samedi, novembre 02, 2013

The bonfire of vanities


Le bûcher des vanités, Florence, le 7 février 1497


Ne pas tout ramener à soi ou l’égo surdimensionné des auteurs … dont on parle, des leaders d’opinion, des gens en vue. Ne devrait-on pas dire plutôt des gens qui bouchent la vue ?! J’ai pourtant tant aimé l’autofiction, sa vitalité incoercible, son éclat sauvage, ses fulgurances prophétiques. J’ai tant aimé les témoignages à la première personne pour leur sincérité. I’m fed up. Je suis barbouillé par cette perpétuelle foire aux vanités, comme un chewing-gum métaphorique qui vous colle à la culture, un truc mâchouillé, recraché et qui ne m’inspire pas la moindre dévotion ; j’ai passé l’âge de jouer les groupies.

Le « je » n’est plus cette bannière à tête de mort flottant sur un bastion pirate, c’est un bandeau publicitaire, une réclame vantant la jeunesse, le sex-appeal, le look, la réussite de faiseurs aussi passionnants qu’une dosette de lessive. La bonne gueule de l’intelligentsia néo-peoplesque et la fulgurance de son succès en vertus cardinales et commerciales. Et le talent ? Tout tient à l’emballage, et puis c’est jeune, c’est neuf, ça occupe le terrain, ça fait vendre à défaut de faire réfléchir.

J’ai plaisir à parler d’auteurs, d’artistes dont l’œuvre me touche, à témoigner de mes inclinations mais je refuse de servir la soupe. Jamais un Mauriac, un Green, un Mann (père ou fils) ou même un Morand ne se seraient affichés avec la complaisance de nos peoples culturels. Ni même un Bonnard, un Nolde, un Balthus, un Satie, un Béjart ou un Truffaut. Tous les précités n’étaient pas forcément des parangons d’humilité, ils avaient des usages …

Tant pis pour le « main stream » et la mode, vous allez continuer de lire de vieilles choses dans ces lignes. Je ne veux plus même donner d’importance aux cuistres qui font l’actualité, leur faire la moindre publicité. Je m’abstiendrai avec regret, je suis si bon dans la critique.

dimanche, octobre 27, 2013

Retour de New York



Cour intérieure, 9 W 120 str, NY

Il est à relever que j’ai voyagé avec des compagnons aux goûts plus … « communs » que les miens ; mon séjour eût peut-être été différent avec d’autres. New-York, donc, en dépit de mes préventions à l’encontre des Etats-Unis et de la culture anglo-saxonne. Huit heures d'un vol agréable, atterrissage à 20h20, attente à la douane, les questions décousues d'un officier de l'immigration puis un taxi sauvage pour la 120ème ouest, au croisement de Lenox. Une maison de trois étages, en briques rouges, un perron au sommet d’une volée d’escaliers. Tout le segment de rue est du même style, réminiscence de la bonne vie bourgeoise d’avant la crise de 29. La nuit est étonnamment silencieuse. Lenox avenue a été rebaptisée Malcolm X boulevard.

Dans la lumière du lendemain, une lumière atlantique, à la « Hopper », se détachent de belles architectures sur un ciel ultra-bleu. South Harlem a des airs de capitale européenne à la fois faillie et au début d’un renouveau.  Six rues plus bas, Central Park, ses promenades, bassins et fiacres, ses réverbères Art-Nouveau. Toute la ville, tout Manhattan s’organise autour du parc, un territoire au milieu du territoire. Au Nord, c’est un terrain de jeux familial, bon enfant, des messieurs un peu endimanchés avec leur chien et leur épouse, ces deux derniers en surcharge pondérale ; au Sud, c’est une sorte de féérie cinématographique dans laquelle chaque promeneur est figurant, voire l’acteur principal. Le touriste à appareil photo qui crépite de flashs tient de la faune locale particulière. On touche ici à l’un des éléments marquants de NY, son aspect artificiel, voire « bidon ».

Encore quelques belles images. Le thé au Waldorf-Astoria, le palace new-yorkais par excellence ; la soirée d’opéra au Met, « A Midsummer night’s dream » de Britten ; quatre heures de visites au Metropolitan Museum, un portrait de jeune homme du Bronzino ; Bloomingdales et sa boutique de Noël; Macy’s ; « Le Fantôme de l’Opéra » au Majestic Theater ; un cosmopolitan au bar panoramique et tournant du Marriott Marquis, 48ème étage. Et toujours cette lumière dorée. Un charme qui opère jusqu’au-dessus de Woodburry Common, une mini cité de hangars déguisée en village balnéaire façon Hampton. Une heure de bus du centre ville pour tomber dans ce piège où consommer est la seule activité. Le cœur du problème.

New York est une féérie et une forfaiture. Du carton-pâte, des toiles peintes grossières parmi lesquelles gigotent d’assez mauvais acteurs. Ces gens ont de gros problèmes avec eux-mêmes en dépit de leur « coolitude ». Etrange peuple qui a si peur des « cabinets », cuvette surbaissée et porte anecdotique. Impossible, comme dans le reste des États-Unis, d’avoir la moindre intimité dans les toilettes des lieux publics. Les New-Yorkais ont un souci d’eux-mêmes quasi névrotiques. Toute la population est obsédée par sa ligne, les autorités s’en soucient aussi. On ne vous sert que du sans-sucre allégé et sans sel. Je soupçonne même l’industrie agro-alimentaire locale de rajouter de la fibre alimentaire dans tout et n’importe quoi. Une femme, que j’avais dans mon champ de vision, Dunkin Donut, et qui vidait quatre à cinq sachets de sucre dans son mug de café s’est sentie visée et s’est mise à vociférer à mon endroit qu’elle aimait le sucre et alors !

