette pas le voyage (les deux voyages, mais pour la Pologne, ce sera un autre billet, et j’aurai aussi deux ou trois choses à redire).
 
 
Donc, une fois passées ces pages d’exposition de la médiocrité vaudoise dans l’arrière-pays, thème déjà largement débattu dans ma propre oeuvre, une fois passées ces pages sur la révolte d’jeune qui n’appelle que mon profond dédain d’anar’ qui glisse à droite, on arrive sur un récit de braquage homérique. La scène est palpitante et drôle car on rit beaucoup au fil de « Ils sont tous morts ». L’auteur a du métier et prend la distance suffisante vis-à-vis de son narrateur pour se payer sa bobine, mais rien de méchant. On est dans du « Trainspotting » à la vaudoise et c’est tordant. La fuite, le plan, le départ en Thaïlande et les semaines de dérives, tout est passé au crible du regard d’un petit gars dans la m... jusqu’au cou mais qui n’a rien perdu de son sens critique. Le récit de la fouille au corps et en profondeur du narrateur lorsqu’il quitte la Thaïlande, par exemple (pp 220-223) est une scène d’anthologie. Jaquier a l’art du détail et du sensible, il nous dépeint la situation avec brio ( avec qui ? …), il a le don de susciter des images hautes en couleurs.
 
 
Le lecteur est introduit au monde du gribouillage cutané euh… du tatouage, une vision pertinente et réaliste : ça fait mal, c’est un choix pour la vie, il y a le risque de l’effet de mode. L’une des protagonistes thaïlandaises, à propos de cette « art corporel », dit que « les tatoueurs paient au prix de leur karma le masochisme de la société occidentale ». Position intéressante, à développer. Jaquier n’est pas un novice en la matière, il arbore un tatouage quasi intégral, je ne vous dirai pas jusqu’où va l’intégralité, car j’ai vu l’auteur fort peu voire pas vêtu (mais nooooon, vous êtes des tordus, on allait dans le même fitness et, même si je ne suis pas fan de tatouages, les siens sont spectaculaires et le bestiau était agréable à regarder). Autre monde évoqué, celui de la défonce, toute défonce confondue (alcool, shit, médocs, coco, héro, acid, etc.) Jaquier ne donne pas dans le prêchi-prêcha officiel de la compréhension à défaut de prévention, il expose clairement et l’hypocrisie du système et la responsabilité du consommateur. Il en a certainement trop vu pour en tirer une morale à tout faire, et ce roman n’en est pas le lieu. Notre auteur sait la frontière ténue qui sépare la fête de la dépendance, il en connaît le tracé subtil. D’habitude, je ne me sens pas concerné par « ces histoires-là ». Sur les questions de dépendances, je préfère avoir une attitude claudelienne ( La tolérance, je ne veux pas savoir, il y a des maisons pour ça).
 
 
La fin du roman est rédemptrice, façon chute du Walhalla. Dommage. On est triste pour ce pauvre Jacques, un gamin paumé qui avait pourtant bien de la ressource. Comme l’auteur, du reste, qui pourrait devenir un maître du roman noir. Il a la connaissance des milieux interlopes, le sens du récit, le suspens, le goût du détail et la puissance d’analyse, l’humour et tout un univers dont il sait témoigner, un univers qui d’habitude me laisse juste … froid. « Ils sont tous morts » n’est pas qu’un coup marketing d’une bonne maison d’édition qui rajeunit par là-même son image, c’est un authentique roman capable de séduire un lecteur de Mauriac, Green, Mann ou Fontane ou Fankhauser (moi par exemple). J’attends donc son prochain opus.
 
 
P.S. J’avais proposé à Antoine un échange : son roman contre l’un des miens. Je vais donc, en pénitence, lui passer mon court conte érotico-baroque « My life is a soap opera », le plus olé-olé de mes textes et peut-être le plus vaudois aussi. Deux ou trois choses en échos … 

mardi, juillet 08, 2014

"Canicule parano", extrait

Dans l'attente de la publication mi-août de "Canicule parano", voici le tout début de ce roman d'atmosphère et d'introspection.
 
