Il
en avait vraiment besoin, Il s’est immédiatement senti … désaltéré ?! C’est
la sensation la plus porche de son état émotionnel, il n’avait pourtant pas
soif. Stéphane écoute les valses de Chopin au casque, une intégrale quelconque
chopée sur Youtube, pas mal, deux ou trois toquades de la part d’un jeune
pianiste à bonne gueule et patronyme russe ou polonais. La musique le rafraîchit
et lui rend un certain sens de la situation (haut, bas, gauche, droite). C’est
un besoin récent pour lui. Il avait déjà dû se faire une culture exprès en
peinture et, à présent, il lui faut « nourrir » l’oreille. Chopin
passe toujours bien, un peu ornementé, rien de trop lourd toutefois, dansant,
joyeux quand c’est étiqueté comme tel, mélancolique quand c’est plus sérieux.
La musique de Chopin, s’il s’agissait d’un âge de la vie, serait la trentaine,
à la fois pleinement adulte et cette persistance de la jeunesse. Lorsque
Stéphane se sent par trop cerné par des fantasmagories, des animaux
grotesques et rigolards, des diableries symbolistes et tout le toutim de quand
ça s’est noué, il se rafraîchit avec du Chopin. Ça devient plus simple. Ça en a
l’air du moins. Avec le déploiement du paysage préalpin à travers les fenêtres
du train, ça lui compose un bel épisode, un bout de vie sympa, trois-quarts d’heure
pris à l’ennemi, à savoir le chaos qui menace parce qu’Oméga risque de s’effondrer
sur Alpha un de ces jours et qu’il est le héros de la dernière chance. « Comment
vivre pleinement le moment présent ? » questionne une publicité sur
son smartphone, entre deux morceaux. « Par des rituels riches de sens ! »
répond encore la publicité. On voit qu’on en est plus à la retape lourdingue de
l’Agence, démantelée avec fracas il y a quelques temps, remplacée par les
services impériaux en Alpha. La nouvelle règle peut se résumer par « l’éveil
est l’expérience de chacun ». La documentation interne illustrait ce
nouveau concept à l’aide de la toile de Nolde, 1946, deux animaux fantastiques
et patauds, sourires béats devant un hibou sur une branche, le hibou d’Athéna.
La toile s’intitule « Triomphe de la raison ». Il est permis de
considérer ce titre comme ironique, rapport à la tête des bestiaux, mi-chien,
mi-cheval et le hibou placide au bord de l’endormissement. Les concepteurs du
psychomarketing ont argumenté en ce sens. « Seul le regard de l’intéressé,
sa weltanschauung peut faire basculer le message de l’ironie à la révélation
évidente et joyeuse. Il faut fédérer les
vertus du plus grand nombre sans interdire les aspects les moins lumineux de
leur psyché. »
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