jeudi, octobre 25, 2007

La plage en novembre



Il faut passer au-dessus de ce léger sentiment de captation, temps volé, contrainte et autre, sans oublier la politesse des formules impersonnelles, à peine péremptoire, lisse, un peu froide ... Reprendre les si bonnes habitudes de la confidence inopinée, du mot - oups - de trop, j'en ai bien le droit, je suis un auteur !
L'écriture n'est pas qu'un viatique administré à l'âme crevant de souvenirs; elle est un geste leste comme un coup de rein, calculée et innée comme le bond d'un félidé, savoureuse et délassante comme un bâillement. Je l'associe à ma "pérégrinite" chronique qui, lorsque je n'ai pas visité telle ou telle ville, me projette des vues, des promenades, des situations données comme autant d'appels hypnotiques. Je ferai mieux de parler de fuite, d'une sorte de psychose qui me fait fuir "le pays" afin d'en supporter le séjour. Je peux cracher dans la soupe -surtout quand elle est plate - je suis un auteur, j'en ai le droit, voire le devoir. Je dois tendre ce fameux miroir à mes contemporains trop habitués à se mirer dans celui aux alouettes, un cadeau de la classe politique cantonale dévoyée.
Mon Dieu, ce blog, mon année jubilaire (dix ans de baptême catholique, cinq de confirmation), la reconnaissance officielle de mon travail (la bourse à l'écriture), le chantier de mon portail gay, le projet du parti de la Dignité, le mobing, mon affaire, mes presque six semaines à Berlin, les petites vexations que m'a imposées l'administration vaudoise, et je n'oublie pas C. ni des lectures fondamentales telle que celle du "Meilleur des mondes" de Aldous Huxley, ni mon élection à la présidence de l'Association Vaudoise des Écrivains. L'année pourrait s'arrêter demain, j'ai rempli 2007 au-delà de la mesure et la mue n'est pas terminée.
Il y a une année de cela, je vivais dans le ralenti contemplatif d'une convalescence, les suites d'un burn-out, le collège de C. patelin vaudois où vécut Mme de S., nymphomane ennemie du peuple et fille d'un prévaricateur de l'Ancien Régime, tout le charme discret du délit d'initié qui vous permet de vous construire un château à léguer à sa littérateuse de fille. J'aurais dû me méfier et ne pas me compromettre dans ce village de peu de morale, berk. Qu'il est regrettable que Bonaparte n'ait pas réglé son sort à la grosse (la dame lettrée et nymphomane n'était à tout point de vue pas très fine). Ah, on va encore s'exclamer que j'ai un avis ! et oui, et de la jugeote aussi, assortie de suffisamment de répartie pour emporter le suffrage de mes élèves.
Et parmi le flot de mes affaires diverses, entre les programmes d'histoire et de français, l'ordre du jour du prochain comité de l'AVE, les manuscrits, les contacts avec les éditeurs, et l'affection de C., je ne peux m'empêcher de penser à ma prochaine escapade barcelonaise. Respirer, oui, respirer avec cette note poignante mi-larme, mi-sang dans les narines, le vrai parfum de l'émotion, le mélange détonnant de l'ailleurs, du souvenir, de la commémoration et de la liberté pour une quarantaine d'heures, un week-end que je ne perdrai pas à Lausanne.

lundi, octobre 08, 2007

En bonne voie


J'en avais presque oublié le chemin ... Il faut dire que j'ai passé une semaine chez Ch., dans son charmant rez-de-chaussée un peu frais mais tranquille, une semaine libéré de mes chaînes internautiques, du téléphone et du brouhaha télévisuel. Il y avait le silence de la nuit, le tambourinement de la pluie sur le feuillage des arbres de la cour, Chopin, Saint-Saens, Rameau et David Foenkinos, un jeune auteur divertissant qui, avec "Le Potentiel érotique de ma femme", a commis une sorte de double inversé au terrible "Mars" de Fritz Zorn. J'avais emmené ce second dans mon périple, de la prospection professionnelle en terre germanique, retrouver un peu de cette culture subtile, carrée et réconfortante pour une semaine de paix, une manière de renouer avec mon séjour estival de près de six semaines ... La prospection est tombée - un peu - à plat; au lendemain de mon arrivée, un établissement scolaire lausannois me téléphonait pour me confirmer un remplacement de longue durée, français et histoire, avec des classes en voie baccalauréat.
J'en avais presque oublié le chemin, ce blog, mon intimité avec mes lecteurs, même les plus mal-intentionnés, de ceux qui, au hasard, me lisent depuis le petit village vaudois de C., où vécut Mme de S. Ils sont mes contempteurs, pour dire plus exactement, mais le terme a trop de superbe, c'est faire trop d'honneur à ces miséreux de l'esprit, ces pauvrets "myope des yeux, myope du coeur, myope du cul" comme dirait Katia, le travello du "Père Noël est une ordure". J'ajouterai avec une pointe d'orgueil - pour la gouverne de ces braves gens - que mes pairs m'ont démocratiquement élu ce samedi à la présidence de l'Association Vaudoise des Ecrivains, une docte assemblée fondée, entre autres, par Ramuz, dont Pierre-Yves Lador, Jean-Michel Olivier et bien d'autres auteurs sont membres aujourd'hui. Il se trouve que le canton n'a pas encore totalement sombré dans la médiocrité évangélique ou l'extrémisme unifié démocratique et central. Il se trouve que je ne suis, Dieu merci, pas un homme de lettres perdu au milieu d'un désert social et que d'autres comptent sur mon énergie (et ma colère aussi) pour relever l'étendard de la liberté de penser, de vivre et d'être ...
J'en avais presque oublié le chemin, la confession tardive, les petits rien sensibles que l'on a envie de faire partager. Je ne suis pas seul ce soir, il y a Cr. endormi à côté de moi ... Il ne se retourne même pas, la lumière de l'écran ne semble pas le déranger; c'est un garçon patient et délicat, parfois un peu sauvage qui ne se laisse pas démonter par les piles de livres qui encombrent le passage, les nombreux articles qui me retiennent derrière le clavier, l'évocation des projets, mes gérémiades contre truc pour sa prise de position, contre bidule qui ne donne pas suite au nom des éditions chose, contre machin qui depuis la forteresse de son administration n'a toujours pas obtempéré ... Je crois qu'il est amusé. En quelques semaines, sans grand discours, il m'est devenu le soutien le plus solide ... Il ne bronche même pas lorsque je m' "enfuis" ici ou là pour quelques jours; il s'arrange simplement pour passer me prendre à la gare à l'heure de mon retour.