Le décor : Berlin, en juillet, un dimanche après-midi; la canicule écrase la ville depuis plus de dix jours. La nuit n'apporte ni repos, ni fraîcheur. Maxence n'a pour seul but, au cours de cette dernière journée qu'il passe à Berlin, de se rendre à un rendez-vous pris avec une amie. Il va traverser la ville d'Est en Ouest et passer en revue sa vie, un peu à la manière de Meursault (L'Etranger). Maxence apparaît étranger à lui-même.
 
Roedeliusplatz, Berlin
"Du coin de la Weitlingstrasse et de la Rupprechtstrasse, une ligne de bus remonte vers la gare de Lichtenberg. On peut aussi s’y rendre à pieds en un peu moins de dix minutes. Des trains à mazout, des lignes venues du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale s’y perdent parfois, et même des convois venus de la frontière polonaise. Il y a, dans cette gare avant tout desservie par le S et le U-Bahn, une clientèle très « est », très slave, et des activistes d’extrême droite aux crânes rasés.
Peu avant de se retrouver assis sur la parvis d’une église, alors qu’il voulait se rendre au centre ville – pour peu que Berlin en possède un – Maxence a préféré éviter la gare et a pris une parallèle à la Weitling qui l’a mené aux « sources » de la Frankfurterallee. C’est un décor figé et très berlinois de grands boulevards wilhelminiens au charme usé avec d’immenses trottoirs déserts qu’animent de rares kneipe. Quelques lignes de tram serpentent entre les pavés disjoints vers d’improbables destinations. Il y a toujours un carrefour qui laisse espérer une ouverture sur une avenue fréquentée et connue mais la perspective s’ouvre sur un nouveau défilé d’immeubles austères ou bariolés par suite d’une réhabilitation hystérique post-réunificatoire. Peu de bruits. Très peu de passants. Pas de touristes. L’après-midi est lourde. Un ou une après-midi ? Un après-midi évoque mieux la grâce perdue de ce qui fut un quartier recherché, une sorte de banlieue cossue de la Berlin impériale. Lichtenberg retrouva la cote dans l’après-guerre, y logeaient les camarades fonctionnaires de la sûreté d’État et leurs alliés : beaux-frères méritants, cousins recommandables, aïeux patelins. Ils y vivent encore de l’aide sociale. La majorité d’entre eux n’a pu retrouver d’emploi après la réunification. Ils vivotent dans la mélancolie des temps passés et voient avec résignation arriver de nouveaux habitants, des « Schwaben» comme ils disent avec un rien de mépris, une clientèle que les loyers prohibitifs de Prenzlauerberg ont fini par rejeter ici, parmi une population à la réputation raciste et arriérée. Maxence a hésité à monter dans un tram vide qui, nonchalamment, s’était échoué au bord du trottoir. Il a hésité à se lancer dans une promenade « aventureuse » et découvrir une rue, une place qu’il ne connaissait pas encore et qui lui aurait parlé. Toutefois, il s’est souvenu de l’ex-Glaubenskirche dont il a commencé à rechercher les toits pointus des deux tours accolées, sur une place en  partie bordée par les bureaux déserts de l’ex-sécurité d’État.

mercredi, juillet 02, 2014

"Frau Jenny Treibel" de Theodor Fontane



Je vous avais promis un extrait de « Canicule Parano » mais, auparavant, permettez-moi un détour par Fontane, le grand auteur qui chante la Berlin prussienne, charmante et un peu province, puis la Berlin impériale, la grande ville qui s’étend à travers champs et faubourgs. On y reconnaît quelques buts de promenade, des points de vue célèbres, de grands boulevards pas encore totalement intégrés au tissu urbain. Fontane est le peintre des bonheurs simples, évidents, de la bonne vie urbaine. Il n’a pas la mélancolie ni la finesse symboliste de Keyserling ; il a quelque chose de plus jovial, de plus apaisé. Sa critique sociale n’a rien de virulent.

