Ex Machina,
premier film de l’auteur britannique Alex Garland – surtout connu pour ses
scénarios de 28 jours plus tard et 28 semaines plus tard – développe le
thème de l’homme tout puissant se substituant, même, à Dieu. Le scénario est
simple. Nathan (Oscar Isaac
Hernandez), patron d’une grosse entreprise d’informatique, a organisé une
loterie auprès de son personnel. Le prix : une semaine dans son domaine
retiré, en sa compagnie, afin de participer à un mystérieux projet. Caleb (Domhnall Gleeson), jeune programmateur
célibataire sans attache remporte le concours. Il est déposé par un hélicoptère
au milieu de rien, entre un glacier, une rivière, des montagnes … Une maison
tout de même, une sorte de bunker design et tendance pour magazine trendy,
impression papier glacé. Commence alors un étrange huis-clos, troublant,
sophistiqué et subtilement décadentiste entre l’innocent, le créateur, et sa
créature : une androïde dotée d’une intelligence artificielle. A charge
pour Caleb de déterminer si
« Ava » (Alicia Vikander) est une simple machine ou si elle est dotée
d’une intelligence autonome. Ce ballet à trois est complété par la présence de
Kyoko (Sonoya Mizuno), une présence muette et soumise, une sorte d’esclave
intégrale traitée n’importe comment par Nathan … qu’importe, elle est
clairement une machine.
Ex Machina n’est pas un film d’anticipation de plus,
c’est une question philosophique, un jeu hyper-connoté, comme une association
libre de haut vol. Nathan s’est fait une place dans l’informatique en
développant un moteur de recherche nommé Blue
Book, en référence au « Cahier Bleu » du philosophe autrichien
Ludwig Wittgenstein. Pas besoin d’aller chercher très loin, Blue Book évoque immédiatement chez le
spectateur le spectre de Google, le moteur de recherche capable de recouper les
données de toutes vos recherches afin de vous fournir des réponses aux
questions dont vous n’avez pas même encore l’idée.
Nathan a tout du geek triomphant : parano, narcissique,
manipulateur, névrosé, imbu de sa personne et à la merci de tous les tics de
goûts et de comportement de cette nouvelle élite. Il soigne son physique, son
look de vieux hipster un peu trop testostéroné, mange du sushi, du riz
intégral, des smoothies antioxydants mais boit comme un trou pour calmer ses
angoisses de branleur psychotique. Pour ce qui touche au sexe, il a sa poupée
gonflable électronique, Kyoko, qui ne parle pas, ne comprend rien mais répond à
une logique gestuelle. Si vous la touchez, elle se déshabille ; si vous
mettez de la musique, elle danse. Scène d’anthologie, Nathan le gros naze de
génie au physique de bœuf aux hormones qui exécute une chorégraphie à la
Cloclo, parfaitement synchro’ avec sa péripatéticienne informatique sous le
regard médusé de ce pauvre Caleb qui, ainsi qu’il était prévu dans le plan,
tombe peu à peu amoureux d’Ava.
Cela finira mal,
forcément. Il est nécessaire de s’arrêter sur quelques détails multi-référencés
comme l’évocation de l’action painting de Pollock ou la présence du portrait de
Margaret Wittgenstein par Klimt ; Margaret était la sœur du philosophe …
Qu’est-ce à dire ? Cela nous renvoie invariablement aux sources de la
catastrophe, dans cette Mitteleuropa k und k qui implosa à courir après de
grandes idées, la nouveauté d’un mode d’expression inédit. Ava prouve
l’autonomie de son intelligence par le surgissement de l’irrationalité du désir
chez elle, un désir physique avant qu’il ne devienne général. Nous ne devrions
pas jouer avec cette notion d’intelligence artificielle et, pourtant, nous
finirons par la créer puis nous en perdrons le contrôle. L’action painting
enseignait qu’il ne fallait pas réfléchir au geste créateur ; le sens
apparaîtrait à postériori. Ex Machina comme
une prophétie servie par un jeu d’acteur, une esthétique, un cadrage
kubrickiens.
1 commentaire:
Le côté intimiste atténue néanmoins l'enjeu social (avec des questions qui pourraient être formulées sur le mode "Les IA nous rapprochent-elles de la Culture ? Cf. https://yannickrumpala.wordpress.com/2009/10/02/lanarchie-dans-un-monde-de-machines/).
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