A New York, il n’y a que des procédures et surtout pas de libre arbitre. On suit les règles sans se poser de question parce que ces règles ont été édictées par une autorité supérieure donc indiscutable. On est aimable, parce que c’est commerçant et, derrière le sourire forcé, la fatigue, l’ennui, ne surtout rien laisser paraître, comme un portier, dans les toilettes du Pierre, en train de dormir debout qui, lorsqu’il s’aperçoit de ma présence, se ressaisit, affiche un franc sourire et me salue en me demandant comment je vais. Merci, je vais plutôt bien et souvent, rapport à la fibre alimentaire, j’y ai même laissé deux kilos et suis fatigué de manger non-stop afin de répondre à ma sensation de faim. Je m’étonne moi-même d’avoir autant d’appétit dans cette ville vénale à vomir.

vendredi, octobre 18, 2013

"Chants dilettantes" d'André Ourednik



Retour sur « Chants dilettantes d’un fainéant éduqué » d’André Ourednik, une œuvre de jeunesse, un recueil poétique sous-titré « au rythme des saisons et des manies ». Je ne connaissais pas l’auteur, pas de manière personnelle, de nom, oui, nous avons – aussi – publié dans la même maison. Au Livre sur les quais, nous étions assis côte à côte. André dédicaçait ses « Contes suisses » aux éditons Encre fraîche. J’ai toutefois été attiré par un petit volume plat, illustré d’un dessin … évocateur, l’esthétique poétique, faite d’évocations et d’élisions.

André a publié ce recueil alors qu’il n’avait que 24 ans et l’œuvre brille d’une jeunesse éternelle, d’une révolte délicatement décadentiste, de beaux élans littéraires, d’une geste classique lorsqu’on a 24 ans.

et on est la jeunesse dorée
la récolte des efforts
de la dernière guerre
et de toutes celles d’après
chez eux

mais c’est quand même eux
qui putréfient
en proie aux vers
et aux badauds paresseux
mes amis qu’on repêche dans un lac
ou dans les chiottes d’un bistrot
chez nous
victimes d’un massage de cœur
pour remettre les visages en route
Extrait de chez nous

Le texte parle de soi, tout le recueil est de la même eau, quelques incursions en langue anglaise et allemande, une inspiration éminemment lettrée, la référence culturelle classique assumée, l’ironie classieuse, juste la touche d’érudition assumée qui évite à l’auteur les travers poseurs du hipster. Inutile d’en dire plus long, ce serait éventer le bouquet de cette poésie authentique aux assonances si originales.

Longue vie au monde !
Et longue vie à notre incompétence sacrée !

Strophe finale de « 3ème Manifeste »

« Chants dilettantes d’un fainéant éduqué, au rythme des saisons et des manies », André Ourednik, éd. L’Âge d’Homme, 2002

lundi, octobre 14, 2013

"Miséricordes" de Joël Espi



J’voudrais bien, ouin, ouin, ouin ; mais j’peux point, ouin, ouin, ouin… Misericorde ! « Malgré l’affection qu’il lui portait » (p.93), Joël Espi n’a pas pu : il aurait tant aimé répondre à la tendresse du curé. Notre auteur va même jusqu’à se demander s’il aurait été l’un des fantasmes du prêtre (p. 93).

Le lecteur de « Miséricordes » est le témoin effaré d’un récit bouillonnant de doutes et de questions. Il devient, comme dans toute bonne autofiction, et thérapeute et complice de l’auteur. La position est inconfortable, surtout depuis que la presse, à propos d’un autre roman romand récent, s’est écriée que l’autofiction était un genre facile et sale. Donc, « Miséricordes », une centaine de pages d’un style soigné, lissé, d’une forme très correcte et élégante pour mieux contenir un « entre-les-lignes » explosif. Et puisque Joël est pleinement partie prenante du récit, intéressons-nous à sa personne, son personnage. Il se pose en secundo et, comme tous ces enfants nés en Suisse de parents étrangers, il est plus Suisse que n’importe quel Suisse. De ce fait, il est profondément travaillé par le désir de rester fidèle à son sang et témoigne naïvement de son attachement à ses origines. Est-il gay ? Il se pose en hétéro convaincu, sensible toutefois à la beauté masculine. Les quelques moments d’ennui que l’on trouve au cours de la lecture de « Miséricordes » touchent justement aux descriptions poussives de telle ou telle beauté féminine. Même Thomas Mann échouait dans cet exercice.

Joël Espi a-t-il l’étoffe d’un auteur ? Je serai catégorique  sur ce point et je ne peux que répondre oui ! Vous me direz que, comme pour Bovon, Mouron, Lador, Quelloz ou Ouerdnik nous nous connaissons tous. Nous avons tous publié ou publierons dans les mêmes maisons ; depuis ma dernière critique, le paysage éditorial romand ne s’est pas élargi. Pourquoi, sur la base d’un texte, une œuvre autofictive d’une centaine de pages, je peux affirmer que Joël Espi est un auteur ? Notre homme a du cran, de la syntaxe et de la réflexion. En plus des quelques ambigüités qu’il donne à voir au fil du texte, il est journaliste. Il fait partie de ce corps de métier qu’il met directement en cause dans le suicide du prêtre.