mardi, septembre 25, 2007

Pas plus de 25 ans


Petite pluie comme au joli temps de l'innocence internautique, quand il ne fallait pas traîner truc, chose et machin, et machin-chose de l'autre côté de l'écran. Ni mieux ni pire, tout est juste différent à part le délicieux bruit des pneumatiques d'une voiture solitaire dans la rue ... A tout bien considérer, je suis un indécrottable passéiste. C'est ainsi que je retourne aux "bonnes vieilles" séries allemandes parce qu'elles me racontent une logique, un monde disparu; le crime y a toujours quelque chose de noble, si loin, bien loin de la mauvaise compagnie des mois passés. Les impers, par exemple, dans ces séries, ont un je ne sais quoi de fabuleux, on dirait des capotes militaires rendues à la vie civile et tout empesées des horreurs de la guerre. Cette fameuse, la seconde, il a tant fallu batailler pour la faire un peu oublier et aujourd'hui elle est une sorte d'anecdote bravache, un temps béni où on faisait "bien"; on vient de réhabiliter Staline ...
J'entends le temps, je l'entends s'égrener, s'égoutter, glisser ... J'entends son échos ancien, les veillées, la littérature, la bonne télévision et j'ai vingt-cinq ans. Comme les non-héros de mon autofiction, j'ai vingt-cinq ans, je les aurais toujours, trente-deux peut-être d'ici quinze ans. Ce n'est pas moi qui le dit, ce sont mes jeunes amants de vingt ans, ça les rassure et ça me flatte ! C. n'est pas plus âgée, l'air de Berlin conserve, le feu de la bataille et les confidences nocturnes, la gourmandise, la mignardise, l'aimable confiserie dispensée avec grande parcimonie sur les conseils de mon éditeur, de mon agent, de mon délégué syndical et de quelques autres. Il paraît qu'à vingt-cinq ans, on a mieux à faire : jouer à Thomas Mann par exemple ou promener le Greg, le vieux cocker de Cr., un animal agréable, obéissant qui aime se rouler sur la carpette devant le lit avec contentement. Je ne regrette pas même que le Greg ne soit pas un grand caniche (le chien du grand Thomas lorsqu'il vivait en Californie). A vingt-cinq ans, on commence à se choisir un état - c'est fait - et on entre en relation avec les bonnes personnes - c'est aussi fait.
Je n'ai pas vu filer 2007, une saison inégale, un rien tourmentée avec de belles éclaircies. Il faudra que je retourne voir la mer en novembre et que je garnisse un arbre pour Noël, quoiqu'il arrive, parce que dans mon monde, on aime la Méditerranée hors saison et les fêtes de famille à connotation religieuse. Parmi les gens de bonne compagnie, on laisse passer le populisme, la vulgarité, l'irréligion et quelques autres vices des gens dits de pouvoir. Quand on a vingt-cinq, on regarde avec pitié ces jeunes vieux s'agiter mais on a déjà suffisamment de bon sens et encore assez de hargne pour ne pas tomber dans une indifférence molle et charitable. Les jeunes vieux et les vieux vieux disent que cela passera avec l'âge mais cela fait déjà plus de douze ans qu'ils déchantent.

dimanche, septembre 09, 2007

Samedi soir


J'observe les murs jaunis, renversé sur le lit, les objets, le satin fatigué du fauteuil, les tableaux aux murs comme si je les découvrais... Il suffirait de choisir ? Rien ne vaut le silence, à peine traversé par le battement d'une horloge, tout le familier charmant, les menus détails qui témoignent si bien de l'intimité. Je ne parle pas de ce genre papier-glacé-catologue-Ikéa-Maison&Jardin-Elle-Déco-pouffe-pédé-mode. Je pense à l'appartement de ma grand-mère, le mien y ressemble : deux pièces, des rituels domestiques et parfois un murmure ou le coup de fil à un proche. Il y a cette normalité assoupie, la douceur du temps accumulé.
Je reviens de la réunion du comité des Archives Gaies de Suisse. N'en déplaise aux culs pincés et à l'hypocrisie homophobe, dans ce pays on honore et respecte aussi la culture gay. On étudie même, décortique et met à jour les mécanismes de domination morale petit-bourgeois à travers les études de genre. Il ne s'agit pas de choisir entre "gayland" et l'appartement de grand-maman ... Des forces réactionnaires et irrationnelles sont à l'oeuvre, aussi verbeux que l'expression puisse paraître. Nous (je+communauté gay+autres minorités) ne pourrons pas faire l'économie d'un combat ... d'une lutte d'opinion, il va sans dire. Alors que j'écris ces lignes, je me souviens d'un certain sourire satisfait, mauvaise denture, vieille face chiffonnée, un très léger défaut de prononciation, des cheveux un peu trop rares et ce mauvais rinçage des salons de coiffure de province qui moire de mauve les cheveux gris. L'animal se reconnaîtra s'il me lit. Il fera mine de ne pas comprendre, prendra pour lui-même des airs faussement désolés et ne pourra s'empêcher de rester confusément inquiété.
Il a raison d'être inquiet car, "Monsieur, là où votre nom finit, le mien commence !" dixit Voltaire. Il y aura toujours des carrelages à damiers familiers et rassurants dans de discrètes entrées de service, il y aura toujours la puissance disproportionnée de la musique de Wagner mais pas de répit pour les pense-menus réactionnaires. Accessoirement, j'ai appris que ce pauvre Henri Guisan, notre général, était l'otage de son état major. Ce n'était apparemment qu'une pauvre coquille vide souffrant de Parkinson, nommé au commandement suprême en raison même de sa vulnérabilité. Faudrait-il y voir une généralité ?