Dans le cas de « Frau Jenny Treibel », il oppose la bourgeoise industrielle fortunée à la bourgeoisie « académique ». Entre ces deux mondes, deux femmes : Mme Jenny Treibel, courtisée dans sa jeunesse par le Pr. Schmidt mais qui, finalement, épousa le capitaine d’industrie Treibel et Corinna Schmidt, la fille du Pr., qui essaie de se faire épouser par le fils cadet des Treibel. Jenny s’opposera à ce projet pour des raisons « dynastiques », son fils est déjà promis à une héritière. Le récit eût pu être traité sur le ton de la tragédie mais Fontane préfère raconter la mécanique des sentiments un jour après l’autre. Son analyse est plutôt bonhomme. Les Treibel ont de hautes aspirations, tant sociales que politiques et mille petits travers. Un exemple : Mme se plaint de ne pas avoir de véritable entrée de service, ce  n’est pas très correct pour les invités contraints de partager le perron avec les fournisseurs ! Les Treibel restent néanmoins plein d’amitié, d’égards envers leurs proches et leurs alliés.

En dédiant « Canicule Parano » à Theodor Fontane - pour sa Jenny Treibel, je tenais à témoigner d’un art moral et adouci, d’une intrigue non-intrigue, faire un bout de chemin à côté de personnages, partager leurs joies, leurs préoccupations, souffrir ou jouir du climat avec eux. Le flux de la vie passe puissamment dans l’œuvre fontanienne : le cahot d’un fiacre sur le pavé poudreux, une tasse de thé bien noir, le parfum des fleurs, le drapé d’une étoffe et, le plus précieux, une aimable résignation, des espoirs discrets.

samedi, juin 21, 2014

"Morose foncé" de Daniel Fazan

Revenir sur un texte, un roman de Daniel Fazan, le très prolixe homme de radio, l’auteur trublion dont la plume paradoxalement verdit sous l’effet du temps. Je ne veux pas parler de Millésime ou Vacarme d’automne, ses derniers succès moratteliens mais de  Morose foncé, un roman noir de 2007 en compagnie de qui j’avais passé de très bons moments à Barcelone.

Quelques mots de méthode. J’associe l’auteur au lieu dans lequel je fais la lecture la plus marquante de son œuvre. Dans cette même logique, ceux qui me suivent depuis, Ohhh ! décembre 2005, savent que Mauriac est un auteur … berlinois et Fontane, un auteur pullérian ; Pierre Fankhauseur, depuis le week-end de la Pentecôte, m’est  un auteur francfortois. Donc, Fazan, Barcelone  (comme Golo Mann). Logique. C’était quelques jours durant les vacances de Pâques 2011, un hôtel près de l'hôpital universitaire, de belles promenades en perspective et un joli pavé de plus de deux-cent-cinquante pages pour compagnie. Je me souviens d’avoir traîné durant quatre jours l’épais volume à travers toute la ville dans un petit cabas de toile (il ne passait pas dans ma sacoche ; la plupart de mes sacs m’ont été offerts par mon homme, il sont des accessoires élégants et, donc, d’une contenance limitée). Je me souviens que, dans le feu de la lecture, au moment du dénouement, je dînais près de l’hôtel, j’ai liché une bouteille entière d’un vin capiteux qui en rajoutait à la densité de l’intrigue.

Le propos du roman peut se résumer par « peinture d’une époque » avec, par-ci, par-là quelques éléments biographiques de l’auteur, des clefs que possède le cercle élargi des connaissances (Daniel Fazan fait partie de mon ex-belle-famille). Morose foncé ou l’analyse du mécanisme perverti du marché de l’art contemporain, analyse servie dans une intrigue efficace. Des personnages bien campés, à valeur allégorique, et la voix de l’auteur, sa conversation, sa conception de la création, des rapports interindividuels. Je ne saurais vous raconter l’intrigue. Je crois à l’Immaculée Conception, à la Transsubstantiation, à la manifestation de l’Esprit Saint et à tout le reste du Crédo mais pas tant à l’intrigue telle que l’on conçoit la chose en littérature. C’est en général un tour de passe-passe qui, en dépit de son adresse, me laisse toujours sur la conclusion « c’est du chiqué ». Je crois aux atmosphères, au travail de recréation du monde par l’auteur et Fazan est un orfèvre. Je sais même – mais chuuuuut – que l’un des passages poignants de l’un de ses titres, passage qui a tout de l’instant véridique, authentiquement vécu n’est qu’une invention ; le magnifique Daniel me l’a confié.