Qu’importe, Monsieur Espi, que vous soyez un catholique croyant refoulé, un gay qui s’ignore ou, même, secrètement amoureux du curé, votre talent est à la mesure de votre courage. Vous avez même brûlé la politesse à André Ouerdnik et Pierre-Yves Lador dont j’ai promis une critique des textes aux lecteurs de ce blog.

Rédigé à Berlin, Schöneberg, Winterfeldstrasse.

« Miséricordes » de Joël Espi, éd. Hélice Hélas, 101 p.

vendredi, octobre 04, 2013

"La Combustion humaine" de Quentin Mouron


Dans son dernier roman, Quentin Mouron pousse un cri d’amour à l’adresse de Proust, des Belles Lettres et de la littérature romande. Il ne livre pas la chose platement mais la distille à travers le personnage d’un éditeur genevois en vue, Morel, un homme désabusé et aigri. Certains y ont vu matière à polémique. Toutefois, Mouron, avant d’épingler les cénacles culturels, la presse, les journalistes parle avant tout de lui-même. Par le réquisitoire acéré qu’il prononce contre ce milieu honni, il se condamne en tant que membre à part entière et confesse ses fautes à ses lecteurs. Par ses macérations métaphoriques répétées (je parle de la pratique religieuse et pas d’un cornichon au fond de son bocal), il semble expier l’artificialité de la position d’auteur, la vanité de faire partie de l’élite culturelle, un attachement chauvin à un terroir, l’impuissance de l’écriture face au malheur, au mal. Mouron a l’amertume des grands sensibles. Il veut à la fois jeter le masque et, en dépit de cette inconvenance, être aimé, d’une manière encore plus vraie que les pauvres personnages de sa « Combustion humaine », qui s’envoient parmi et à travers les réseaux sociaux des « cœurs » et des « licornes ». Il est intéressant de relever que ce dernier motif, symbole de pureté, revient de manière plus que régulière ; l’auteur en fait même une fixation.
 
 
Quentin a-t-il commis quelques maladresses dans ce texte ? Si je vous dis non, vous ne me croirez pas arguant que nous nous connaissons, que nous avons publié et publierons peut-être encore dans la même maison. Qu'importe. Ainsi qu’il le dit, en Suisse romande, tout le milieu littéraire se connaît. En outre, de par sa jeunesse et son talent, notre auteur a une très belle marge de progression devant lui. Son troisième roman est certainement le plus achevé. Derrière sa confession-condamnation, l’auteur mène une réflexion et une analyse très fine de l’impact de facebook et twitter qu’il contrebalance par une observation naturaliste de la rue genevoise. On rit beaucoup, d’un rire mauvais, ce qui en rajoute à l’envie de poursuivre la lecture de ce court roman.
 
 
Quentin Mouron a désormais choisi la voie difficile et pierreuse d’une littérature typiquement romande. Fini les espaces canado-étatsuniens ! En ne situant pas son intrigue dans une bonne ville francophone quelconque mais en la plaçant sur les rives du Léman et le reste de la Romandie, notre auteur témoigne ainsi de sa volonté d’appartenance. Il cite des noms, des lieux, des circonstances tout à fait réels afin de mieux s’enraciner. Il reprend la figure du prophète local, rôle tenu par Chessex en son temps.

Une phrase du texte me semble résumer l’esprit du tout : « La véritable solitude, c’est de ne plus être cher à personne. »

 
"La Combustion humaine", par Quentin Mouron, chez Olivier Morattel éditeur.

lundi, septembre 30, 2013

Retour de Münich




Autoportrait bavarois
C’est proche des larmes que, dimanche matin, j’ai quitté Münich. Je n’avais pas précisément choisi cette destination, envie de profiter des longs week-ends que le baroque de mon horaire m’offre. Le billet pour Berlin était trop cher, l’exposition Vallotton à Paris n’avait pas encore commencé, Stuttgart et Constance sont des destinations prévues avec Cy, c’est notre proche Allemagne, notre terrain de jeu. Münich, donc, pourquoi pas. Beaucoup de touristes germaniques la fréquentent en ce moment, Oktoberfest oblige, deux semaines durant sur la «Wiese », sorte de Plainpalais local occupé par quelques vastes tentes où écluser de la bière par litres, et un gigantesque parc d’attractions dont l’éclairage multicolore allume le ciel d’une aube paradoxale.

Je connais Münich, la capitale du bon Royaume ; ses habitants y sont doux, fêtards, très catholiques, tolérants et d’un esprit curieux. Pour preuve, on trouve dans les rames du métro des publicités pour … la philosophie ! Un pantin coupe à l’aide d’un ciseau géant les fils par lesquels il était manipulé . Et comment ne pas aimer ces gens si liés à leur ville. Ils marquent cet attachement en portant le « tracht », « dirndl » pour les femmes, « lederhosen » pour les garçons. Et ça n’a rien de folklorique. Il s’agit d’un signe de ralliement à la douceur de vivre locale. Et c’est ainsi que l’on voit des cohortes de münichois d’origine polonaise, grecque, turque, portugaise, espagnole, vietnamienne, russe, maghrébine, africaine, etc. en costume traditionnel bavarois ! Des touristes ? non, ils conversaient tantôt en allemand, tantôt dans leur langue maternelle et empruntaient les transports publics sans avoir besoin d’un plan pour s’orienter.