dimanche, septembre 02, 2007

Les oubliés, les disparus et les autres



Une fois de plus, je reste subjugué par le ciel immense qui se déploie depuis mes fenêtres, de ce couchant qui n'en finit pas, de la moire du lac, de l'embrasement des crêtes du Jura, l'ouest vers lequel file immanquablement le jour. Il y a peu, je parlais de la vue que l'on a depuis le pont Chauderon, ce fameux couchant, le même dégagement, le même feu, la même fascination que sur le "Warschauer Brücke". Je poursuivis le parallèle et, puisque l'angle de vue est le même, à la même heure, Berlin se trouve dans cette direction et j'indiquai l'ouest ... P. se mit à rire, en corrigeant que Berlin se trouvait de l'autre côté... Depuis le pont Chauderon, je ne regarde pas Berlin, Berlin m'observe, c'est un révolution copernicienne. En quoi le théâtre de la vie lausannoise pourrait intéresser Berlin ... ma Berlin, que mon dernier séjour me manque. Je viens de recevoir un courriel de C., elle me l'aura envoyé depuis l'internet café Treffpunkt 6, sur la Weitlingstrasse. J'ai l'impression qu'il s'est passé trois mois déjà ...
Les "grandes manoeuvres" m'ennuient, la mise au point de stratégies, les tractations discrètes voire mêmes secrètes me laissent interdit et abasourdi. Il y a aussi la gestion du portail, le média internet gay leader en terre romande et ... Eric de Montmollin, connaissez-vous cet auteur ? Il fête cette année ses cent ans. Il écrivit sur la Chine, il y vécut, y enseigna. Cet homme, comme le disait un peu pompeusement l'un de mes camarades du comité, " ... a donné plus de quarante ans de sa vie à l'association vaudoise des écrivains", il en tint la présidence et je n'avais jamais entendu son nom, ni lu une ligne de son oeuvre, je vais pallier à ce manque demain, j'irai travailler un peu au Palais de Rumine, la salle de lecture et les quotidiens internationaux sur la galerie de gauche.
Cr. est endormi sur le canapé du séjour, derrière moi, je travaille installé au secrétaire. Je viens de mettre de l'ordre dans les fichiers photographiques : Bernau, Rostock, Berlin, l'appartement de J. à Berlin, Lichtenberg et tout ce que je pus faire durant mon séjour. Tant de riens, les promenades, le temps qui passait, Chopin dans la grande salle chez C., la lecture de Walser (un autre oublié), "Die Geschwister Tanner" fut du reste écrit à Berlin ... Je pourrais partir demain, retrouver ces ombres plutôt que me laisser disperser par la médiocre agitation de la "scène lausannoise".

samedi, août 25, 2007

Graffiti


A l'époque quand les femmes portaient du rouge-à-lèvres trop rouge et trop parfumé, il y avait des p'tits marlous rockers avec des écharpes écossaises autour du cou. On ne savait pas encore la suite, on ne connaissait rien d'un certain cancer de la prostate. Les après-midis finissaient dans le chocolat froid, des couchers automnaux infinis et des certitudes tout aussi confuses que les lendemains. Des murs et des rideaux sont tombés, la perfide Maggie en a fait la gueule et l'amour se trouvait au coin de la jungle, après la voie du chariot.
Encore ... et toujours vingt ans, parce que le chiffre est rond et qu'il n'y avait, encore, pas de disparus. La vie était plus facile à porter; on courait à travers avec l'aisance d'un chien fou et l'avenir comme un vaste salon, profonde moquette beige, TGV, Paris, Catherine et Jean-Paul. Victoires et galeries Vivienne ! Pour Catherine, il faut dire Catheriiiine en se pâmant à demi. Depuis, on a bien été trompé. Le confort des colonies, les soirées de juillet et la revue de minuit sont passés au passé. Les Champs by night, le bras royal sur la portière arrière, glace baissée, l'après était encore digne de l'avant sur les flans du vallon.
Je suis indéniablement un homme du siècle passé mais d'un siècle qui croyait en l'avenir. Je garde donc une longueur d'avance ... Il serait si facile de sombrer dans le geignard. Il ne faut pas cesser de croire à l'arrivée de calmes héros qui, mine de rien, viendront sauver une certaine idée de l'avenir, de la société, de la démocratie dans le parfum léger de l'adoucissant, un peu de circulation, sur fond de clochers sonnant midi.

mercredi, août 22, 2007

Travail de bureau


Au risque de tout perdre, je préfère rédiger mes messages directement en ligne, en mode brouillon soit, mais à la merci du premier couac electrico-informatico-internautique; la communication serait coupée et le texte perdu ! Je n'ai jamais eu peur de ce genre de "risques", cela fait partie du métier ... L'autre soir, j'ai pris un verre avec P.M., mon éditeur. Il me disait avec satisfaction "être devenu" un auteur à part entière : il a récemment reçu des insultes (anonymes, il va sans dire). Il a pensé à moi, à mes pauvres contempteurs, et aux autorités dont je dépendais, qui "se mordaient la queue" en quelque sorte; la même administration capable d'un côté de reconnaître mon travail et, de l'autre, de m'en faire grief ! Fabuleux, soviétique, kafkaïen, walsérien, helvétique, très vaudois !
Dieu que je connais cette terre, et trop bien ... Je la voudrais un rien plus surprenante, je me dis paresseusement qu'il adviendra forcément quelque chose, qu'un Bonaparte local se lèvera et je le suivrai, ou une vraie cause, un projet fou et fantastique, un rien inutile et très subtil à la fois; on viendrait alors me demander d'y participer, forcément ... Rien. Et toujours ce panorama à la Hodler, le lac, les nuages ineffables, le bruit de la ville, le vent sur la campagne, jusqu'au donjon du château de Vufflens que j'aperçois sans peine à l'oeil nu au-dessus de Morges, depuis mon phalanstère d'une avenue éponyme. Je pourrai laisser filer la journée depuis mon lit, "mon vrai bureau", de la sorte. Entre les plateaux, les livres, les notes, l'ordinateur ... Une vie, ça se dirige souverainement depuis ses appartements privés, sa couche. Tout le reste tient de la parade. Ou de la campagne militaire.
Je mets un point d'honneur à cultiver cette "paresse" de surface et réponds ostensiblement "rien" à la question " ... que fais-tu dans la vie ?". En général, cette demande n'est que rhétorique, une vague amorce au cours d'un échange de drague. A ce rien, je fais suivre quelques propos prompts à initier un rapprochement physique avec le questionneur, propos que la décence (et la pudibonderie d'un lectorat non averti) m'interdit de reproduire ici. Je peux juste vous confirmer leur efficience puisque l'affaire se conclut "au bureau".


