Quand
j’étais enfant, j’avais été fort frappé par la merveilleuse Catherine en robe
couleur de soleil, un conte version cinématographique, une histoire qui
expliquait aux petites filles qu’elles ne devaient pas être top belles, en tout
cas pas jusqu’à leur mariage, sinon elles susciteraient le désir contre-nature
de leur papa. Le conte racontait encore à chaque petite fille bien élevée que
seul l’époux qui lui était destiné la trouverait belle même si la petite fille
en question par humilité s’était faite moche, n’avait en tout cas pas cherché à
se pomponner et exister par son charme, son physique, ses goûts. Après le
mariage, ce serait une autre histoire, la petite fille devenue épouse (synonyme
de femme en la circonstance) aurait même le devoir au bras de son époux de se
maquiller, faire des effets de toilette tant en public qu’en privé, surtout en
privé, dentelles, déshabillés et tout le tralala. Etant un garçon, de surcoît plus
admiratif de la robe que du corps qu’il y avait dedans, la problématique du
rôle de la femme dans les clichés traditionnels m’est parfaitement passée
au-dessus. Il y avait aussi le conte, tout aussi magnifiquement adapté au
cinéma, de la jeune fille qui, se promenant où il ne fallait pas, finissait par
y être retenue par un monstre (plein de poil avec une énorme trompe au milieu
de la face selon le texte d’origine), monstre dont elle finirait par tomber
amoureuse et de sa trompe aussi. Là non plus, je n’avais pas fait le lien avec
la morale pragmatique sous-jacente, à savoir l’expression populaire touchant à
la sexualité féminine : voir le loup !
Je dois
dire que je n’ai pas peur du loup, quelle qu’en soit la forme ; j’ai une
grande affection pour les canidés et, pour en revenir à l’expression populaire
susmentionnée, j’eus dans mes jeunes années une vie sentimentale – et plus bas
– passablement agitée. J’y laissai
parfois quelques plumes, soit, mais ne me suis jamais retrouvé vraiment à poil,
au pire je me serais juste montré moi-même, tel quel et tout d’un seul tenant,
sans mise-en-scène, tralala, tanga ou slip kangourou. La fesse eût peut-être été
incidemment découverte mais le reste du bonhomme drapé dans le laticlave
métaphorique de ses convictions, croyances, inclinaisons. En fait, je me suis
plus d’une fois franchement retrouvé à poil ! Ce n’est pas un état
problématique en soi, pas sur le plan de la pudeur, pas à vingt ans du moins.
Le problème vient d’ailleurs, de la blessure d’amour propre, des coups virtuels
qui vous font des bleus à l’âme … Avec l’âge, la chair flétrissant, on apprend
à se couvrir, se déguiser laisser entendre que l’on est un autre, celui qui
rentre dans des fringues standardisées qui vont à tout le monde mais à personne
en particulier.
Les héros du
moment ne sont guères plus séduisants. Ils avancent masqués, à bonne distance
les uns des autres. C’est à peine si l’on arrive à les reconnaître parmi les
reflets du plexiglas. Pauvres enfants craintifs inventés par un mauvais
démiurge qui pousse la malfaisance et l’ironie jusqu’à leur avoir fait croire à
leur héroïsme ?! Si le « nouveau héros » est un aussi bon
citoyen que la petite fille sage est bien élevée, il doit s’effacer, abdiquer
de lui-même, volontairement, devenir une entité nulle et impersonnelle jusqu’à
ce que … je ne sais quoi ? La résurrection des boutons de guêtres comme
disait grand-maman. La petite fille sage nourrissait le vague espoir d’un
mariage prochain pour exister. Nos nouveaux héros carburent à la belle promesse
parmi l’angoisse, tant qu’ils sont productifs, pas même besoin de leur passer
la bague au doigt. Par bonheur, parmi ces cohortes sans visage, quelques
mauvaises têtes se relèvent, le nez au vent. Ils ont même quitté leurs fringues
de prêt-à-porter pour en faire des étendards. Même pas morts, pas encore, pas
avant d’avoir brûlé masques et déguisements comme les féministes ont brûlé leur
soutifs en 68, le sein nu, revendicatif et conquérant. Même pas morts, pas
encore, pas avant d’avoir habité de toute leur âme chaque millimètre carré de
leur épiderme et d’en avoir joui, comme une invitation à la liberté d’être soi.
D’aucuns
diraient qu’il n’y a pas matière à épiloguer. Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu
donc rien venir ? « En dépit du soleil qui poudroie, le temps se
couvre », dirait la frangine, rapport à la mine déconfite de foules
hagardes et clairsemées, une sorte d’horreur blanche qui vous ferait presque regretter
la grosse boucherie dégueu et assassine d’un Barbe Bleue ; assurément, ce
type n’a pas peur de se tacher dans la manifestation de sa sensualité. Mais
quand reviendra-t-on à des histoires de fleur de peau ? de conscience … épidermique ?
de libre-arbitre ?
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