Les Münichois sont, de plus, cordiaux et accueillants ; ils prêtent attention à autrui. Même par forte affluence, il n’y a pas de bousculade. Leur souci des autres tient du tempérament, de la règle sociale et de l’éducation. Cela va s’exprimer par de petites choses. Une troupe de bambocheurs – en culottes de peau et bas tricotés évidemment – chahutaient dans l’escalier roulant en panne d’une station de métro. Jusqu’à ce que le dernier d’entre eux, le plus turbulent, s’aperçoive de ma présence une marche en dessous et de déduire que je n’avais peut-être pas envie de passer le prochain quart d’heure à gravir l’escalier à l’arrière d’une bande de braillards. Mon chahuteur a donc pris l’initiative d’emmener toute sa fine équipe au petit trot, histoire de dégager le passage. Il en a même profité pour demander à une vieille dame qui semblait bien en peine s’il pouvait l’aider, si elle avait besoin d’un bras pour la soutenir ou d’une main pour lui porter son sac de courses.

Les Münichois ont de l’humour. Ils blaguent avec plaisir, rient beaucoup et sont d’une humeur généralement joviale. Deux exemples, attrapés dans des magasins. Alors que je regardais sur  un petit tourniquet des pinces à cravate, une vendeuse s’est approchée me demander si j’avais besoin d’aide ajoutant immédiatement que, si je cherchais une pince en or, ce n’était pas le bon commerce ! Autre situation. Au rayon papèterie d’une autre grande surface, je demande à une vendeuse si elle n’a pas de cartouches d’encre noire ? Elle cherche et finit pour trouver des cartouches « noir-brillant ». Elle reste interloquée devant cette dénomination mais commente « bon, ce ne doit pas être brillant comme avec des étoiles scintillantes dedans » puis de conclure avec un clin d’œil « ce doit être de l’encre pour les gens brillants ! »

Münich rayonne d’une jeunesse insolente, l’insolence de la beauté à dix-huit, vingt ans et que l’on rencontre un peu partout. Dirndl ou Lederhosen, le tracht fait une très belle silhouette aux filles comme aux garçons, même s’ils ne sont pas tous d’un physique athlétique. Cet éclat insouciant suscite une touche de mélancolie chez les aînés, leur donne un regard un peu triste. Une femme âgée, sur un quai de métro, d’une élégance très « bohême chic », pantalons de kimono en velours fluide  gris perle, vaste col-roulé dans le même ton, ballerines argent et bijoux en argent de grande taille, cheveux blancs, reflet gris perle, coupe mi-longue impeccable, une frange souple, un maquillage  léger, soigné. Cette femme n’a pas abdiqué de sa beauté, elle lutte dignement. Dans la rame, elle a un regard pour tous les hommes et choisit, mine de rien, de prendre place en face d’un jeune quadra blonds, beau visage aux traits réguliers, un peu de gris aux tempes, des yeux bleus expressifs. Il porte le tracht avec naturel. Il converse avec une femme qui doit être sa mère. La belle dame en gris les observe jusqu’à ce que son attention soit attirée par un groupe de jeunes filles qui vient d’entrer. Et la dame en gris de fixer avec une nostalgie d’une infinie douceur la plus fraîche, la plus fine, la plus délicate des trois amies. Souvenir ou regret de sa propre jeunesse ? Combien de fois n’ai-je pas eu et n’ai-je pas ce regard ; dans le monde gay, à passé vingt-huit ans, on est vieux, pire : transparent ! La dame en gris a relevé mon attention sur sa personne. Vite, agir, ne pas rester « la vieille qui regrette ». Elle trouve alors à tricoter un si joli compliment au quadra qu’il en rougi presque et retourne quelques paroles aimables à la dame en gris dans un beau sourire qui lui plisse les yeux. Elle et moi sortons à la même station, je lui ouvre la porte, elle me remercie et part guillerette et riante vers la sortie de la station.

Münich aime l’art, avec parfois l’application d’un bon élève. Berceau de la Sécession, elle a été à l’avant-garde avant Paris ou Berlin. L’avant-garde étant l’avant-garde, une sorte de constante pour des esprits posés et conséquents, la ville donne aussi dans l’art conceptuel, ou minimaliste, ou que sais-je, dans ce geste de création hyper-connoté, lourd d’au moins dix ans d’histoire de l’art mal digéré par « l’artiste » et vomis dans des installations ready-made aussi moches que vulgaires. Ne connaissant pas la villa Stuck, musée de la ville, je suis allé la visiter … encombrée temporairement d’une telle production contemporaine. Cela confinait à la haine de l’art, une impression cousine de la haine de la syntaxe dans le flot littéraire actuel. Les quelques visiteurs présents honoraient surtout la belle cafétéria du rez, ouverte sur le jardin. J’en suis reparti dépité et, sur le coup des 17h30, ai décidé de retourner au centre-ville où je me suis aperçu que la ville aimait vraiment l’art. Entre l’Alte Pinakothek, la Neue Pinakothek, la Pinakothek der Moderne, et quelques fondations de prestiges (Brandhorst entre autres), on trouve encore la Kunsthalle, à la Theatinerstrasse, une structure muséale entièrement privée ouverte tous les jours jusqu’à 20h ! Je connais cette institution, j’y avais découvert l’œuvre de Philipp Otto Runge (1777-1810). Cette fois-ci, j’ai pu me promener parmi les paysages de peintres du Nord, « Aus Dämmerung und Licht », un crépuscule ample et doux, quelque chose de la dignité et de la mélancolie de la belle dame en gris. Des pièces maîtresses de Severin Krøyer, Edvard Munch ou Vilhelm Hammershøi pour ne citer qu'eux. En dépit du prix d’entrée et de l’heure tardive, il y avait foule, une foule de tout âge, enthousiaste et recueillie devant chaque toile.