dimanche, août 19, 2007

Temps ordinaire


Je n'aime plus Lausanne, vieille histoire faite de rendez-vous manqués et de malentendus ... Toutefois, je me suis découvert attaché au quartier de Prélaz, à la paroisse Saint-Joseph, à mon vieil appartement "de poupée". Le quartier n'a rien pour lui, un fouillis urbain délaissé, traversé par une route cantonale et un traffic mal maîtrisé. Pourtant, lorsque je porte les yeux sur le paysage de ma fenêtre, je vois ce tas de "baraques", de "clapiers" préfabriqués, de hangars surmontés d'un ciel de gloire, d'une fabuleuse perspective. Je ne veux plus de la beauté facile et dévoyée des "beaux quartiers", de ce chic banal ...
Cela fait longtemps que je sais voir ce que la plupart ne remarque pas; je n'ai que peu de mérite ... Il s'agit d'une vertu propre aux minorités. Puis il faut passer outre, et l'autre, le tout autre, sans devenir pareil, devient un prolongement baroque de soi. Vous n'imaginez pas ma joie à retrouver le bâtiment "New Age" de la paroisse Saint-Joseph, et le curé, les bancs trop étroits et mes co-réligionnaires, les gens du quartier que je connais de vue, à force, à qui je donne parfois la communion. Un étrange sentiment de chez soi.
C'était la première fois que je passais autant de temps à l'étranger, cinq semaines ... L'étranger ne veut plus rien dire. Finalment, on finit toujours par s'installer. Vingt fois, j'ai imaginé mon logement "lausannois" incendié, le bâtiment effondré, le quartier englouti, la ville disparue, même ... Puis je me disais que j'avais bien assez de moi-même pour reprendre racine, pour inventer sur la ruine passée quelque chose de neuf. Pour repartir et retrouver tous les riens qui peuvent m'enchanter ... un certain ton de la lumière ... le parfum à peine perceptible d'une floraison, la pleine jouissance d'un temps ordinaire.


vendredi, août 17, 2007

mardi, juillet 31, 2007

Tant pis


Tant pis, tant pis pour les mensonges lénifiants, pour le fourvoiement, pour le réagencement, tant pis et tant mieux si cela contribue à rebroder nos existences, leur donner le lustre, l’éclat, la richesse qu’elles méritent car nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs. J’ai même lu dans un album de photos, un livre d’art feuilleté à la librairie de la Hamburger Bahnhof (le musée d’art contemporain de Berlin), ai donc lu que nous étions tous des anges, selon le témoignage d’une jeune fille israélienne de 25 ans, brûlée aux 70% de la surface de sa peau. Elle porte une sorte de bustier couleur chair qui doit palier les déficiences de son épiderme.
Nous venons de rentrer de la séance « Mongay » au Kino International avec C. Elle est sous la douche, le temps de ce billet, avant que nous ne prenions le thé. Nous sommes allés voir Angel le dernier film de François Ozon, assez mal reçu par la critique qui ne comprenait pas … La critique ne comprend jamais, il faut tout lui expliquer, même lui dire ce que l’on doit trouver beau. Angel est romancière, elle l’a toujours été, elle a reçu ce talent … Elle ne lit pas, elle n’en a pas le temps ; elle a les goûts et les manières frustes des laborieux … Qu’importe, elle n’est pas critique, elle est l’autrice. Et, comme tous les gens de lettres, elle invente sa vie. Elle la tricote au fil de sa plume. C’est une vie kitsch et Ozon nous fait partager l’esthétique romanesque de son héroïne, le rêve qu’elle a fait de son propre destin. Alors qu’elle a juste rencontré son futur époux, un peintre du genre artiste maudit, il lui jette à brûle-pourpoint : « Je connais votre secret, vous ne dialoguez pas avec vos lecteurs mais vous vous racontez une histoire ! » Et l’histoire finira mal bien, je veux dire avec le tragique qui sied aux grandes destinées les lavant ainsi de tout soupçon de kitsch.
Je repense au banal lénifiant des parents, des grands-parents évoqué dans le précédent billet. Ils n’étaient soit pas gens de lettres, ils n’ont pas su rêver leur talent assez fort. Ils y croyaient juste assez pour se persuader que le monde allait bien ainsi. Et il allait miraculeusement bien après deux guerres mondiales ! Il faut dire qu’on avait su convaincre le bon peuple que tout ce bonheur découlait de son obscur travail. Si, si, il s’acquittait fort bien de toute tâche subalterne. Et il n’aurait de toute façon pas eu le talent de faire autre chose, le bon peuple !

