Image tirée de la BD "Maîtres anciens" par le dessinateur allemand Mahler. |
La question
pertinente : mais pourquoi lire « Maîtres anciens » aujourd’hui,
plus de trente ans après sa publication, après avoir clairement basculé dans le
m… le b… du siècle suivant ? N’y a-t-il pas d’autres livres, d’autres
auteurs à honorer de sa lecture ? Je vous laisse le choix de vos
lectures, à la mode ou pas, classiques, reconnues, populaires, obligatoires et
autres mais MA lecture est plutôt lente, c’est un acte volontaire, réfléchi
qui, depuis peu, m’impose le port de lunettes. Je ne vais pas lire n’importe
quoi et cet opus de Thomas Bernhard m’avait échappé lorsque, il y a quelques
années, je découvrais cet atrabilaire de grand talent. La forme du texte
m’avait peut-être rebuté, un long flux, sans chapitre, comme un dialogue
intérieur ininterrompu, Atzbacher qui évoque pour lui son ami Reger, un homme
d’un autre temps (lui aussi) qui, tous les deux jours « sauf le dimanche
et le lundi » se rend au musée d’Arts Anciens, s’installe dans la salle
Bordone, sur la banquette en face de « L’homme à la barbe blanche »
du Tintoret. Il trouve toujours la banquette libre, le gardien de musée
Irsigler la lui réserve. Il y a de l’allégorie là-dessous, bien
évidemment ! Entre le vieux monomaniaque, le gardien de musée psychorigide
et impressionnable et Atzbacher, journaliste et auteur qui ne publie pas et ne
soumet jamais sa prose à la lecture, le trio permet d’évoquer mille et une
figures d’autorité et de sujétion.
Avec le
temps, la sagesse dit-on, on se « vieux-connifie » surtout parce que
le monde tend à nous échapper, son interprétation nous échappe. Reger est un
modèle ! Avec lui, chacun reçoit son paquet, il n’épargne personne. Faites
l’expérience, changer le destinataire de l’une ou l’autre des diatribes regeriennes
(regerienne : de Reger, personnage central de ce roman), essayez, à tout
hasard, la Suisse ou le canton de Vaud à la place de l’Autriche, remplacez
catholique par protestant ou la religion que vous voulez et ça marche, la
critique fait tout de même sens ! C’est fabuleux. Bernhard a mis au jour
la critique universelle ! Ne prêtez pas trop d’importance à mon
enthousiasme, je suis prêt à tout passer à cet auteur, y compris sa mauvaise foi.
Cependant, vous pouvez me suivre dans ma laudation quant au style, la scansion
bernhardienne est une musique sophistiquée et rare, primordiale et salutaire
dans un monde plus versé dans les
refrains simplets calinothérapeutiques que dans l’éducation de son oreille aux
accents de la vérité ou de ce qui s’en approche. Un dernier mot à propos de Reger, ce n’est pas un mauvais
homme, il est vieux, il s’accroche à la vie tantôt par réflexe tantôt par
nostalgie, l’espoir de revivre encore une fois ce qu’il connaît, qu’il a tant
aimé et qui disparaîtra sous peu.
Bernhard se
montre aussi … sentimental dans cet ultime texte. On le connaissait cinglant,
querelleur, d’un verbe assassin, ironique, hâbleur, amuseur pour la galerie à l’occasion
mais pas sentimental, ni vulnérable. Soit, il n’était pas croyant, j’irai tout
de même brûler pour lui un cierge, je ne souhaite aucun repos à son âme, certainement
encore trop occupée à dénoncer la couardise, la médiocrité, la petitesse et,
surtout, l’absence de finesse de nos dirigeants, quels qu’ils soient ; j’irai
brûler un cierge pour que le Très-Haut lui offre un peu de cette douceur dont
il s’est toujours défié.
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