... Par la fenêtre du train, j’observe la silhouette sombre des arbres, paysages vallonnés sous un ciel de suie, l’extrême fin du jour, une trouée argentine à l’horizon, des prairies d'un vert sombre et velouté. Oron-Lavaux, je suis bientôt arrivé. J’ai l’impression d’avoir déroulé le long du chemin un paysage à la Caspar David Friedrich. Je suis donc de retour de l’une de mes Allemagnes; j'en reviens à présent un peu moins triste à vous l’avoir racontée.

vendredi, septembre 27, 2013

"Gérimont" de Stéphane Bovon



J’ai un scoop, Lador a un fils, un fils qu’il a eu conjointement avec Aldous Huxley ; cet enfant miraculeux s’appelle Stéphane Bovon. En bon fils, il a décidé – en dépit de son goût pour la BD – de suivre les traces de ses pères et de publier un roman, aux éditions Morattel, digne d’eux. C’est ainsi que les lettres françaises se sont vues enrichies d’une sorte de nouveau Meilleur des mondes version ramuzienne.

Gérimont débute sur un prénom incongru et un patronyme très local. Scène d’intérieur, un auteur de BD met la dernière main à son nouvel album. Le lecteur découvre le héros et le lieu de l’action, ou de la non-action à ce point du récit. Il y a juste ce léger quelque chose de décalé, les prénoms imprononçables, mais bien sûr, nous sommes dans une satire néo-voltairienne déguisée en intrigue policière. Une amorce tout à fait réaliste et le reste à gros traits afin de d’accuser – en plus du trait – le système, l’immobilisme de la politique helvétique, la stérilité d’une société efficace et si peu pourvue de créativité. N’y aurait-il pas une critique de la politique culturelle officielle ? L’analyse tombe juste avant de s’élargir à une critique des utopies politiques. Bovon imagine une sorte d’équilibre social basé sur le bon sens, le prédéterminisme et une paix forcée, une paix de plomb gentillette à la limite de Huxley et Ramuz.

Notre auteur est un humaniste éclectique et gourmand doublé d’un pédagogue passionné. Il parle peinture avec amour, en amateur éclairé. Il nous offre un petit Picasso, le cloître de la cathédrale de Barcelone, une œuvre de jeunesse, propriété du Musée Jenisch, à Vevey. Il profite aussi de ce roman au souffle épique pour nous expliquer son travail de bédéiste, pour brosser un historique du 9ème art, planche à l’appui (expliquées et non reproduites). Et c’est ainsi que l’on apprend l’importance de l’ellipse, et quelques autres ficelles de la narration. Bovon est un miracle de la culture vaudoise, une perle, un doux enragé comme il en arrive parfois. Gérimont, œuvre singulière, mérite votre lecture, votre admiration et votre affection.

samedi, septembre 21, 2013

Bienséance


Il y a … quelques années de cela, en 2008 pour être exact, je publiais un essai autofictif intitulé « La Dignité », la petite somme extrapolée d’échecs et de vexations, d’une certaine violence aussi, celle que j’ai subie et dont j’ai été l’auteur. N’oublions pas que le Verbe peut tuer aussi sûrement qu’une balle, un couteau ou le shoot de trop ! La littérature est un thérapeute attentif, un soutien bienveillant, une révolte constructive, un défouloir créatif mais gare à la complaisance ! L’humour et l’élégance de la plume pallient bien souvent le manque d’égard du propos. On fait avec cela de bons, de très bons  livres. Ce n’est toutefois pas une posture plaisante ni durable. Je ne regrette pas la moindre ligne publiée, ni le moindre billet de ce blog. Les « victimes » de ma plume avaient mérité son trait … avaient, l’affaire est passée et, depuis, je travaille à la construction d’une œuvre. J’espère ne pas avoir perdu le style. Je ne crois plus aux vertus de la catharsis.
Je me souviens de ma vénération pour Hervé Guibert, le bel auteur évanescent dont j’admirais le courage, l’audace et les romans à fleur de vie ; mon admiration s’arrêtait là, je préfère les garçons bruns. Bref, depuis Guibert et son « élégant » déballage (Mes Parents, Fou de Vincent, L’Incognito, À l’ami …), il y a eu Thomas Bernhard, l’immense Thomas Mann, Robert Walser, François Mauriac et le merveilleux Julien Green. Si je dois immédiatement penser à UN ROMAN, j’hésiterai entre Les Buddenbrook (Mann), Chaque Homme dans sa nuit (Green), Le Désert de l’amour (Mauriac) ou Les Enfants Tanner (Walser), des œuvres narratives intemporelles. Des œuvres dures par certains aspects mais qui, jamais, n’outrepassent la bienséance. Voici une ligne dont la littérature francophone contemporaine bien souvent s’éloigne.
Je viens de terminer le récit d’une prise de conscience, un héros à la vie réglée, un homme qui reste à la surface des choses, un roman berlinois, un après-midi d’été pesant et l’aveu d’un échec, pire le constat d’un abandon complet : déréliction ! Pas d’effets, pas de scène de beuverie, pas de bacchanale, pas de récit à clef, pas la moindre évocation de drogue, rien que des personnages qui se manquent, un bout de vie, une morale et une chute. Un texte si loin du « main stream ».

