Dresde : après le bombardement britannique, les bombes étaient de type "incendiaire", même les pierres brûlaient. |
Au cours du dîner, chez Hasir, le fameux restaurant turc de la Maassenstrasse où il a ses habitudes, Robert était prêt à s’ouvrir à propos de ses problèmes de santé, de ses craintes mais il s’est mis à raconter l’histoire de son arrivée à Berlin, les raisons de sa présence dans cette ville, cette histoire familiale traversée de secrets, de sang et, vraisemblablement, de larmes. Magda connaissait vaguement la filiation étrange qui liait son ex-mari aux von Bukow. Elle ne savait toutefois pas que cet héritage était, en partie, usurpé. Friedhelm von Bukow, fils d’un capitaine d’industrie, avait su développer le patrimoine familial. Sa fille aînée, Tonie, envoyée en Suisse comme jeune fille au pair, s’y maria et ne revint jamais en Allemagne. Elle avait un frère, Albrecht, déclaré décédé avec son père lors du bombardement de Dresde. Ce n’était pas le cas. Friedhelm trouva effectivement la mort à Dresde mais son fils survécut. Il fit partie des derniers officiers SS à défendre Berlin. Friedhelm, dans sa grande clairvoyance, savait l’Allemagne nazie perdue. Il avait quelques amitiés utiles au sein du clergé catholique saxon et préparait la fuite de son fils via un réseau de monastères vers la Suisse, puis Rome, l’Espagne, l’Amérique du Sud. Le bombardement allié, voulu par les Anglais en pure vengeance sur la Florence du Nord, sur ce poste avancé de la foi catholique, sur cette ville délicate et précieuse, surprit Friedhelm. Albrecht était sur le point de le rejoindre. Il survécut donc, se cacha, comme prévu, sous l’habit religieux et traversa toute l’Allemagne de cloîtres en sacristies jusqu’à atteindre la frontière suisse. Albrecht n’était ni bête, ni inculte. Il raconta toute son histoire à un père abbé jésuite qui vit en lui des qualités nécessaires à tous les membres de la Compagnie de Jésus. On s’informa discrètement auprès des autorités d’occupation quant à la situation des von Bukow père et fils pour le compte d’un cousin novice chez les jésuites. Après de molles recherches, les Russes se contentèrent de faire savoir que les deux hommes étaient considérés comme décédés et que leurs biens seraient employés à la reconstruction d’un Etat socialiste, n’en déplaise à ce vague cousin dont la demande d’information n’était certainement motivée que par l’espoir d’un héritage. Albrecht von Bukow devint frère Augustus et ne quitta plus Soleure. Son père abbé le dissuada même d’entrer en contact avec Tonie, sa sœur, ni avec personne de son ancienne vie. Il était mort pour les hommes et né au service de Dieu.
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