Pourquoi revenir sur ce titre de 2007 ? Ce sera mon conseil « lecture de plage/vacances » de l’été 2014. Je pense que ce roman n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Il s’agit d’un texte à ranger parmi les nouveaux classiques de la littérature romande, tout comme l’œuvre de Lador, Dubath, Verdan ou Faron. Je veux pour preuve de ce que j’avance le fait que mon « Morose foncé » a disparu, comme la plupart de mes Lador et de mon dernier Dubath. Je suis obligé de planquer mes romans romands que famille et amis m’empruntent et se laissent emprunter, résultat des courses je les retrouve une année, deux ans plus tard après un périple par monts et par vaux !


Dis voir, Daniel, tu n’en aurais pas encore un exemplaire à me passer ?

Morose foncé, éd. Publi-Libris, 2007

lundi, juin 16, 2014

Wikitractus d'André Ourednik

Le volume est épais, impressionnant, non-linéaire, multi référencé et d’un lyrisme aussi frais que son auteur. N’oublions pas que ce dernier pratique le japonais, la géographie et la poésie. Ceci expliquant cela, il ne faut pas s’étonner qu’il ait produit cette vaste partie jeu de l’oie version cache-cache de plus de trois cents pages.

Au chapitre des références, il est plus que nécessaire de citer Wittgenstein avec son Tractatus logicophilosophicus dans lequel le philosophe autrichien développe sa mystique du langage. André Ourednik se réfère encore à Freud, Leibnitz, Lévinas ou Ricoeur, et Spinoza, évidemment, pour son Tractatus theologicopoliticus. Que le lecteur ne se laisse pas impressionner par l’éclat d’une telle bibliographie : Ourednik, en sus de sa culture encyclopédique, jouit d’un humour desprogien propre à dégeler la plus arctique des banquises. Il a, de plus, ce quelque chose de délicat et d’amical qu’il sait faire passer dans son texte : sourires, clins d’œil, petits gestes complices.

Wikitraktus ou le goût de l’assemblage à la manière de Wikipédia, sans la sècheresse experte et l’ouverture d’une nouvelle fenêtre en un clic. Comment ça marche ? un mot, sa définition personnelle, d’autres mots, en gras, un renvoi à une nouvelle définition, et ainsi de suite. C’est à lire n’importe où, un volume à laisser près du lit, à la salle de bain, sur la table basse du salon. Il faut procéder d’une manière impressionniste, par touches successives et, de lectures en lectures, après quelques semaines, on voit apparaître un motif complexe et délicat, tout un réseau cryptique qui se laisse découvrir.

Livre expérimental, recueil de poèmes en prose, jeu culturel amusant, mise en abîme de notre consommation du savoir via la toile ? Et, même, théorie philosophique en trait tillé, pointillé mais point pointilleux, plutôt très imagé et circonvolu, révolutionné, en rien tordu. Wikitractus n’est pas un volume à laisser dormir dans une bibliothèque mais à laisser à portée de main, un texte vivant. Ne manquez pas de compléter votre expérience papier par une visite sur le site de l'auteur  http://wikitractatus.ourednik.info/



lundi, juin 09, 2014

"Sirius" de Pierre Fankhauser

Pierre Fankhauser signe avec Sirius un texte dense et poétique, un objet littéraire d’une rare qualité et d’une force discrète. La trame n’est pas sans rappeler un épisode particulier de l’affaire du Temple Solaire, un fait divers qui avait marqué les esprits il y a une vingtaine d’années. Près d’une centaine de fidèles en tout avaient trouvé la mort à Cheiry, Salvan, au Canada et dans le Vercors. Dans ce dernier cas, il s’agissait de 16 personnes dont les corps avaient été en partie incinérés dans une clairière retirée, épisode à la base de l’intrigue de notre roman. La secte incriminée pratiquait un culte de pacotille fait de trompe-l’œil en carton-pâte, de rites ramassés dans des séries B et autres romans de gare, le tout agrémenté de parties fines et de trafic d’argent sale. Le décors est planté.
 