mardi, septembre 10, 2013

Le livre sur les quais : débriefing


Vendredi 6 septembre, début d’après-midi, je me faufile en prenant par la coulisse. Je longe le quai, entre par une bâche ouverte et me coule à ma place. Le matin, j’ai tweeté avec Tatiana de Rosnay,  la présidente d’honneur de l’édition 2013 du Livre sur les Quais. Je suis aussi passé à l’accueil prendre une grande enveloppe avec tous les renseignements nécessaires. Je retrouve, à ma droite, l’admirable Pierre Queloz et ses polars en alexandrins. Personne à ma gauche, encore,  et Olivier Sillig à la gauche de ma gauche, poignée de main. Un bénévole vient me souhaiter la bienvenue avec un beau sourire.
Les auteurs reviennent de leur pause déjeuner, les visiteurs se font plus nombreux. André Ouerdnik vient occuper la place vide à mon côté, nous faisons connaissance. Nous avons publié tous deux chez Castagniééé du temps de Castagniééé. Le charmant bénévole nous offre de l’eau minérale ; il commence à faire chaud, je porte une chemise à carreaux, cravate grise, veste d’été bleu marine. Olivier et André portent aussi des chemises à carreaux. Nous sommes assortis. Quelques dédicaces, des échanges plaisant  avec des visiteurs, pause.
 
Je reviens vers 17h15 et Olivier Sillig s’exclame « Mais tu t’es changé !!! » Euh, oui, effectivement, c’est un peu par coquetterie mais plus encore par sens pratique. Je suis allé me faire tirer le portrait au stand de l’association des Autrices et Auteurs de Suisse et le carreau, ça sature un peu. J’explique à Olivier que j’habite à 150 mètres de notre table de dédicace. Rires. On parle littérature entre nous et avec nos lecteurs. J’envoie un sms à Cy, lui dire que je l’attends à 19h, qu’il me rejoigne, pas envie de passer la soirée officielle en célibataire.
 
18h45, les premières « huiles » se montrent, Mme Waridel en tête qui salue Olivier, André, nous bavardons un peu, elle poursuit par Pierre et Pierre-Yves Dubath, presque au bout de notre rangée. Les très séduisants attachés de presse des grandes maisons françaises commencent leur discret ballet, se rapprocher de la tribune, du pouvoir. Je me demande pourquoi les attachés/ées de presse sont toujours si … apprêtés ? Cy. arrive, magnifique, élégant, emmené par Stéphane Bovon. Je passe de l’autre côté de la table. Les jolis attachés de presse bouffent Cy des yeux, un photographe de l’équipe du Livre sur les quais s’empresse de le prendre en gros plan. Je me dis avec amusement que je devrais envoyer le petit défendre mes textes à ma place, mes romans auraient peut-être plus de succès ?!
18h55, Tatiana de Rosnay et Sylvie Berti-Rossi se fraient un passage jusqu’à la tribune. Je me présente en « live » à Tatiana qui, même si elle est pressée, s’arrête tout de même me serrer la main. Elle me remet, le tweet de ce matin, elle doit pourtant en recevoir des dizaines. La dame est vraiment charmante, naturellement élégante, fine, vive et immédiatement sympathique. Surgit une autre belle femme de la foule qui m’attrape et m’étreint énergiquement : Nuria ! Mme la conseillère Gorrite est de la partie. Je ne l’espérais pas. Les discours s’enchaînent, le ton est léger, le verbe concis. Sur la fin de cette partie officielle, comme prévu, je vais me rappeler au souvenir de Vincent Jacques, le syndic de Morges, nous étions voisins quand il était enfant. Je me souviens d’un petit garçon plein d’esprit et d’entregent. Il n’a pas changé, ou si peu. Je profite d’un moment lorsque Anne-Catherine ne se trouve pas trop entourée pour m’approcher lui offrir un exemplaire de « Tous les États de la mélancolie bourgeoise », elle me lance un « Toujours aussi élégant ! ». A peine le temps de rédiger une dédicace que quelqu’un l’interpelle ; les obligations d’une conseillère d’Etat. Je m’éloigne, Cy. m’attend près de la sortie. Il fait bon, le ciel semble se couvrir un peu, un cocktail nous est offert au club nautique.
Belle soirée, beaucoup de rencontres ; que les écrivains peuvent être drôles autour d’un buffet, pratiquant l’équilibrisme avec un morceau de pâté, un verre de rouge et une verrine. Madame Berti-Rossi est une parfaite hôtesse. La nuit souffle une haleine tiède sur le lac, ressac insistant et quasi méditerranéen, Cy. s’amuse et joue un peu à cache-cache avec l’un des attachés de presse, innocent marivaudage. Dans le hasard des groupes qui se forment et se défont, nous terminons la soirée avec Nuria et Olivier Feller. Ils forment un très beau couple, se complétant, se donnant la réplique. Nous rentrons peu avant l’orage. Je suis rompu. Je n’ai pourtant pas l’impression d’en avoir beaucoup fait.
 