lundi, juillet 30, 2007

La relique



J’aime particulièrement les riens qui font cette ville, quelque chose en deçà de l’anecdote, la simple réalité du métro par exemple, sa lenteur et certaines de ses lignes profondes chauffées comme une serre. Hier soir, cela tombait bien … Il pleuvait, un petit vent aigre refroidissait sévèrement les touristes mais pas les locaux, attachés à leur T-shirt comme à l’esprit libertaire qui flotte sur Berlin parce que, voyez-vous, sur le calendrier, il est écrit « été ». Je sortais d’une kneipe gay ; un établissement comme n’importe quelle autre kneipe, avec de la bière à flots, de la fumée, des rires gras et des manières un peu rustaudes mais version gay. On y voit de solides garçons travaillant certainement dans la construction ou la voirie s’embrassant à pleine bouche.
Wittenbergplatz-Alexanderplatz en U2, vingt-cinq minutes de trajet, de la lecture et, pourquoi pas, de la musique. Je n’ai pas refait la programmation de mon lecteur numérique depuis mon arrivée à Berlin, je picore de ceci, de cela parmi les 120 titres stockés … Ce n’est là que du détail … Imaginez, je suis en train d’avancer dans la lecture des Enfants Tanner, du Walser, « un auteur contestataire » selon le mot d’un agent de l’appareil d’état auquel j’ai eu affaire il y a quelques mois de cela. Je rentre donc chez moi, chez C., mon adresse berlinoise. J’entame ma troisième semaine de séjour, je ne vais rentrer qu’à la mi-août, j’ai laissé un tas d’ennuyeux et leurs mauvaises raisons quelque part bien plus à l’ouest. Je travaille en ce moment aux mémoires de Frédéric-César de la Harpe. Et il y a les soirées, boîtes et bars ; et il y a F., il y a l’autre C., il y a P., des garçons charmants. Du détail encore …
Imaginez déboulant au détour de tout cela Maître Cappellovici ! Qui se rappelle aujourd’hui encore des Jeux de 20H ? Oui, j’ai en stock un florilège de génériques de séries et émissions télévisées françaises. Quelque part à la hauteur de Hausvogteilplatz, je me suis retrouvé avec le souvenir de soirées d’enfance, de la lumière de la fin du jour, lumière rasse d’été, 1979 ou 1980, le salon familial, les fauteuils, le canapé de skaï blanc, profonds. Pendant que je regardais Les Jeux de 20H, à l’époque quand la France d’après 68 franchouillait gentiment, Berlin existait ; cette ligne de U existait, à moitié peut-être, ou l’une de ces lignes avec des stations fantômes. Il y avait des troupes françaises stationnées du côté de Spandau, je crois, des militaires et leur famille, avec peut-être d’autres petits garçons qui regardaient aussi Les Jeux de 20H, pour peu que l’on retransmettait à ces téléspectateurs un peu spéciaux les programmes de FR3. Il faudrait que je me renseigne. En ce temps-là, Berlin était coupée, mutilée, les gays au placard mais le monde allait, presque propre, presqu’en ordre, chacun dans sa petite boîte. Serions-nous arrivés à de nouveaux temps héroïques ? Faudra-t-il pamphlétiser puis prendre les armes ? Comment pourra-t-on jamais nous affranchir de toute cette touchante banalité, de cette logique bidon et douillette dans laquelle mes parents, mes grands-parents avaient endormi leur conscience, et je préfère ne pas parler du quarteron bourgeois néo-révolutionnaire des fils et filles de famille qui, après avoir fait un joli mois de mai, ce sont empressés d’en inventer une relique à placer au-dessus de la cheminée, répondre ainsi à leur logique atavique de classe.

vendredi, juillet 27, 2007

Le vide-poches


Avec J., j’ai appris un certain nombre de raffinements pratiques, tel que le … vide-poche ! Ce genre d’objet de rien, catégorisé de la façon la plus vague, permet de rassembler et tenir nos miettes existentielles en un seul lieu, dans un espace ouvert et confiné à la fois, laissant le plan de nos existences le plus lisse possible. De plus, lorsque l’on cherche une chose ou l’autre, il suffit d’aller voir dans LE vide-poche : clefs, bijoux de pacotille, portable, listes, tickets et autres, et tout ce dont on a toujours besoin, de l’élastique au trombone, à de la menue monnaie, tout y tient !
Ce matin, en sortant de chez F., ma première idée : trouver un vide-poche ! Hier déjà, au Karstadt de Charlottenbourg, j’ai soupesé tout ce qui, de près ou de loin, aurait pu en tenir lieu. Plats, assiettes, corbeilles, boîtes, coupes, cartons, tout je vous dis ! Le vide-poche navigue entre l’Arlésienne et le truc, tantôt ça n’existe pas, tantôt tout fait l’affaire ! J’ai finalement trouvé une coupe de laiton émaillée qui, comme le dirait ma mère, « fera la rue Michel », un objet d’occasion doublé d’une bonne action provenant du Tierheim Trödel, une brocante en faveur d’un foyer pour animaux abandonnés.
Je pense ramener l’objet en Suisse, je le regarderai comme un trophée … Rien à voir avec F., le beau et jeune F., ce teint si clair, la souplesse d’un corps de 24 ans, une allure et des questions en mine de rien « Hast du viele Freunden in Lausanne ?» Je pourrais imaginer bien des choses pour ces yeux pervenche, pour cette douceur … Ma victoire se situe ailleurs … Et je n’en suis qu’au début. Je placerai le vide-poche dans l’entrée, sur le petit meuble à tiroir, y jeter négligemment mes clefs à chaque fois que je rentrerai.
Chez Walser, il est question de menus détails domestiques, de pièces de vêtement, de la qualité du papier, de porte-plumes, de buvards et de taille-crayons et d’un peu de vaisselle. Je me souviens que, dans la description de la maison Mann, à Münich, tous ceux qui l’ont fréquentée parle d’un ours empaillé au bas de l’escalier, dans l’entrée, portant un plateau d’argent où déposer les cartes de visite. Guibert me semble jouir d’un vide-poche, Mauriac en pourvoit ses anti-héros bourgeois. Il y aura désormais dans mon autofiction un vide-poche, discret témoignage de ma victoire.