Pierre Fankhauser va toutefois plus loin qu’une simple enquête romancée. Il a su exemplifier un certain nombre de nos interrogations, de nos craintes fondamentales à partir d’un récit sordide et banal à la fois. Il aborde le thème de la maladie, de la souffrance, de la foi (qu’elle qu’en soit la forme), du sacrifice, de la place du corps dans le processus créatif ou comment ce corps participe aux rites. Il ne faut pas oublier que notre auteur et son épouse ont passé de longues années au pays du tango, à Buenos Aires, capitale qui compte la plus grande concentration de psychanalystes au monde. Sirius est donc porteur de ces influences. Le lecteur doit se laisser conduire, faire confiance à l’auteur dans des guidages complexes qui le laisseront surpris de sa propre adresse. Le récit n’est pas d’une trame linéaire. Par contrecoup, Pierre place aussi toute sa confiance dans son lectorat ; il parie sur sa sagacité et son sens de l’enchaînement.
 
 
Le texte s’offre dans une polyphonie narrative : rapports d’enquête, de contre-enquête, lettres circulaires aux membres de la secte, témoignage de la chorégraphe en interview, lettres intimes de cette dernière au père de son enfant, voix off du journaliste (peut-être le père de l’enfant). Les éléments se recoupent, s’additionnent, se contredisent ou semblent se contredire. L’hybridation des techniques narratives y répond, ce qui fait de chaque chapitre une surprise et laisse la part belle au lecteur.  De toute manière, la vérité est ailleurs, dans un interstice étroit entre meurtre et illumination, entre espoir et combine. Pas même besoin d’arrêter précisément son opinion, l’auteur glisse une hypothèse alambiquée pour ceux qui tiennent à savoir mais ce n’est que très secondaire.
 
 
Une petite musique un peu lassée se laisse entendre, un air à deux temps marqué par de petits riens et repris par la mélodie d’un discours indirect libre magistral. Les mots de « celle qui danse », ainsi que la chorégraphe signe ses lettres, glissent et balancent avec la force d’une parole vivante. Il y a là un vrai grand travail de style, à des kilomètres de la facilité de ceux qui se réclament de l’héritage de Céline parce qu’il ont placé une onomatopée entre deux grossièretés. De toute manière, Pierre Fankhauser n’a pas besoin de se prévaloir du moindre modèle, il a la maestria et le ton singulier d’un véritable auteur. 

jeudi, mai 29, 2014

Mon Livre sur les quais


Embouchure de la Morges, parc de l'Indépendance
Après le billet plein de couleurs d’André Ouerdnik, je n’aurais plus grand-chose à ajouter à la peinture si vivante de ces belles journées. Elles gardent pour moi les reflets d’un tableau familier et inédit. Mes lecteurs savent que je suis … Morgien, que je l’ai été jusqu’à passé vingt-cinq ans. Dans mes autofictions de jeunesse, je n’ai pas été tendre avec ma ville natale, lorsque, par exemple, dans « Appel d’Air »,  je l’affublais du sobriquet ironique de « New Versailles ». A l’époque, Morges semblait être sortie d’un scénario de Chabrol, avec ses vieilles élites finissantes, son industrie fleurissante, ses rues populaires aux façades affaissées, comme un air d’avant-guerre. J’habitais dans le logement familial, là où vit encore ma mère, avenue de la Vogéaz, un vilain préfabriqué flanqué d’un toit pyramidal ridicule, comme un chapeau trop petit sur une trop grosse tête plate. J’ai quitté Morges pour Lausanne, pour ce qu’elle était alors …

Mai 2013, avec Cyril, nous avons emménagé rue Louis de Savoie ; un étrange tricotage de déconvenues locatives et de hasards nous y a menés. Cela avait commencé par un songe, dont je me suis éveillé plein de confiance et de joie. Fin janvier, j’avais rêvé de cet étrange appartement dans lequel on entrait sous les combles, fait de trois ou quatre niveaux, d’une vue sur le lac et d’un sentiment de paix profonde, le bateau revenu au port. Description faite à Cyril, il me montre une annonce immobilière sur internet (la recherche d’appartements représente son sport favori). Effectivement, l’attique photographié sous des angles torturés pouvait ressembler à ce que j’avais vu en rêve. Après quelques atermoiements et autres hésitations, quelques délais et retard, une proposition de date d’entrée de bail quasi indécente, au 15 mai je suis redevenu Morgien. J’en étais parti pauvre, inquiet et amer ; j’y suis revenu accompagné et apaisé, et même reconnu pour mon travail d’auteur, l’invitation au Livre sur les quais.

