jeudi, avril 09, 2020

Des nouvelles du front ( covid-19, confinement, etc)


C’est un exil qui nous est offert, un exil doucereux, un ralentissement du temps, une petite vie faite de riens, d’une succession de tasses de thé, de verres de vin et de promenades alentours, une vie agrémentée par-ci par-là par la rediffusion de quelques vieilles séries télévisées aimées. Y aurait-il de la contrainte ? Certes oui, celle de lutter contre l’hystérie et la pusillanimité, toutefois il est permis d’évoquer mille souvenirs dans le silence du matin, un plateau d’étain sur le lit, petit-déjeuner et les chiens qui sont venus vous rejoindre et vous vous assoupissez un peu entre deux articles du Figaro magazine, un numéro d’avant que vous avez oublié dans le porte-journaux. C’est une vie sans âge, sans but et sans obligations. Un crépuscule en lieu et place du temps pascal. Les serviteurs de notre très Sainte Mère l’Eglise ont décidé d’obéir aux pouvoirs temporels, les églises sont fermées, les fidèles privés de la proximité de Notre Seigneur et de la sainte Communion. Cette année, le Christ ne ressuscitera pas car Il n’est pas mort, les jours s’enchaînent dans une répétition sans incidence … ou si peu.


On ne peut pas toujours faire partie des perdants, je n’ai pas à m’inquiéter, je travaille à l’Etat de Vaud, j’enseigne, en plus de mon sacerdoce littéraire. Et j’enseigne la culture générale, les examens intermédiaires des premières n’auront pas lieu, ni vraisemblablement les examens CFC des classes terminales, le programme est quasiment « plié », on verra par la suite pour les notes, pas d’évaluation tant que les classes n’ont pas réouvert. Vie ralentie, vie minuscule et merveilleuse, comme si j’étais à nouveau l’enfant grandi hors la foi, hors schéma, un peu sauvage et décalé, vivant l’impécuniosité de son état social à travers le prisme de récits merveilleux, de légendes, de rêveries historisantes. Je ne sais pas pour les autres, je dois vous dire que je m’en fous, pour une fois qu’ils ne viennent pas écraser mes châteaux de sable. Je ne comprends pas leurs inquiétudes, leur agitation … C’est vrai, ils ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas, la suffocation, la pauvreté ou, du moins, de grosses difficultés financières … On ne peut pas toujours faire partie des perdants, une enfance à souffrir d’un asthme mal soigné dans un appartement aux murs moisis, l’office des poursuites qui vient vous retirer des meubles de peu de valeur, la compagnie d’électricité qui vous coupe le courant, le dîner, seul, sur un réchaud à gaz avec la compagnie d’une radio, quelques bougies ; voilà de quoi vous aguerrir.


Je n’écoute plus les nouvelles, je ne lis plus les journaux. Parfois Arte ou la 5, tout de même, et le fil d’actualité de la rts info car je ne supporte plus la joie baveuse hystérique des présentateurs si fiers d’annoncer la fin du monde et tout le discours orienté assorti. Je ne tire aucune fierté de ne pas avoir peur, il faut dire que ce n’est ni la peste, le choléra, ébola ou la variole. Ҫa n’a pas même le charme désuet et k und k de la grippe espagnole. Au détour d’un changement de chaîne, éviter le fameux TJ, j’attrape tout de même la phrase « comment expliquer la situation aux enfants ». Si j’avais eu à le faire, j’aurais simplement dit « Mon chéri/ma chérie, les Chinois sont un peuple respectable aux mœurs parfois discutables qui, non-contents de torturer des chiens pour finir par les manger, mangent toutes sortes d’animaux sauvages qu’ils entassent dans des marchés crasseux. Récemment, un pangolin a transmis un virus aux gens du marché et nos autorités qui s’écrasent devant la montagne d’argent que représentent l'économie chinoise et les riches touristes chinois ont laissé les avions remplis de ces gens atterrir chez nous et pareil dans toute l’Europe, et nous contaminer. Et, à présent que le mal est fait, pour montrer leur inquiétude, ils ont décidé de nous enfermer chez nous, pour notre bien évidemment. Et même l’Eglise est d’accord alors que Pâques est notre fête la plus importante, que la Communion est au centre de la foi catholique, tout comme l’adoration du Saint Sacrement. Et personne n’a voulu, n’a osé imaginer de meilleures solutions. Il y en a pourtant, et je ne parle pas de la Communion que l’on pourrait faire porter chez les paroissiens qui la demandent, comme une commande à la Migros ou chez Coop, ou sur Amazon. Il faut dire que la Communion est gratuite et que l’Eglise est financée par nos impôts et que c’est un peu l’Etat. Bref, mon chéri/ma chérie, cette année Pâques n’aura pas lieu même si on aurait pu faire une veillée dans son coin avec un direct sur les réseaux sociaux puis prendre rendez-vous pour recevoir la Communion sur le parvis de l’Eglise, cinq par cinq, chacun à une distance de 2 mètres ».


En vous écrivant tout ça, en le relisant, je prends conscience que sous la cendre de la vie ralentie, il y a de la colère, maîtrisée, policée, bien comme il faut, au garde à vous devant les préceptes hygiénico-moralisateurs à la mode en ce moment. Une colère trempée d’ironie, réhaussée d’un peu d’humour aussi, un humour à la Desproges. Par bonheur, mes amis ont la tête froide, on se dit en chœur qu’il faut bien crever de quelque chose et qu’on ne va pas rester terrer dans cette vie sans vie. Autant mourir de suite, avec ou sans respirateur. Il nous manque peu de choses, des cafés, des tearooms, une petite salle de cinéma, une salle de fitness, des musées de peinture, deux ou trois riens qui sont le fondement même de la bonne vie, et la possibilité de se voir à Berlin, Francfort, Milan, Bordeau, Barcelone ou Copenhague. 


C’est un exil qui nous est offert, un exil dont on ne reviendra pas, au sein duquel naîtra peut-être une résistance et, en attendant, le matin, après mon lever, je m’attarde souvent devant l’une ou l’autre bonne toile achetée à vil prix – de l’art bêtement figuratif, ça n’a plus de cote –  des œuvres qui décorent les murs de mes petits appartements, de la salle, du salon d’été. C’est presque une vie de princesse russe réchappée du massacre de la révolution d’octobre ; c’est, en fait, une vie de réfugié au cœur de mon propre pays, de ma culture. Etonnant, non, comme dirait Monsieur Cyclopède.

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