jeudi, février 05, 2015

"Soumission" de Michel Houellebecq

Il est des vieilles gens qui, sur le déclin, dans l’incapacité de saisir le monde, retournent leur attention sur leur assiette, ce qu’il y a dedans, la météo et la longue litanie de leurs petits bobos. Houellebecq, dans « Soumission », campe un personnage de cet acabit, un intellectuel, enseignant en Sorbonne, spécialiste de Huysmans, flapissant dans un entre deux âges égayé par un peu de sexe, de la turlute à peine jouissive. Et pourtant, le narrateur de « Soumission » n’est pas si vieux, la quarantaine et demie, à peu près, mais il est aussi éteint que l’intelligentsia médiatique française. On sent insensiblement les préoccupations de vieux de l’auteur passer dans son personnage (quoique Houellebecq n’ait que 57 ou 59 ans même s’il en paraît 68 fatigués). Le lecteur a droit à sa platée habituelle de réflexions rances, de constat social désespérant et de scènes de culbute aussi trépidantes que la lecture des pages jaunes à l’ère de Google. Cela réjouira certainement le quarteron de fidèles phallocrates, du plus réac au rockabilly rechampi, tatoués ou non, baroudeurs ou non, plutôt buveur et fantasmeur à la petite semaine sur de fortes poitrines de 15 ans si possibles, sur lesquelles il est permis d’étaler sa semence avec son engin (vigoureux, forcément, merci viagra). Bref du Houellebecq.

Le scénario est aussi simple que bancal. La France aux abois, après une longue période d’alternance gauche molle droite molle, plutôt que de se livrer au FN, préfère une large coalition menée par Mohamed Ben Abbes, le candidat de la Fraternité Musulmane (le FM !). Le monsieur, une fois président, impose à l’éducation nationale une morale toute musulmane. Tous les enseignants se doivent d’être musulmans, plus de femmes enseignantes, plus de femmes du tout dans le monde du travail du reste. Ben Abbes par le biais de filières islamo-mafieuses remet de l’ordre dans les cités et avec toutes ces femmes qui ont dû quitter leur emploi, le chômage diminue de manière spectaculaire. Et partout, dans la rue, des silhouettes couvertes, des jeunes filles en pantalons. Fini le bal des minijupes. Il y a peut-être moins à reluquer mais les hommes, surtout ceux occupant une position sociale importante, ont droit à deux ou trois femmes. Leur vieille femme pour la popote, une intermédiaire pour ? jouer aux cartes et une très jeune (mineure même) pour le divertissement sexuel. Evidemment, comme il s’agit d’un monde islamisé sur un mode houellebecquien, il est encore permis de boire et, même, de se mettre la tête en dedans. Selon l’imagination délirante de l’auteur, le projet de Ben Abbes : reformer l’empire romain via l’Europe Unie version musulmane ! En gros, la France retrouverait son universalité et tant pis pour l’islamisation. Houellebecq, en sus de ses préoccupations de vieux (nourriture, météo, bobos) et de ses tendances pédopornographiques en rajoute avec le couplet de la grandeur de la Frannnnnnce ! Restons-en là pour le pitch.

On m’a dit « oui, mais bon, c’est un roman, il invente ce qu’il veut, il n’y a pas de quoi en faire une histoire ». Ok, néanmoins « Soumission » n’est ni un conte, ni un roman de SF, on parle d’uchronie mais ce genre repose sur la modification d’un élément du passé et ce n’est pas le cas du texte en question. On donne dans la politique fiction foireuse teintée de l’inculture crasse de son auteur. Houellebecq, en dépit de ses coups de gueule, de griffes, etc. croit encore à la superbe de la République notre voisine. Il est incapable de considérer l’histoire européenne sans un filtre hexagonal. Comment ose-t-il seulement imaginer que l’Allemagne, le Danemark ou l’Estonie, ou la Pologne dans une certaine mesure pourraient accepter parmi l’Europe unie un pays qui, non seulement, ne serait plus laïque mais islamique de surcroît ! Ça n’a pas traversé l’esprit borné et hétérocentré de l’auteur que ces pays, du fait de leur histoire, de leur sensibilité sont très impliqués dans la défense de la cause des femmes, des minorités religieuses et sexuelles. Houellebecq n’est pas à proprement parler homophobe, il est complice par le silence ou la négation de cette frange de la population mondiale (entre 5 et 10% selon ce que la sociologie admet). Il surfile sa pochade expliquant que le nationalisme est mort (je suis d’accord), que l’Europe ne peut s’en tirer qu’avec un grand projet (toujours d’accord), genre un empire à la mode romaine ou bonapartiste (encore et toujours d’accord) et que la France musulmane, alliée aux pays du Maghreb entrés dans l’Europe unie avec l’Egypte et la Turquie, cette France imposerait la langue française au reste de l’union (je reste sans voix …) Effectivement, un empire sauvera l’Europe, renouvellera son Union mais son centre se trouvera à l’Est, Berlin ou Vienne, ou Copenhague et l’empire aura pour langue officielle l’allemand. Cet ensemble s’inspirera du Saint Empire romain-germanique, des grandes heures du règne des Habsbourgs dont le pouvoir s’étendait sur quasi toute l’Europe, l’Amérique et de nombreux comptoirs en Asie.