mardi, juillet 24, 2007

Mein Schatz


J’ai vu … j’ai vu des choses bien trop précieuses pour les livrer ici. Je vais les garder dans le secret momentané des chroniques berlinoises, je vais les garder pour moi, à moi, encore un peu, juste le temps d’en croire la mémoire de mes yeux, de me remémorer la saveur si rare de cet instant, de cette situation pourtant banale au demeurant ; pensez donc, une scène de bus ! Je regrette presque d’avoir tant fait de bruit autour de Berlin, de l’avoir galvaudée alors qu’elle est faite pour l’entre-deux somptueux de révélations entre gens introduits, je veux parler de la porte entrouverte sur un ailleurs à propos duquel les connaisseurs s’entendent … Ensuite viennent les considérations du vrai et du faux Berlin mais les quartiers à touristes noceurs, buveurs et vomisseurs de bière font partie de la réalité, du lyrisme de la ville. Tout cela n’a, toutefois, rien à voir avec mes précieuses chroniques … L’authenticité : du blabla d’hebdomadaire sans imagination au mieux, avec tests comparatifs de prix et deux ou trois choses tout aussi inintéressantes et pas même l’adresse de la kneippe où l’on sert la bière la moins chère. Tenez, je ne suis pas avare, ça, je vous le donne, Die Franken, un stübli en face du SO-36, en plein Kreutzberg.
Ne pas en rester là … Imaginez ce qui, un roman de Walser à la main, dans le bus 240, au retour de Friedrischshain, a bien pu me frapper. Essayez de concevoir, avec ce que je porte, avec mes romans (pour ceux qui les auraient lus), ma situation, la politique allemande, les particularités berlinoises, le poids historique de la société wilhelminienne, de ses vestiges, essayez donc de concevoir le trésor qui m’a été confié. Ç’aurait presque pu être tiré des Enfants Tanner, ma lecture du moment.
Je tiens mon motif, quelque chose de discret, de subtil. On pourra dire « mais oui, c’était le séjour, celui de six semaines avec l’histoire du bus », tout le reste en banal, une vraie vie avec des caddies que l’on remplit pour rien chez Kaufland, avec des meublés tout en Ikéa, avec la rencontre de F. et le courrier, et les affaires qu’un homme de lettres est toujours obligé de régler même à distance.

vendredi, juillet 20, 2007

Vol de nuit


Une phalène frappe le plafond, cherche sa place ; j’écoute l’épaisseur de la nuit. J’aime la posture de « l’homme de lettres », une façon très avantageuse de paraître – d’être – à soi-même. J’aime la musique économe de ces quelques phrases, le début du roman, de l’aventure, un départ immédiat pour des ailleurs séduisants voire mystérieux, pour l’univers paradoxal du récit (à la façon du sommeil paradoxal).

Je me trouve donc à mille lieues de mes débats clochemerlesques, de la vendetta molle des suppôts moscovites et de la lecture approximative d’un certain jeune publique forcé de s’enivrer le week-end, donner ainsi un rien de relief à sa courte vie et oublier les manipulations parentales. Et je les comprends tous, de bien braves gens, somme toute, pas vraiment homophobes ou racistes ; on va dire pusillanimes. Et je suis persuadé, on me jurera le contraire évidemment, qu’ils vont continuer de se mettre la tête à l’envers, s’interrogeant sur la question de la limite, du public, du privé, de l’image et toute cette sorte de choses pour bien une année encore, si ce n’est plus.

La phalène se rappelle à mon attention, quelque chose l’a tirée de son court repos. La pièce dans laquelle je dors est vaste, haute de plafond ; l’insecte ne va pas tarder à se poser … Parfois, il cherche une nouvelle route, traverse l’air avec effort et volonté, il doit être fatigué d’évoluer de-ci, de-là, il vient de se poser quand bien même la place ne lui plaît pas. Je me plais à peu près partout, je ne fatigue pas : je ne suis objectivement pas une phalène. Et les phalènes ne goûtent pas la poésie walserienne du rien, quelque chose du sublime du rien suisse, une petite touche … Les franges de l’abat-jour, le lampadaire à côté de mon lit par exemple, leur petit balancement parallèle lorsque je bouge un peu, le mouvement passe du matelas au sommier, aux pieds du canapé-lit, au parquet, à la canne du luminaire jusqu'à son abat-jour frangé.

J. apprécie aussi ce genre de détail insignifiant. Berlin lui parle donc beaucoup, par la lumière, la qualité du sensible, la beauté des garçons. Je l’ai laissé dans son appartement, il est souffrant, il a pris froid, coup de grippe … Il n’est pas plus déçu « que ça » de la tournure de son séjour. Il explore l’éventualité de sa frustration et lit quelques pages de Paul Auster. Berlin offre une paix contemplative à ses habitants, soient-ils occasionnels … La phalène a encore changé de place, après l’arrière d’une rangée de livres, elle vient d’opter pour la rosace de plâtre, au centre du plafond. Je vais l’y laisser, je vais éteindre.