Samedi matin, 10h30, je suis en retard. J’hésite … quant à ma tenue. Tout à l’heure, table ronde animée par Pascal Schouwey avec Quentin Mouron, Pierre Bordage et Marc Quentin Szwarcburg. Je me souviens : j’ai promis d’y porter mon pantalon rose Ralph L***. Je passe le vêtement et file. Je prends mon sac de sport avec moi, j’irai au fitness durant la pause déjeuner. La tente où l’on dédicace est bondée, je slalome et retrouve brièvement « les collègues ». A mon grand étonnement, je vends, à ceux qui ont entendu parler de moi et à d’autres emballés par le titre de l’un ou l’autre de mes textes. 11h30, visite de ma mère, descendue en ville tout spécialement pour me voir, elle évite la foule du samedi habituellement. Nous partons à la recherche d’Yvan Bourquin avec qui elle a travaillé à la bibliothèque universitaire, un homme exquis et doux, docteur en théologie. Il vient de publier « Quel Dieu pour nos souffrances ? », petite mise au point théologique lumineuse. Nous le trouvons installé à côté de … Suzette Sandoz. Après un café à la buvette, je laisse ma mère au bout du quai, direction le fitness.
Retour à la tente, conversation, rires, un peu de promo’ pour le travail des voisins, visites d’amis, dédicace à une visiteuse étonnante, une dame à particule, comme la présidente, une dame en rouge qui, lorsque que je lui explique le propos de « Tous les États … » me rétorque : « J’ai passé ma vie à lutter contre le lénifiant, le gentillet, la facilité ! ». Le temps d’une tasse de thé chez Maier et je file à ma table ronde. J’y arrive pile à 16h30, on m’attend. Oups. Et c’est parti pour « Décaper la surface ». Pascal Schouwey est un modérateur de haut vol, chapeau l’artiste qui a réussi à nouer la gerbe avec des auteurs aussi différents que nous pouvons l’être. Je découvre Pierre Bordage, auteur de SF d’une immense culture littéraire, d’une belle sagesse aussi. Je ne connaissais pas Marc Quentin Szwarcburg non plus, je le connaîtrai un peu mieux après lecture de son « Première ! » que je suis passé lui acheter. Et je ne vous présente pas Quentin Mouron.
J’ai terminé le samedi sur les rotules, c’est fou ce que la stimulation littéraire peut fatiguer son auteur. Il y a eu un buffet dans la cour du château, j’ai pique-niqué avec Stéphane Bovon, Pierre-Yves Lador, André et quelques autres. La fatigue ne se faisait pas sentir que chez moi. Je suis rentré tôt et incapable d’émettre plus de trois mots jusqu’à mon coucher.
Dimanche, dernière ligne droite, déjeuner au Mont-Blanc avec toute la clique Hélice Hélas. Un beau moment tous ensemble. On semble de moins bonne humeur à la table de Luc Ferry. Dans l’après-midi, je retrouve André avec une petite mine ; à propos de mine, il s’en est pris une belle la veille ! Je l’avais laissé dans la cour du château en compagnie d’une charmante petite autrice blonde de chez Lattès. Une dernière obligation, j’ai promis un exemplaire de « Tous les États … » à Mme de Rosnay. Je m’approche de la queue de lecteurs défilant à sa table et lui tend le petit volume orange. « Ah, enfin ! » me dit-elle avec un air mi taquin, mi amusé, « … vous m’avez écrit un petit mot ? » Je réponds par l’affirmative, elle glisse l’objet dans son sac.
 
Bilan. J’ai passé trois jours formidables et suis revenus avec une pile de livres, ceux des amis et de plein d’auteurs que je ne connaissais pas, et vivant de plus. Ça me changera de Mauriac-Mann-Morand-Green, etc.  J’ai de quoi remplir ce blog pour les six prochains mois, au moins. Vous aurez un billet sur chacun de leurs ouvrages.

vendredi, septembre 06, 2013

Des "Krimi" et d'autres considérations sur mon oeuvre à la veille du Livre sur les Quais



scène de commissariat, Derrick
Le plaisir des après-midis à suivre des « krimi » : Derrick, Un Cas pour deux, Le Renard, etc ; un plaisir ni régressif ni décalé. Je regarde ces séries pour leurs vertus, on y montre un monde en recherche de réponses, de morale. Il y a aussi une atmosphère particulière, des couleurs en demi-teinte, rien de prétentieux, parfois une vapeur mélancolique. Il s’agit d’un divertissement sain, je veux dire par-là qu’il ne vous laisse pas la tête à l’envers, qu’il ne cherche pas à étourdir et qu’il ne sert aucun système nombriliste. Le dénouement de l’intrigue, le bien commun, la vérité, une certaine repentance : un univers post-mannien (pour Thomas), un univers qui me parle. J’essaie de le rendre à travers mon œuvre, un travail littéraire … difficile. Oui, j’ai de la syntaxe et du vocabulaire, je ne crois pas beaucoup à l’intrigue, je trouve les rebondissements fastidieux et artificiels et je soigne la musicalité du texte. J’ai beaucoup pratiqué l’autofiction, c’est toutefois un genre qu’on épuise vite, aussi vite que la jeunesse.
Je ne sais pas trop à quoi ressemblent mes lecteurs, ils ne sont pas légion. Je ne devrais pas le dire et encore moins l’écrire, je me suis du reste quelque peu brouillé avec un ancien éditeur à ce sujet, « Tu ne peux pas dire que tu te désintéresses de savoir si tes romans se vendent ou pas ! ». Lorsqu’ils ne se vendent pas, je le regrette pour l’éditeur  mais je n’en suis pas fondamentalement troublé. Comme tout auteur, j’aime être lu, j’aime surtout apporter un supplément d’âme à mes lecteurs mais je ne fais pas de marketing, pas de retape excessive, je ne fais que de la littérature. Mon œuvre – oui, je travaille à construire une œuvre – trouvera toujours son chemin lorsque le mien se sera arrêté. Et demain, je vais rester assis derrière une table, en très bonne compagnie assurément, je converserai un peu avec mes voisins s’ils ne sont pas trop occupés à dédicacer et, peut-être, verrai-je l’un ou l’autre de mes lecteurs.

