mercredi, juillet 08, 2020

Peau d'âme / L'étoffe des zéros


Quand j’étais enfant, j’avais été fort frappé par la merveilleuse Catherine en robe couleur de soleil, un conte version cinématographique, une histoire qui expliquait aux petites filles qu’elles ne devaient pas être top belles, en tout cas pas jusqu’à leur mariage, sinon elles susciteraient le désir contre-nature de leur papa. Le conte racontait encore à chaque petite fille bien élevée que seul l’époux qui lui était destiné la trouverait belle même si la petite fille en question par humilité s’était faite moche, n’avait en tout cas pas cherché à se pomponner et exister par son charme, son physique, ses goûts. Après le mariage, ce serait une autre histoire, la petite fille devenue épouse (synonyme de femme en la circonstance) aurait même le devoir au bras de son époux de se maquiller, faire des effets de toilette tant en public qu’en privé, surtout en privé, dentelles, déshabillés et tout le tralala. Etant un garçon, de surcoît plus admiratif de la robe que du corps qu’il y avait dedans, la problématique du rôle de la femme dans les clichés traditionnels m’est parfaitement passée au-dessus. Il y avait aussi le conte, tout aussi magnifiquement adapté au cinéma, de la jeune fille qui, se promenant où il ne fallait pas, finissait par y être retenue par un monstre (plein de poil avec une énorme trompe au milieu de la face selon le texte d’origine), monstre dont elle finirait par tomber amoureuse et de sa trompe aussi. Là non plus, je n’avais pas fait le lien avec la morale pragmatique sous-jacente, à savoir l’expression populaire touchant à la sexualité féminine : voir le loup !

Je dois dire que je n’ai pas peur du loup, quelle qu’en soit la forme ; j’ai une grande affection pour les canidés et, pour en revenir à l’expression populaire susmentionnée, j’eus dans mes jeunes années une vie sentimentale – et plus bas –  passablement agitée. J’y laissai parfois quelques plumes, soit, mais ne me suis jamais retrouvé vraiment à poil, au pire je me serais juste montré moi-même, tel quel et tout d’un seul tenant, sans mise-en-scène, tralala, tanga ou slip kangourou. La fesse eût peut-être été incidemment découverte mais le reste du bonhomme drapé dans le laticlave métaphorique de ses convictions, croyances, inclinaisons. En fait, je me suis plus d’une fois franchement retrouvé à poil ! Ce n’est pas un état problématique en soi, pas sur le plan de la pudeur, pas à vingt ans du moins. Le problème vient d’ailleurs, de la blessure d’amour propre, des coups virtuels qui vous font des bleus à l’âme … Avec l’âge, la chair flétrissant, on apprend à se couvrir, se déguiser laisser entendre que l’on est un autre, celui qui rentre dans des fringues standardisées qui vont à tout le monde mais à personne en particulier.

Les héros du moment ne sont guères plus séduisants. Ils avancent masqués, à bonne distance les uns des autres. C’est à peine si l’on arrive à les reconnaître parmi les reflets du plexiglas. Pauvres enfants craintifs inventés par un mauvais démiurge qui pousse la malfaisance et l’ironie jusqu’à leur avoir fait croire à leur héroïsme ?! Si le « nouveau héros » est un aussi bon citoyen que la petite fille sage est bien élevée, il doit s’effacer, abdiquer de lui-même, volontairement, devenir une entité nulle et impersonnelle jusqu’à ce que … je ne sais quoi ? La résurrection des boutons de guêtres comme disait grand-maman. La petite fille sage nourrissait le vague espoir d’un mariage prochain pour exister. Nos nouveaux héros carburent à la belle promesse parmi l’angoisse, tant qu’ils sont productifs, pas même besoin de leur passer la bague au doigt. Par bonheur, parmi ces cohortes sans visage, quelques mauvaises têtes se relèvent, le nez au vent. Ils ont même quitté leurs fringues de prêt-à-porter pour en faire des étendards. Même pas morts, pas encore, pas avant d’avoir brûlé masques et déguisements comme les féministes ont brûlé leur soutifs en 68, le sein nu, revendicatif et conquérant. Même pas morts, pas encore, pas avant d’avoir habité de toute leur âme chaque millimètre carré de leur épiderme et d’en avoir joui, comme une invitation à la liberté d’être soi.

D’aucuns diraient qu’il n’y a pas matière à épiloguer. Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu donc rien venir ? « En dépit du soleil qui poudroie, le temps se couvre », dirait la frangine, rapport à la mine déconfite de foules hagardes et clairsemées, une sorte d’horreur blanche qui vous ferait presque regretter la grosse boucherie dégueu et assassine d’un Barbe Bleue ; assurément, ce type n’a pas peur de se tacher dans la manifestation de sa sensualité. Mais quand reviendra-t-on à des histoires de fleur de peau ? de conscience … épidermique ? de libre-arbitre ?



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