lundi, juillet 16, 2007

L'art et la manière


Samedi, 14 juillet
Il est question de manières … et d’habitude : je n’arrive pas à me glisser dans la peau d’un homme de lettres en vacances à la recherche de repos et de distraction. Je suis chez J., l’appartement qu’il a loué pour la semaine, Wilhelmstrasse, une bâtisse honeckerienne fin de règne, à peine ripolinée ; les apparatchiks étaient apparemment assez bien logés. L’intérieur est commode, presqu’élégant, de l’Ikea à peine fatigué et deux ou trois bonnes idées décos. En entrant dans la chambre, un peu auparavant, j’ai réalisé la vue étonnante, le monument aux victimes juives d’Europe, Potsdamerplatz … J’attends la venue de J. J’ai fait des courses, aéré, arrangé les rideaux, préparé un plateau, grignotage, il n’a encore rien mangé depuis ce matin. Il vient de m’appeler, il était dans le taxi, à peine sorti de Schönefeld.
En vérité, je suis seul avec mon envie – ou non – d’écrire, produire une œuvre, tenir le blog, diriger un portail internet, faire carrière ? J’ai des vacances « impressionnistes », brefs instants, effleurement léger, l’aile du soupçon et, pourtant, il y a toute cette bonne vie à laquelle je m’adonne, le bien manger, le sensuel, la bonne compagnie, le repos, l’amabilité des gens que je rencontre dans mon séjour de Lichtenberg parce que, dans le Brandebourg, on est nettement plus aimable avec le client que par Lausanne ou Genève. Dans ces instants-là, je me reconnais pleinement et mille idées d’articles se bousculent, j’ai envie de me mettre immédiatement aux « Mémoires d’un Révolutionnaire », je pense à quelques lettres qu’il me faudrait écrire, des renseignements à prendre, puis l’enthousiasme retombe. Je m’assois à la cuisine, la jolie cuisine de C. avec son banc d’angle et des coussins à fleurettes sur fond grenat. Je me dis que je vais changer de profession, vendre des machines à laver, j’aime beaucoup l’électroménager.

vendredi, juillet 13, 2007

Zurück nach Berlin


De retour à Berlin … de retour et non « à nouveau ». Plane le souvenir de mon précédent séjour estival, j’étais en pleine rédaction de La Dignité. Impression que, depuis, les mots se sont éteints. Je logeais chez une artiste indépendante, une Suissesse, femme de talent et de caractère jouissant d’un appartement assez peu commode mais plein de charme. Il y a aussi l’appartement de la Weserstrasse qui me manque. La co-location était amusante, il y avait toujours quelques spécimens très berlinois qui traînaient dans la cuisine avec quelques cadavres de bière. Je ne sais toujours pas ce que je viens chercher en dehors de mon jeu de rôle littéraire dans cette ville ? De l’exotisme, du divertissement, des rencontres faciles, l’évidence de tous ces garçons … oublier la souillure d’une administration qui s’est plue à me vilipender, l’empoisonnement lent et certain de myriades de toutes petites choses. Mes chaussettes, par exemple, la série de sept paires portant sur le haut de la cheville le nom du jour adéquat. Elles me rappellent un quotidien répugnant, des transits ferroviaires à potron-minet, tout le sordide propre à la classe laborieuse qui devrait dire merci pour avoir le droit de gâcher ainsi son temps sous la houlette d’une hiérarchie inique …

Je retrouve auprès de C. un peu de la vie que je menais à Morges chez mes parents, j’essaie de retrouver l’allant de cette époque aussi, qui était avant tout marquée par une francophilie parigote. A croire que tout Vaudois doté d’un peu de cervelle se devait de se préoccuper de la politique spectacle du grand voisin. Quelle blague ! Le gauchisme caviardesque a juste contaminé la classe dirigeante romande d’alors, nous précipitant dans des abîmes de médiocrité intellectuelle. Il n’est pas donné à tout élu de Jack-Languiser à qui mieux mieux. Cela requiert de l’aisance et du subtil talent de ne pas paraître y toucher.

Je n’arrive pas à concevoir que ce lit que je connais si bien, cette couche où je repose près de soixante nuits par an se trouve quelque part du côté de Lichtenberg, Berlin … Je suis en passe de m’y endormir la tête pleine de cartes postales … Ne plus croire au voyage, à la belle saison, aux rencontres

mercredi, juillet 04, 2007

4 juillet, 12°


Le ciel n’est qu’acier et vapeurs romantiques, il pleut sur la ville une fatigue si ancienne, à la fois confortable et aigre … Fatigué comme un vendredi soir, envie de s’accouder à la fenêtre, un instant, rien qu’un instant, boire la noble désolation du panorama, une promesse sans désirer pour autant le soleil … Je songe au grand désordre, au fracas de l’été passé, Weltmasterschaft et canicule, la ville entière livrée à une stupide bacchanale.
Petite musique, tambourinement discret, liquide, gouttelettes invisibles et parfois le passage mouillé d’une voiture anonyme. Envie de s’assoupir dans l’attente d’un été impossible, d’une gloire si brillante qu’il nous faudrait bien un siècle de repos pour trouver la force de l’admirer. Je n’arrive pas à quitter la vue cataclysmique de ma fenêtre, des montagnes charbon et comme une colère spectaculaire prête à exploser et si seulement …
A la salle de sport, au hasard d’une chaîne musicale, mcm, j’ai vu le clip de Beautifull de Christina Aguilera, l’histoire du mal-être universel, les riens qui vous font vous prendre en horreur face à une norme verticale impossible. La chaîne avait pris la liberté de sous-titrer les paroles, belles et touchantes, de la chanson. Un vieux trav’, une anorexique, un adolescent rachitique … souffrir de soi parce que l’on arrive plus à habiter cette surface à laquelle on s’arrête.
Envie de réécouter cette chanson. L’un de mes élèves m’avait donné l’adresse – fort commode – d’un site musical gratuit, une phonothèque géante en libre accès ; je n’ai pas perdu mon année ! Et après Christina, encore envie d’un détour par un titre de Danny Brillant, découverte de la délicatesse rêveuse de Danny Elfmann avant de retourner vers le faux vintage si plaisant de Brillant, ne me manque plus qu’un gin-fizz pour parfaire cette soirée un peu fraîche.

dimanche, juillet 01, 2007

Les mots de rien


Ne pas se laisser déborder par ... le contingent, les fausses urgences, les fausses priorités quoiqu'il puisse en coûter à l'homme de lettres. Dans cette étrange profession, vivre est un impératif, et vivre aux limites de son milieu, de la logique, de la cité, du monde dit "civilisé" ... Jamais l'on n'a vu une carte géographique blanche sur son pourtour. L'auteur doit, sans cesse, élargir son territoire, se rendre aux limites de celui-ci afin d'en témoigner. Inventer ces limites tiendrait de la broderie, de l'occupation pour dame désoeuvrée l'après-midi ...
Je ne crois donc pas au roman, genre bâtard et inutile, coquille vide, effet de manche littéraire. La fable ou la parabole mais jamais, au grand jamais, la pauvre invention d'histoires abracadabrantes, de ces fariboles un peu historiques ou culturelles. Je m'engage, avec Les Mémoires d'un révolutionnaire, sur la sente étroite d'un jeu avec mes propres interdits littéraires. Il n'est pas questions d'un récit édifiant pour adolescent de bonne famille mais de rendre la parole à Laharpe, un homme trop poli peut-être, un héros qui n'a pas voulu charger ses compatriotes ... C'est une leçon dictée par la mauvaise humeur, c'est aussi le récit d'un amour déçu, d'une rencontre ratée.