mardi, septembre 03, 2013

"Jeune et Jolie" ou comment se bien vendre


Marine Vacth
Si je savais me vendre … Si j’avais encore cet à-propos badin … Poser, parler de soi en mine de rien, juste l’air de ne pas y toucher, et glisser les fausses questions ingénues, « que vais-je mettre pour la table ronde ? » ou « vais-je offrir un exemplaire à Mme la conseillère, un petit mot sur le vif, à l’occasion de la soirée officielle », et les séances de dédicaces, et le dîner des auteurs, et vite lire le texte de X, le roman de Y, le dernier succès de Z, bof. Je vais en profiter pour acheter le dernier Lador, Chambranles et embrasures, cher Pierre-Yves, cher ami à la faconde baroque, et planquer l’objet avant qu’il ne disparaisse, comme tous mes Lador, en promenade de-ci, de-là à travers la bibliothèque des amis. Pour la table ronde, je vais mettre mon pantalon rose, Ralph L***, acheté à Copenhague, du Ralph L***, ça fait toujours fils de famille bien avec lui-même, exactement le propos de mon essai – « Tous les États de la mélancolie bourgeoise » au cas où vous l’auriez oublié – et j’irai échanger quelques mots avec Mme la conseillère et M. le syndic, on se connaît, d’il y a vieux temps.
Je ne sais pas me vendre, je sais toutefois reconnaître un bon film, « Jeune et Jolie » de François Ozon. Le propos semble banal. Une jeune fille, très belle, vend ses faveurs. Son commerce est découvert alors que l’un de ses clients meurt auprès d’elle. Déjà vu. Mais Ozon, le petit récit sous-jacent, une façon de partager l’intimité de ses personnages, des êtres d’exception. Isabelle, incarnée par la sublime Marine Vacth, ou la jeunesse d’une déesse. On retrouve presque entre Isabelle et son frère Victor (Fantin Ravat) la complicité de Paul et Élisabeth, les héros de Cocteau dans ses « Enfants terribles ». Isabelle découverte se révèle à ses proches, dans toute la puissance de sa jeunesse, de son non-conformisme, de sa beauté, de sa sagesse sibylline, sorte de Diane impudique. Charlotte Rampling dans le rôle d’Alice, la veuve du client décédé, vient parachever le film, un rôle de dix minutes, mais une présence qui va bien au-delà.
Pourquoi Isabelle se prostitue-t-elle ? Pour l’argent ? Par goût du sexe ? Par effronterie ? Par indépendance ultime ! Elle s’appartient et sait se vendre, elle, au meilleur prix. Elle a la vie devant elle, et ne se presse pas de répondre aux questions propres à son âge.

vendredi, août 30, 2013

Un certain parfum


Mieux que saint Paul, accoster le bon rivage.
La mémoire passe par le nez, souvenirs diffus, indicible haleine du lac au tournant de la saison, un parfum à la fois vivant, chaud et vert. Le long des quais, après avoir passé le temple, se joignent quelques notes florales déjà mûres. En point de mire, j’aperçois la colline d’Échichens. Le jour décline à peine, une lumière dorée-claire vient renforcer le parfum, réminiscence. Qu’importe la période exacte, ni âge, ni date mais une connivence … immémoriale ! Je suis bien de retour à Morges.
Nul n’est prophète en son pays, dit l’adage ; je le serai quand même un peu la semaine prochaine, Le Livre sur les Quais, le salon des auteurs qui se déroule à Morges, sous mes fenêtres, un salon auquel j’ai été convié parmi des brassées d’auteurs talentueux, connus et reconnus. J’y suis convié pour mon dernier essai, Tous les États de la mélancolie bourgeoise, dans lequel je n’en finis pas de liquider l’enfance, les origines, le milieu, etc. Il s’agira d’être présent, faire des dédicaces, participer à une table ronde, « décaper la surface », à la Fondation Bolle. Suis-je un auteur abrasif ?
Cette promenade, au bord de la fatigue, au bout de l’été, les canards en pleine toilette, les plates-bandes luxuriantes, les arbres au feuillage dense, le tableau et l’instant, tout n’est que douceur, et je la perçois parfaitement, la moindre fibre de ma personne y goûte profondément. La production d’écrits acerbes me serait-elle curative, une manière d’évacuer l’acidité ?