Des amis allemands m’en avaient parlé ; j’ai
effectivement vu quelques articles sur le sujet et peut-être l’auteur lors d’un
show télévisé ?! Cela m’a rappelé la BD de Walter Moers « Adolf. Äch
bin wieder da !! », publiée en 1998. J’avais découvert cet album dans
les toilettes, la colocation dans laquelle vivait Christine, à Friedrichshain.
J’avais même appris à cette occasion qu’on exposait le cadavre des rares
fuyards des camps de concentration, après les avoir rattrapés, dûment torturés
et assassinés, on les exposait donc à la vue des prisonniers avec un panneau
autour du cou sur lequel il était tracé : « wir sind wieder
da ».
Dans une grande librairie de la place, j’ai récemment été
attiré par la couverture si particulière de cette satire, un volume en
promotion. La traduction du titre n’est pas terrible : « Il est de
retour » mais le portrait esquissé d’une grande mèche et de la célèbre
moustache, comme dans l’édition allemande, garde tout son pouvoir d’attraction.
Le pitch est très simple. Un beau matin de 2011, Adolf Hitler, revenu d’entre
les morts, se réveille au milieu d’une friche urbaine au cœur de Berlin. Il va
trouver soutien et secours auprès d’un brave kiosquier avant d’entamer une
carrière de comique et sosie d’Hitler, une émission double gras pour chaîne de
télé populo. De quiproquos en coups de gueule, de convictions inébranlables en
coups de chance et de poker, Hitler se fait une place dans les médias et vise
un retour en politique, reprendre là où il en était resté.
« Il est de retour » ne se signale pas par un
style particulièrement brillant ni par une intrigue bien ficelée. Ce roman ne
connaît pas même de véritable fin, on peut craindre … ou espérer une suite.
L’auteur, Timur Vermes, s’offre ainsi la possibilité très probable d’un second
tome qui lui vaudra un très confortable à-valoir et des ventes fabuleuses, car
Hitler est un sujet porteur, vendeur, surtout lorsqu’il est présenté sous le
jour sympathique de cette satire. Monsieur Vermes est parfaitement
irréprochable. Né à Nuremberg d’une mère allemande et d’un père juif hongrois,
il a étudié la sociologie à l’université. Entre autres. Il a aussi une
importante carrière de … nègre. Il assume avec bonhomie le succès économique du
premier roman qu’il signe de son nom. Notre auteur a la mine avenante et
malicieuse d’un éditorialiste bon enfant. Il ne se sent pas la nécessité de
justifier son texte, de lui couler de solides fondations. Il a fait un
« coup », un bon coup dans un esprit potache et critique. De plus, il
ne va pas se perdre dans des arguties littéraires dont son texte ne sortirait
que perdant du fait de sa piètre qualité stylistique.
Ce roman met « gentiment » mal-à-l’aise ;
Adolf Hitler, le narrateur, y raconte avec humour et, parfois, émotion sa drôle
de vie soixante-six ans après son suicide. Il ne cache rien de ses plans, de sa
vision politique, de son grand projet, de son antisémitisme poli. Rien. Et rien
de la part de l’auteur non plus, pas la moindre petite prévention ou prise de
distance dans le récit aimable et drolatique qu’il nous déroule. Il est clair
que si Timur eut été un grand blond bien gaulé, élégant, regard pénétrant, il
eût certainement dû essuyer de nombreuses accusations de sympathie nazie. Mais
Timur est un rondouillard chauve et sympa, mal fagoté comme un intello de
gauche chercheur en sciences humaines. Néanmoins, je m’interroge sur les
mobiles profonds de M. Vermes. Il nous sort le prétexte du second livre du
Führer, une vieille édition, une traduction même, trouvée chez un bouquiniste
lors de l’un de ses voyages. Il se serait dit « Si Hitler a écrit deux
volumes, je peux écrire le troisième. » L’argument est minçolet, comme si
l’on ne savait pas que « Mein Kampf » comptait deux volumes. Personnellement,
je pense que notre nègre transparent avait envie d’exister et, lassé des
inepties qu’il a dû tant écrire pour d’autres, s’est lancé dans une plaisante
pochade, farcie de quelques constatations maison frappées au coin du bon sens
de la realpolitik. Et ça a bien marché ! Il met à jour, par exemple, les
mécanismes économiques de la grande distribution et leurs effets aliénants sur les citoyens aux revenus modestes, sur
la majorité.