Néanmoins, le style alerte de Houellebecq fait à nouveau mouche. « Soumission » est une lecture plaisante, à l’atmosphère marquée, à la désespérance accorte. L’auteur ne se renouvelle pas vraiment. De plus, il manque par moment de vocabulaire. Il parle de « petits visages souriants » dans un courriel ! Cela s’appelle un émoticône. Il faudrait aussi que quelqu’un lui explique qu’un « costume à fines rayures », quelle que soit la couleur de l’étoffe et de la « fine rayure », cela s’appelle un costume à rayures tennis.

L’hétéro de base mais un peu lettré tout de même, le mec qui lit du vrai, du lourd, du couillu, du burné, le mec qui se réserve sa petite séance de lecture avec cigare (berk) et whisky (re-berk), le vrai mec avec peut-être même moto, tattoos ou qui pratique un sport de combat, je caricature un peu … à peine, ce mec-là va a-do-rer « Soumission ». Il trouvera ça drôle et mordant. Je ne fume plus, je n’aime pas le whisky même lorsqu’il coûte un bras, je n’ai toujours pas de permis de conduire et ne suis pas assez inconscient pour aller risquer ma vie sur un deux roues, quant au sport de combat, cela sous-entend rentrer en contact avec le corps d’un autre (berk) ou exécuter des figures imposées … euh, non, je préfère mes machines de musculation ou mes appareils de cardio avec télévision intégrée pour regarder un épisode de Derrick. J’aurais toutefois aimé aimer « Soumission » mais comment faire ? Il m’a suffi de modifier un point du scénario et de mettre de côté un élément fondamental de mon identité. « Soumission » est un roman en « je », il est donc d’autant plus facile pour le lecteur mâle hétéro – avec ou sans les qualités précédemment citées – d’entrer dans le texte et de revêtir ce « je ». Pour ce faire, j’ai mis de côté ma conviction religieuse catholique et, de la même manière que Houellebecq a imaginé un islam alcoolisé, j’ai imaginé un islam reprenant à son compte le mariage pour tous version charia. Et ça change tout ! Pour sûr, la bonne poilade, je ferais partie des mâles dominants, je me serais converti à l’aide d’une formule en arabe dans la mosquée du coin, j’aurais conservé mon prépuce (autre accommodement houellebecquien avec l’islam). J’aurais conservé mon homme pour faire la cuisine, tenir la maison. J’aurais fait appel à un marieur qui m’aurait trouvé un deuxième, voire un troisième époux, les deux dans les dix-huit ans … non, allez, un de seize, soyons houellebecquien jusqu’au bout. On viendrait me dérouler le tapis rouge, me doubler mon salaire et me couvrir d’honneurs (ah, ben oui, je fais partie de l’élite culturelle locale), le pied ! Sans parler du délire de politique fiction expansionniste après lequel je pourrais me mettre à rêver. Vous trouvez ma version personnelle de « Soumission » gerbeuse ? aberrante ? de mauvais goût ? insultante ? amorale ? Vous auriez raison, je suis de votre avis du reste, pour peu que vous qualifiez la version originale des mêmes adjectifs épithètes.

4 commentaires:

Michel de Seelisberg a dit…

Ah ! Moi qui aime le whisky et les voitures de sport et déteste les salles de musculation, je crois que je vais aimer Soumission ! Ce d'autant que l'islam décrit par l'auteur est plus proche de la réalité que l'islam gay de M. VALLOTON.!!

Michel de Seelisberg a dit…

Vallotton ! Pardon !

Frédéric Vallotton a dit…

La séparation des sexes dans l'islam est propice à pas mal de choses ... entre hommes. J'ai eu des récits très colorés d'amis ayant travaillé plusieurs mois dans les émirats.

Christophe Calame a dit…

Et pourtant, c'est un excellent roman, avec des vrais personnages, une action, etc. Et un grand référent littéraire, magnifiquement traité, Huysmans. D'accord, c'est impossible... indésirable... imbitable... mais cela existe de manière très narquoise, dans la lecture. Le blues du professeur d'université pourrait en effet l'amener à cette conversion veule. Pas le reste de la société. Mais voilà, c'est un roman, avec/sur un personnage.