lundi, janvier 20, 2014

Exposition Vallotton au Grand Palais, finissage.



Autoportrait, Félix Vallotton, 1885
En préambule, il est nécessaire de dire à quel point le Grand-Palais, en dépit de la majesté et de la taille de l’édifice, est un espace d’exposition mal adapté, aménagé avec approximation ; pas de vrai hall d’accueil, un vestiaire microscopique, pas de casiers à monnaie, des toilettes (comme partout dans Paris du reste) qui donneraient plutôt envie de se soulager dehors ou dans l’escalier, pas de cafétéria et la clientèle ! La plupart des Parisiens courent les expositions de peinture comme on va à la foire du Trône, on s’occupe, on se distrait un peu, on passe le temps et on encombre doublement l’espace (station et conversations/commentaires déplacés), à moins qu’ils ne sacrifient au culte de la culture, véritable religion laïque et bobo, sans pour autant que cela ne repose sur un attrait sincère. Snobisme. Les Parisiens ont gardé l’habitude des « Salons » où ils allaient traîner savate sans chercher un dialogue avec les œuvres, sans chercher à se laisser émouvoir. Quant aux professionnels de la chose culturelle, Vallotton leur glisse entre les mains. Sa sensibilité, sa mélancolie, sa réserve leur composent une véritable énigme.

L’exposition peut être considérée comme un succès … pour ceux qui ont découvert Vallotton à cette occasion et se sont laissés toucher. Pour les coutumiers de l’œuvre, il est permis de relever plus d’une maladresse. L’accrochage commençait par le fameux autoportrait, le premier, Vallotton à vingt ans, revêche, une œuvre remarquée au Salon de 1885. La toile ne respire pas assez, on l’avait placée à droite de l’entrée, sans dégagement, alors qu’il eût peut-être fallu réserver une paroi entière à sa radicalité, face à l’entrée. D’autres portraits étaient accrochés de ce côté-là, en forme d’accueil.

Il a été tenté une présentation de l’œuvre vallottonienne selon un ordre chronologique et thématique. Il en résultait des sortes de « hiatus », des ruptures du fil narratif, ce qui tend à prouver à quel point Vallotton échappe à la critique artistique. Elle ne peut le comprendre car elle l’interprète comme un peintre français et Vallotton – serait-ce un karma familial ? – est un transfuge et le sera sa vie entière en dépit de son attachement à la République et en dépit de sa nationalité acquise par mariage. Les errances de cette critique sont marquées par la pauvreté du commentaire des toiles à caractère mythologique (Orphée dépecé, Persée tuant le dragon, Satyre enlevant une femme au galop, etc.), toiles en trop grand nombre au Grand-Palais et qui sont, à mon avis, parmi les moins bonnes de mon illustre cousin. Personne ne semble relever l’ironie de tels travaux, comme une manière qu’eut le peintre de se payer la tête de l’histoire de l’art et de ses pompeuses références, à savoir de la miche au kilo en dépôt de bilan, voir Étude de fesses. Seule trace de cette ironie, les commissaires ont pensé à placer une étude de … jambon en pendant du fessier cellulitique.

Principal mystère vallottonien, le rapport de l’artiste aux femmes. Était-il gay ? Sans sexe ou peu porté sur la chose plus vraisemblablement. Une fois de plus, difficile de comprendre l’attitude « coincée » de notre homme si l’on ne connaît pas les conditions de sa jeunesse vaudoise protestante, le poids de la morale, le refoulement en vertu cantonale cardinale. Mais il vivait à Paris depuis ses dix-sept ans, me direz-vous, les petites femmes légères, légères, la bohême artisteuse et ploum ploum tralala. Oui mais non ; Vallotton reste fidèle à sa race. Quelques inquiétudes familiales quant à sa relation avec Hélène Chatenay, une jeune femme charmante dont il fit son modèle, qui vivait avec lui … et qui avait d’autres galants. Pas l’ombre d’une paternité « sauvage ». Soit, il y a les aiguilles à tricoter et Vallotton était peut-être infertile. On ne lui connaîtra qu’une seule autre femme, son épouse, Gabrielle, veuve du galeriste suicidé Rodrigues-Henriques. Vallotton n’eut pas besoin de lui faire des enfants, elle en avait déjà ! A relever que la femme dans la peinture vallottonienne et l’œuvre gravée est un être majoritairement manipulateur, infidèle, castrateur ou une présence anonyme, une silhouette de dos. A moins que ce ne soit une réponse de Vallotton aux motifs en vogue (La Blanche et la Noire en échos à l’Olympia de Manet ou La jeune Fille au Perroquet, thème des plus courants depuis le portrait de Mathilde de Canisy par Nattier, voir aussi le nu de Courbet). Si Vallotton n’est pas gay, il est passablement misogyne. Sa maîtresse puis son épouse représentaient avant tout le foyer, la cellule familiale (voir le cas de Thomas Mann et son épouse Katia Mann-Pringsheim).

Pour clore ce billet, l’œuvre gravée était donc abondamment présentée. Son évidence narrative, sa modernité, sa propension à évoquer une situation en quelques traits fait de Vallotton un auteur de BD avant l’heure. Le tirage de l’épreuve de justification de destruction des bois, succession d’extraits d’une suite de dix xylographies, les Intimités, semble raconter en raccourci un vaste roman bourgeois, du Mauriac sous le trait de Tardi. Cocorico oblige, la suite « C’est la Guerre » figurait en bonne place. Vallotton y montre plus son horreur du conflit, de ses ravages qu’il prend parti. Il aimait soit à parler de sa « haine du boche » mais le sentiment semble artificiel, sans fondement.


… les paysage et les intimités à suivre dans un prochain billet.

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