Je
vous avais promis un extrait de « Canicule Parano » mais, auparavant,
permettez-moi un détour par Fontane, le grand auteur qui chante la Berlin
prussienne, charmante et un peu province, puis la Berlin impériale, la grande
ville qui s’étend à travers champs et faubourgs. On y reconnaît quelques buts
de promenade, des points de vue célèbres, de grands boulevards pas encore
totalement intégrés au tissu urbain. Fontane est le peintre des bonheurs
simples, évidents, de la bonne vie urbaine. Il n’a pas la mélancolie ni la
finesse symboliste de Keyserling ; il a quelque chose de plus jovial, de
plus apaisé. Sa critique sociale n’a rien de virulent.
Dans
le cas de « Frau Jenny Treibel », il oppose la bourgeoise industrielle
fortunée à la bourgeoisie « académique ». Entre ces deux mondes, deux
femmes : Mme Jenny Treibel, courtisée dans sa jeunesse par le Pr. Schmidt
mais qui, finalement, épousa le capitaine d’industrie Treibel et Corinna
Schmidt, la fille du Pr., qui essaie de se faire épouser par le fils cadet des
Treibel. Jenny s’opposera à ce projet pour des raisons
« dynastiques », son fils est déjà promis à une héritière. Le récit
eût pu être traité sur le ton de la tragédie mais Fontane préfère raconter la
mécanique des sentiments un jour après l’autre. Son analyse est plutôt bonhomme.
Les Treibel ont de hautes aspirations, tant sociales que politiques et mille petits
travers. Un exemple : Mme se plaint de ne pas avoir de véritable entrée de
service, ce n’est pas très correct pour
les invités contraints de partager le perron avec les fournisseurs ! Les
Treibel restent néanmoins plein d’amitié, d’égards envers leurs proches et
leurs alliés.
En
dédiant « Canicule Parano » à Theodor Fontane - pour sa Jenny
Treibel, je tenais à témoigner d’un art moral et adouci, d’une intrigue
non-intrigue, faire un bout de chemin à côté de personnages, partager leurs
joies, leurs préoccupations, souffrir ou jouir du climat avec eux. Le flux de
la vie passe puissamment dans l’œuvre fontanienne : le cahot d’un fiacre
sur le pavé poudreux, une tasse de thé bien noir, le parfum des fleurs, le
drapé d’une étoffe et, le plus précieux, une aimable résignation, des espoirs
discrets.
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