Commençons doctement … ou avec pédanterie, par ce qui ne va
pas. Il sourd de « Ils sont tous morts » une attitude esthétisante décadentesque dans
ce style grotesque et rockn’roll junky, à savoir « la vie c’est de la
merde », « fuck le système », et bla bla bla, dans le genre
crise d’ado qui ne trouve rien d’autre pour remplir sa stupide vie que de faire
une crise (si, si, ça passe le temps surtout lorsqu’il n’y a rien de bien à la
télé). Corollairement, on rencontre un chouia d’homophobie par-ci, par-là, voir
la fameuse scène où Jacques trop cuit n’est pas fichu de remarquer qu’il se
laisse embarquer par deux ladys boys et qu’il en fait tout un fromage alors
qu’il laisse entendre, par la suite, qu’il compte aussi profiter de l’ivresse
de jeunes filles pour arriver à ses fins. Deux ou trois autres anecdotes
fleurent bon l’homophobie petit-bourgeois, un comble lorsque ce sentiment émane
de prétendus rebelles à la société. Bref, deux poids, deux mesures. Autre
problème, une complaisance encore plus marquée pour les scènes de radada, avec
les détails et tout, pire que chez Houellefbeck. Bof. L’homme de qualité jouit
et se tait ! mais surtout, il la ferme. Je dois avouer que les vingt
premières pages m’ont été pénibles, j’ai failli jeter le livre mais j’avais
promis à l’auteur – qui m’a gracieusement offert son ouvrage – d’en parler dans
mon blog. Durant quelques minutes, il m’est passé en tête l’excuse foireuse du
livre perdu dans mes tribulations berlino-poloniennes (tribulations très
pépères comparées aux aventures de Jacques). Bon. J’avais promis et comme les
trains polonais ne sont pas forcément les plus rapides du monde, je m’y suis
mis et je ne regrette pas le voyage (les deux voyages, mais pour la Pologne, ce
sera un autre billet, et j’aurai aussi deux ou trois choses à redire).
Donc, une fois passées ces pages d’exposition de la
médiocrité vaudoise dans l’arrière-pays, thème déjà largement débattu dans ma propre oeuvre, une fois passées ces pages sur la révolte d’jeune qui
n’appelle que mon profond dédain
d’anar’ qui glisse à droite, on arrive sur un récit de braquage homérique. La
scène est palpitante et drôle car on rit beaucoup au fil de « Ils sont
tous morts ». L’auteur a du métier et prend la distance suffisante
vis-à-vis de son narrateur pour se payer sa bobine, mais rien de méchant. On
est dans du « Trainspotting » à la vaudoise et c’est tordant. La
fuite, le plan, le départ en Thaïlande et les semaines de dérives, tout est
passé au crible du regard d’un petit gars dans la m... jusqu’au cou mais qui
n’a rien perdu de son sens critique. Le récit de la fouille au corps et en
profondeur du narrateur lorsqu’il quitte la Thaïlande, par exemple (pp 220-223)
est une scène d’anthologie. Jaquier a l’art du détail et du sensible, il nous
dépeint la situation avec brio ( avec qui ? …), il a le don de susciter
des images hautes en couleurs.
Le lecteur est introduit au monde du gribouillage cutané
euh… du tatouage, une vision pertinente et réaliste : ça fait mal, c’est
un choix pour la vie, il y a le risque de l’effet de mode. L’une des
protagonistes thaïlandaises, à propos de cette « art corporel », dit
que « les tatoueurs paient au prix de leur karma le masochisme de la
société occidentale ». Position intéressante, à développer. Jaquier n’est
pas un novice en la matière, il arbore un tatouage quasi intégral, je ne vous
dirai pas jusqu’où va l’intégralité, car j’ai vu l’auteur fort peu voire
pas vêtu (mais nooooon, vous êtes des tordus, on allait dans le même fitness
et, même si je ne suis pas fan de tatouages, les siens sont spectaculaires et
le bestiau était agréable à regarder). Autre monde évoqué, celui de la défonce,
toute défonce confondue (alcool, shit, médocs, coco, héro, acid, etc.) Jaquier
ne donne pas dans le prêchi-prêcha officiel de la compréhension à défaut de
prévention, il expose clairement et l’hypocrisie du système et la responsabilité
du consommateur. Il en a certainement trop vu pour en tirer une morale à tout
faire, et ce roman n’en est pas le lieu. Notre auteur sait la frontière ténue
qui sépare la fête de la dépendance, il en connaît le tracé subtil. D’habitude,
je ne me sens pas concerné par « ces histoires-là ». Sur les
questions de dépendances, je préfère avoir une attitude claudelienne ( La tolérance, je ne veux pas savoir, il y a
des maisons pour ça).
La fin du roman est rédemptrice, façon chute du Walhalla.
Dommage. On est triste pour ce pauvre Jacques, un gamin paumé qui avait
pourtant bien de la ressource. Comme l’auteur, du reste, qui pourrait devenir
un maître du roman noir. Il a la connaissance des milieux interlopes, le sens
du récit, le suspens, le goût du détail et la puissance d’analyse, l’humour et
tout un univers dont il sait témoigner, un univers qui d’habitude me laisse
juste … froid. « Ils sont tous morts » n’est pas qu’un coup marketing
d’une bonne maison d’édition qui rajeunit par là-même son image, c’est un
authentique roman capable de séduire un lecteur de Mauriac, Green, Mann ou
Fontane ou Fankhauser (moi par exemple). J’attends donc son prochain opus.
P.S. J’avais proposé à Antoine un échange : son roman
contre l’un des miens. Je vais donc, en pénitence, lui passer mon court conte
érotico-baroque « My life is a soap opera », le plus olé-olé de mes
textes et peut-être le plus vaudois aussi. Deux ou trois choses en échos …
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