Hier soir, sur Arte, j'ai entendu parler d'une auteur de BD (autrice ? auteure ? auteuse ? je vote, sans malice, pour autrice) d'une autrice, donc, qui ne peut rien dessiner si elle n'a pas vécu la scène. L'autofiction vient donc d'aborder une nouvelle terre. En filigranne, le charme du banal, dessiner le quotidien avant qu'il ne passe. Rendre la poésie des jours comme la séduction des mots de rien, les seuls capables de laver l'outrage de ... l'outrage, ce n'est plus le temps de la polémique.

dimanche, juin 24, 2007

Le corps du texte


Aujourd'hui encore, j'ai donné la Communion, à la messe : présenter l'hostie à mes coreligionnaires, "Le corps du Christ", avec ce geste si particulier à la fois d'exposition et d'offrande. Je suis touché par l'honneur que me fait l'abbé en me demandant d'assister la communauté de la sorte. Pourtant, il n'ignore rien de ma vie ... Il peut l'imaginer. Il m'en trouve digne.

J'ai aussi travaillé à la correction et à la relecture de La Dignité, quelle horrible chose ... Jamais je ne me suis senti plus seul qu'en présence de cet essai égocentrique et geignard, de cette affreuse peinture qui, pourtant, tombe si juste à propos de ma vie, de Lausanne, et de l'état de déréliction de la culture ambiante. Je voulais écrire "occidentale" plutôt qu' "ambiante" mais le jugement est trop solennel, trop lourd : je ne suis pas un mandarin. Je ne vais pas imposer mes intuitions de façon verticale et péremptoire.

Avec La Dignité, je présente une anti-communion à mes "coreligionnaires", on aurait beau la tremper dans quelques litres de vin de messe que ça ne ferait pas descendre le morceau. Je ne renie toutefois pas ce texte, je vais l'assumer, je lui reconnais des qualités en dépit de tout et je ne suis pas du genre à (me) cacher la vérité.

samedi, juin 23, 2007

Le crépuscule d'une reine


J'ai observé le jour glisser depuis le balcon, le vaste panorama, la splendeur toujours égale et renouvelée du lac, le Jura, le ciel, immense, les Alpes voisines ... Intacts, inchangés, à croire que rien ne pourrait toucher tant de perfection. J'oublie parfois et trop souvent la magnificence qui s'offre à ma fenêtre, tant de délicate mélancolie à chaque crépuscule. Cela donne envie d'oublier discordes, discutailleries et toute implication sociale, laisser aller les choses sur la pente de leur perte naturelle, comme l'intuition d'une faillite à venir et de combats politiques ... de croisades politiques à mener mais pas ce soir, pas encore ... pas encore.

Je sais ne pas être un "homme de lettres" très classiques dans ses sources d'inspiration ni de par son milieu d'origine. J'ai grandi à côté d'un téléviseur allumé et ne me départirai jamais de mon affection pour "la petite lucarne", pour ma boîte à rêves, à débats, à récits. Je sors d'un documentaire historique, une vie de Marie-Antoinette, l'une des figures de ma mythologie personnelle. Grâce et tragédie, et cet orgueil insensé qui seyait tant à la fille des Césars. Etrange que je me glisse dans la peau de Laharpe, du "Jacobin" comme disait ses contempteurs, afin d'écrire ses mémoires. Pourtant mon attachement à Frédéric-César est sincère. J'aurais voulu être soit Marie-Antoinette soit Frédéric-César : du coeur et du caractère, et une forme de courage insensé ... Peut-être une certaine légèreté vis-à-vis des contraintes de la réalité dans laquelle ils vivaient.

Il y a bien des débats qui éveillent mon intérêt, ma curiosité ... J'ai failli écrire un billet l'autre soir, après avoir vu la dernière de la saison de "Ce soir ou jamais", un plateau mi-culturel, mi-politique, des échanges de bons niveaux, de la conviction, de l'opinion et du panache, celui de l'intelligentsia parichienne qui sait si bien faire le beau devant la caméra. J'ai aimé voir Jean-Jacques Beineix mettre en boîte Frédéric Mitterrand pour son gauchisme caviar, pour ses chaussettes rouges et son égocentrisme ... Je n'ai pas écrit le billet; les entrelacs des développements évoqués s'étaient défaits dans mon souvenir et ne restait plus que le long ruban plat d'une certitude plus qu'évidente : nous sommes sortis de la guerre froide ! Mais cela avait plus de force parmi le feu des échanges. Je ne peux m'empêcher de glisser un mot quant à la germanophobie de la Pologne des jumeaux Kaczynski, une paire d'homophobes racistes et rétrogrades; je les soupçonne d'être d'une inculture crasse par-dessus le marché. L'Allemagne du XXIème siècle aurait beaucoup à leur apprendre en matière de démocratie et de respect des différences.

A présent que la hargne, le dépit et la colère sont passés, que je ne me sens plus dans l'obligation de "me justifier", je veux dire par là de faire de la pédagogie quant à ma démarche, je n'ai envie d'écrire que des billets sur le coucher du soleil et la musique baroque, sur la richesse de l'univers sensible qui nous entoure ... Rien que de l'inutile ...