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L’autre jour, dans un café de la Ludwigkirchplatz, Li. m’a
raconté, le dernier amour déçu de Goethe, vieillard chenu de bien soixante-dix
ans pour une jeune fille d’à peine dix-huit ans. Le poète avait demandé la main
de la jouvencelle à sa mère, qui temporisa jusqu’au départ du grand homme. Il
séjournait dans une ville de cure pour quelques semaines. Je n’ai pu m’empêcher
de trouver l’attitude goethéenne ridicule, à quoi s’attendait donc ce vieux
barbon ?! Li., pour sa part, estimait qu’il recherchait l’inspiration et
quoi de mieux qu’un chagrin d’amour ! Le poète rentra donc très en verve
et malheureux, commettant des vers si éloquents quant à la douleur amoureuse ;
un amant de vingt ans n’aurait pas écrit autrement.
Ce matin, c’était une vieille lettrée mais pas trop qui s’étendait,
à la radio et dans un texte, sur ses déboires amoureux et Balzac. Elle le
faisait avec le talent des auteurs qui aiment se regarder le nombril et
théoriser autour. Quelques extraits de sa prose ont été lus. Ça n’était pas désagréable … ni
inintéressant, juste un peu vain, comme l’est devenue l’œuvre poussiéreuse de la
Comédie humaine. La brave dadame du plateau de radio, alors que son mari lassé
pour des raisons qui n’appartiennent qu’à lui l’avait jetée comme on jette les
trucs obsolètes, la dadame donc a décidé de donner du sens à sa douleur après
avoir épuisé toutes les séries télé à sa disposition. Elle a « écrit »
sur sa rupture. Une éditrice – ayant connu le même sort ou le craignant – s’est
empressée de publier ce témoignage « si poignant » et si emmerdant quand on n’est pas une femme
divorcée dans la cinquantaine, qu’on se tape le coquillard des élucubrations de
Paul Ricœur et que l’on préfère Mann, Green, Mauriac, Fontane, von Keyserling,
Flaubert et Walser, et Thomas Bernhard à Balzac !
Entre la dadame et Goethe, mon cœur balance. Etre vieux et
se donner du chagrin pour écrire ou écrire pour donner une contenance à son chagrin :
rien qui n’apporte de réponse tangible à de pauvres gamins si malheureux qu’ils
se trouvent acculés à se jeter sous le train. On appelle ça accident de
personne. Pour la dadame, ça s’appelle « vicissitudes de l’existence »
et pour Goethe du masochisme esthétisant. Si je venais à proposer « Musique
dans la Karl-Johan Strasse » à l’éditrice de la dadame, je ne suis pas
même sûr d’être gratifié d’une réponse. On fera comme si le manuscrit avait été
perdu, de peur de me refuser … car il faudrait argumenter, penserait-on. Par un
simple non – parce que mes histoires de vieux pédé ne l’intéressent pas – l’éditrice
donnerait d’elle une image homophobe et gynocentrée, elle pourrait même avoir l’impression
d’insulter la mémoire et le fantôme de mon élève suicidé ferroviairement. Elle
aurait peur de froisser un auteur qu’elle ne goûte pas, auquel elle ne croit
guère plus mais qui pourrait, peut-être, un jour réussir et lui en vouloir
rétrospectivement.
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