En 1909, Thomas
Mann signa « Altesse royale » (Königliche Hoheit), un roman dans lequel il met en scène
un prince d’opérette confit dans la raideur de sa fonction, numéro deux d’un
royaume en déroute. La critique n’a pas cru bon de retenir ce titre parmi les
œuvres majeures du grand Thomas, lui préférant, par exemple, la longuissime et
inaboutie « Montagne magique ». Et pourtant, dans « Altesse
royale », l’auteur s’explique avec ironie sur sa dignité d’auteur et
d’homme de principes, sur la disqualification des individus droits face à la
modernité et au pouvoir de l’argent.
En résumé, Klaus
Heinrich, second fils du Grand Duc, jeune homme frappé d’une infirmité, un
petit bras gauche atrophié, finira par seconder son aîné souffreteux dans ses
fonctions officielles. Sa vie n’est faite que de « pour de faux » et
de « pour de rire », la mascarade du maintien et de la maîtrise de
soi. Pour la masse « ordinaire » qui a le loisir de se laisser aller,
le rôle de prince en représentation est regardé comme un spectacle auquel on
applaudit mais interdiction au prince de sortir de son personnage. Il doit tout
sacrifier à sa fonction. Thomas Mann développe ici la métaphore de l’homme de
lettres contraint par là-même à ne jamais déroger à sa dignité. Il rend de plus
un hommage discret à l’empereur allemand Guillaume II, personnage historique
généralement brocardé et caricaturé jusque dans les livres d’histoire. Ce
souverain a tout de même fait de l’Allemagne un Etat développé, démocratique,
multi-confessionnel, multi-culturel, voire sa promulgation de lois de lutte
contre l’antisémitisme. Guillaume II était de même affligé d’un petit bras atrophié qu’il savait admirablement bien
faire oublier.
Chez Thomas
Mann, l’homme public a toujours tout fait pour maîtriser et cacher son
homosexualité, la banaliser, la nier, la contraindre par le mariage, la
détourner, la sublimer, etc. Katia, son épouse, la connaissait ; tout
comme, dans le roman, la fille d’un magna américain de la finance dont Klaus
Heinrich tombe amoureux accepte l’infirmité du prince et finit par l’épouser.
Cette union scellera le bonheur retrouvé pour tout le royaume. Le récit a la
dimension « simpliste » d’un conte et offre bien trois à quatre
niveaux de lecture. Le texte est fluide, description de pièces d’apparat décaties,
d’un microcosme suranné, des petits et très petits faits composant la vie morne
de Klaus Heinrich. Le talent de Thomas Mann permet au lecteur de vivre auprès
de ce prince, dans sa pauvre résidence de l’Hermitage aux banquettes garnies de
coussins anémiques et de consoles vernie de blanc. Il y a aussi une somptueuse
et puissante voiture automobile verte à l’intérieur de cuir rouge, tout un
univers sensible hors du temps et des modes.
Que nous apprend
« Altesse royale » ? Je ne sais pas en ce qui vous concerne mais
ce roman m’a réconforté et conforté dans certains de mes doutes, de mes
craintes. Il se trouve que, en tant que gay, je passe le plus clair de mon
temps en minorité, en tant qu’auteur aussi, en tant que croyant parmi la
tiédeur agnostique de même. Tous ceux que leur conscience aura entravés se
reconnaîtront de même, leur sens du ridicule les aura retenus à rire et
s’amuser innocemment parmi les joyeux autres. La différence, le fait d’être en
minorité, la conscience de cela me force … nous force à un contrôle de tout
instant, à une maîtrise de soi inflexible.
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