Le style n’est pas bon mais il n’est pas mauvais non plus,
il a l’immense vertu de se faire oublier et le texte nous embarque dans les
aventures improbables du Führer bis. J’y ai retrouvé toute ma bonne Berlin, et
le reste de l’Allemagne aussi. Très vite, on rit, et d’un rire incoercible que
vous soyez sur une machine de cardio au fitness ou dans un train de
pendulaires. J’ai tout de suite eu envie d’aller toujours plus avant dans ce
récit, m’attendant à un coup de théâtre ou un retournement de scénario,
événements qui jamais n’arrivèrent mais qu’importe, j’avais tant ri
jusque-là ! Vermes a un art consommé du double sens. Toutes les sorties de
son « Führer », propos historiquement exacts, peuvent être comprises
comme de l’humour, de l’ironie, de la provocation à vocation de révélation. On
en étouffe de rire même si ce n’est pas très moral ; on en prend
conscience et en étouffe de rire de plus belle. Toute la dégoûtante petite
mécanique du contrôle social est démontée avec une certaine jubilation. Les
blâmes, les félicitations, l’imperméabilité des esprits, le jeu des cases … Je
m’explique. Nous sommes tous des personnages publics, quelle que soit la
confidentialité de notre audience. Cette audience définit notre statut et nous
met dans une case. Une fois que vous y êtes, difficile d’en sortir. Adolphe a été
étiqueté « comique », désormais tout ce qu’il dira sera drôle et ça
l’est, sincèrement, surtout ses apartés sur la télévision. Il zappe et ne tombe
– comme nous du reste – que sur de stupides émissions culinaires ou des séries
vérité très, très, très bas de gamme. Il y a aussi les scènes de genre :
le Führer découvre la téléphonie mobile, le Führer découvre internet, le Führer
découvre le ramassage des déjections canines, etc. Tout simplement tordant.
Très naturellement, je me suis attaché au narrateur, il
m’est devenu sympathique. Sa raideur, son décalage - une sorte de Mr Bean
militariste tout aussi improbable et maladroit - concourent à faire du Hitler version Vermes un
… ami !!! Jamais, je n’aurais imaginé écrire une telle chose. Le bonhomme
est touchant, sincèrement, sa promenade par une belle matinée claire à Berlin,
une certaine douceur, et l’énergie requinquante qui déborde de ses aventures et
mésaventures ! Vermes via Hitler (ou le contraire) revient très souvent
sur la nécessité du « fanatisme » dans ce que l’on fait, condition
minimum afin de réussir. Par fanatisme, il faut entendre « passion
ardente ». Oui, il faut en vouloir pour réussir dans son domaine, Dieu ne
vomit-il pas les tièdes ?! On se sent tout revigoré après une douzaine de
pages de ce roman (un effet du rire certainement) et pas l’ombre du doute d’une
once de culpabilité. On relève le nez d’un texte où Hitler est sympa’ Ne
faudrait-il pas s’indigner ? Non, et c’est l’historien (si, si, j’ai un
master universitaire français-histoire-histoire et science des religions),
c’est donc l’historien qui vous dit qu’il est sain de rire à la lecture de
« Il est de retour », que son narrateur n’est qu’un avatar de Hitler
(le despote légalement arrivé à la tête de l’Allemagne en 1933). Le roman
truculent de Vermes est une invitation à faire le tri dans le ruclon de l’histoire.
Dès 1945, on a creusé un grand trou et tout balancé dedans.
Il fallait alors dénazifier par la diabolisation, se réconcilier, reconstruire.
Une certaine crispation nationaliste se remarque à nouveau dans la politique
des États européens. L’antisémitisme est interdit par la loi, les symboles
nazis aussi, soit, cela ne nous garantit pas contre l’accession légale d’un
parti fasciste au sommet du pouvoir. Il faut se confronter aux vraies raisons
de la montée du nazisme et de son maintien à la tête de l’État après 33. L’attitude
des Alliés, la finance, les collusions politico-industrielles, la peur du
communisme et l’antisémitisme, le racisme, l’homophobie bon teint qui avaient
aussi cours dans les nations dites démocratiques y ont leur part. Vermes n’est
pas un Don Quichotte/Cervantes, il ne cherche pas à abattre les moulins de l’histoire.
Il vend bien, distrait ses lecteurs, ne les prend pas pour des quiches, attire
leur attention sur les faiblesses du système. Si vous vous apprêtez à lire « Il
est de retour » mais, suite à cette critique, désirez prévenir vos atermoiements
moraux et contrebalancer par un texte de qualité littéraire, achetez donc en
sus « Tous les États de la mélancolie bourgeoise », édition Hélice
Hélas, collection Paon dans ton QI, mon petit essai/pamphlet à propos du
confort de nos mensonges et menus arrangements avec l’histoire. Cela complétera
admirablement bien le pavé de Vermes.
1 commentaire:
Vous me flattez, cher Michel ;-)
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