Un nouveau feuilleton, en attendant une prochaine publication et parce que je garde un magnifique souvenir d'une expérience similaire. Aujourd'hui le titre existe, un joli petit livre, "Dernier vol au départ de Tegel". Avec "L'homme sans autre qualité ... ", le ton sera plus onirique, il s'agit d'un hybride Musil-Carroll et d'une suite, on va commencer par le café, le plat principal finira par arriver.
Chapitre I
L’autre
soir, les fleurs aux tons fanés du tapis ont attiré son regard, l’ont littéralement
captivé. Il s’est demandé si elles n’avaient pas spontanément changé, à croire
qu’elles ont leur vie propre. Jusqu’à leur dessin qui semble s’être … affaissé ?!
Les objets ont une existence indépendante et, loin de nos regards, ils s’animent,
Steeve en est persuadé. Il est bien placé pour le savoir. Lui-même a changé, alors
qu’il n’était qu’une chose, le « jouet de son destin », il a même
changé de nom, il s’appelle Stéphane, il a 55 ans et vit une préretraite active,
selon l’expression consacrée, quoiqu’il hésite sur le « sacrée » de l’expression
en question. Son grand plaisir consiste à s’allonger sur le lit, soutenu par
trois-quatre oreillers, et regarder des séries policières françaises,
allemandes, britanniques dans la pénombre. C’est normal. Officiellement, il est
un représentant des forces de l’ordre en retraite. Il n’a pas toujours connu ce
rôle. Il a déjà été un jeune étudiant rentier paumé fils d’entrepreneur. Une
autre fois, il a été un assassin, à moins qu’il n’ait été le cadavre. Dans
cette histoire-là, il s’est même retrouvé dans la peau d’un ado danseur alors
que sa tête, ses pensées avaient passé la quarantaine. Il y a très longtemps,
il a été une femme, enfermée dans ses névroses familiales et une histoire qui
se confondait avec l’Histoire ! Ça s’est bien fini avec elle. Parfois, alors qu’il
est au bord du sommeil, il redevient cette femme, de plus de cinquante ans. Il
y a aussi la fois quand il était agent auprès d’artistes lyriques, dans une
ville en été, une canicule poisseuse et des nuits hallucinées. Il a été un
jeune gay aussi, à Genève, qui vivait en colocation à la rue Liotard. A Genève,
il a aussi endossé la peau d’une jeune fille trahie qui avait commandité un
meurtre. C’est depuis elle qu’il traîne un sentiment de culpabilité récurrent.
Il a souvent été un amoureux malheureux, éconduit. Il a fait de la politique,
de la résistance, il a porté des uniformes, il a parlé français, allemand,
espagnol, italien et, peut-être, ukrainien ou russe.
Allez
savoir … Il a laissé plein de monde derrière lui, et ça lui fait mal. Alors,
pour le consoler, le calmer, on lui a envoyé deux petits chiens ; ça
ressemble du moins à deux petits chiens. Et les fleurs fanent en silence parmi
les nœuds faits main d’un tapis de facture iranienne. Lorsque Stéphane est très
fatigué, que les chiens sont auprès de lui, à le veiller, il est quasi persuadé
que les petites figurines en bronze viennois qu’il a trouvées un peu partout
dans cet appartement se réunissent au pied de son lit, le veiller de même, lui
donner un peu de cette vie dont ils sont secrètement animés.
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