Il faisait beau ces journées de septembre, il faisait doux sur les quais, juste sous mes fenêtres. J’ai pu mettre un visage sur la personne de plus de l’un de mes lecteurs. Et il y avait André, Olivier et Pierre ; il y avait Stéphane, Pierre-Yves et un autre Pierre ; il y avait Nuria aussi (nous avons grandi dans le même quartier). Il y avait la littérature, une plaisante indolence et le sentiment d’avoir retrouvé … ce dont je rêvais à quinze ans, quand je travaillais à quelque roman perdu face au lac, assis sur un banc, près du bassin d’Hercule, à l’entrée du Parc de l’Indépendance.

dimanche, mai 25, 2014

"Confession d'un repenti"

L’insatiable Lador nous confesse sa boulimie, sa voracité dans son dernier opus, « Confession d’un repenti », sorte de vaste inventaire d’un menu perpétuel et gargantuesque. Tout serait dit, entre deux mille-feuilles, un baba et autre cochonnerie sucrée. Je ne suis pas très dessert, pas très petite pièce chichiteuse à la mousse de je ne sais trop quoi vendu quasi le prix d’un plat du jour. Et l’ascétique Pierre-Yves se dévoile en avale-royaume, gobant (berk, berk, berk) des saladiers de … glace (j’ai aussi horreur de la glace), sans parler de quelque frometon baveux (je ne suis non plus pas très fromage qui fouette) qu’il a englouti auparavant et, sommet de l’horreur, il bâfre encore de la bonbonnaille (là, il faut que je prenne un motilium). Il faut vraiment que la confession fût puissante, talentueuse et brillante pour que je parvinsse à lire jusqu’à la dernière ligne.

Lador a-t-il forcé le trait ? Peut-être, comme souvent dans l’autofiction, et la bonne. L’auteur est contraint de prendre la pose et d’une manière stéréotypée. Quel âge a-t-il ? Celui de ses artères ! Il est donc encore dans la fleur de l’âge. Il estime toutefois être sorti de l’âge des excès. Et il les confesse tous ! Il les survole dans un catalogue exhaustif et pointu. Il a décidé d’être discret quant au sexe. Pierre-Yves Rabelais, Gargantua Lador, en parfait gentleman, aime trop les femmes pour les compter parmi les plats se succédant à sa table infinie. La sensualité n’appartient pas au registre boulimique, métaphore d’un monde contemporain auquel l’auteur a souscrit avant de le confesser. Il est des domaines dans lesquels PYL ne s’est pas laissé séduire par la tarentelle effrénée du temps comme il va. L’époque, du reste, ne jouit plus ! elle consomme, bâfre, s’empâte et finit par se faire vomir, anorexie. Entre le souci de son image, les soldes, le flot de l’information et la nécessité de savoir ce qu’il faut penser, l’époque n’a plus le temps de faire l’amour, et elle n’est pas celle que nous croyons.


« Confession d’un repenti » ne tient pas du regard rétrospectif jeté par un vieux sage désabusé sur la déroute des temps, du genre « avant c’était mieux ». Lador se contente de glisser un « avant c’était meilleur » et de s’interroger sur la production de masse et sur les effets de l’âge aussi. Il n’a pas vu son temps passer, il le mesure à ses capacités digestives. Touchant, précieux, écœurant, le livre nous raconte, mieux que Ramuz et Chessex ne l’ont jamais fait. Par « nous », j’entends les Vaudois et les Romands par extension. Lador est toujours dans la course sans n’avoir rien sacrifié aux modes. Il réalise l’équilibre subtil entre mémoire et expérience contemporaine. Lador mange un carac, explique ce qui l’a mené à le manger et évoque bien soixante ans de souvenir de carac.