Pierre Fankhauser signe avec Sirius un texte dense et poétique, un objet littéraire d’une rare
qualité et d’une force discrète. La trame n’est pas sans rappeler un épisode
particulier de l’affaire du Temple Solaire, un fait divers qui avait marqué les
esprits il y a une vingtaine d’années. Près d’une centaine de fidèles en tout avaient
trouvé la mort à Cheiry, Salvan, au Canada et dans le Vercors. Dans ce dernier
cas, il s’agissait de 16 personnes dont les corps avaient été en partie
incinérés dans une clairière retirée, épisode à la base de l’intrigue de notre
roman. La secte incriminée pratiquait un culte de pacotille fait de
trompe-l’œil en carton-pâte, de rites ramassés dans des séries B et autres
romans de gare, le tout agrémenté de parties fines et de trafic d’argent sale.
Le décors est planté.
Pierre Fankhauser va toutefois plus loin qu’une simple
enquête romancée. Il a su exemplifier un certain nombre de nos interrogations,
de nos craintes fondamentales à partir d’un récit sordide et banal à la fois.
Il aborde le thème de la maladie, de la souffrance, de la foi (qu’elle qu’en
soit la forme), du sacrifice, de la place du corps dans le processus créatif ou
comment ce corps participe aux rites. Il ne faut pas oublier que notre auteur
et son épouse ont passé de longues années au pays du tango, à Buenos Aires,
capitale qui compte la plus grande concentration de psychanalystes au monde. Sirius est donc porteur de ces
influences. Le lecteur doit se laisser conduire, faire confiance à l’auteur
dans des guidages complexes qui le laisseront surpris de sa propre adresse. Le
récit n’est pas d’une trame linéaire. Par contrecoup, Pierre place aussi toute
sa confiance dans son lectorat ; il parie sur sa sagacité et son sens de
l’enchaînement.
Le texte s’offre dans une polyphonie narrative :
rapports d’enquête, de contre-enquête, lettres circulaires aux membres de la
secte, témoignage de la chorégraphe en interview, lettres intimes de cette
dernière au père de son enfant, voix off du journaliste (peut-être le père de
l’enfant). Les éléments se recoupent, s’additionnent, se contredisent ou
semblent se contredire. L’hybridation des techniques narratives y répond, ce
qui fait de chaque chapitre une surprise et laisse la part belle au
lecteur. De toute manière, la vérité est
ailleurs, dans un interstice étroit entre meurtre et illumination, entre espoir
et combine. Pas même besoin d’arrêter précisément son opinion, l’auteur glisse
une hypothèse alambiquée pour ceux qui tiennent à savoir mais ce n’est que très
secondaire.
Une petite musique un peu lassée se laisse entendre, un air
à deux temps marqué par de petits riens et repris par la mélodie d’un discours
indirect libre magistral. Les mots de « celle qui danse », ainsi que
la chorégraphe signe ses lettres, glissent et balancent avec la force d’une
parole vivante. Il y a là un vrai grand travail de style, à des kilomètres de
la facilité de ceux qui se réclament de l’héritage de Céline parce qu’il ont
placé une onomatopée entre deux grossièretés. De toute manière, Pierre Fankhauser
n’a pas besoin de se prévaloir du moindre modèle, il a la maestria et le ton
singulier d’un véritable auteur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire