lundi, décembre 29, 2014

"Il est de retour" de Timur Vermes

Des amis allemands m’en avaient parlé ; j’ai effectivement vu quelques articles sur le sujet et peut-être l’auteur lors d’un show télévisé ?! Cela m’a rappelé la BD de Walter Moers « Adolf. Äch bin wieder da !! », publiée en 1998. J’avais découvert cet album dans les toilettes, la colocation dans laquelle vivait Christine, à Friedrichshain. J’avais même appris à cette occasion qu’on exposait le cadavre des rares fuyards des camps de concentration, après les avoir rattrapés, dûment torturés et assassinés, on les exposait donc à la vue des prisonniers avec un panneau autour du cou sur lequel il était tracé : « wir sind wieder da ».

Dans une grande librairie de la place, j’ai récemment été attiré par la couverture si particulière de cette satire, un volume en promotion. La traduction du titre n’est pas terrible : « Il est de retour » mais le portrait esquissé d’une grande mèche et de la célèbre moustache, comme dans l’édition allemande, garde tout son pouvoir d’attraction. Le pitch est très simple. Un beau matin de 2011, Adolf Hitler, revenu d’entre les morts, se réveille au milieu d’une friche urbaine au cœur de Berlin. Il va trouver soutien et secours auprès d’un brave kiosquier avant d’entamer une carrière de comique et sosie d’Hitler, une émission double gras pour chaîne de télé populo. De quiproquos en coups de gueule, de convictions inébranlables en coups de chance et de poker, Hitler se fait une place dans les médias et vise un retour en politique, reprendre là où il en était resté.

« Il est de retour » ne se signale pas par un style particulièrement brillant ni par une intrigue bien ficelée. Ce roman ne connaît pas même de véritable fin, on peut craindre … ou espérer une suite. L’auteur, Timur Vermes, s’offre ainsi la possibilité très probable d’un second tome qui lui vaudra un très confortable à-valoir et des ventes fabuleuses, car Hitler est un sujet porteur, vendeur, surtout lorsqu’il est présenté sous le jour sympathique de cette satire. Monsieur Vermes est parfaitement irréprochable. Né à Nuremberg d’une mère allemande et d’un père juif hongrois, il a étudié la sociologie à l’université. Entre autres. Il a aussi une importante carrière de … nègre. Il assume avec bonhomie le succès économique du premier roman qu’il signe de son nom. Notre auteur a la mine avenante et malicieuse d’un éditorialiste bon enfant. Il ne se sent pas la nécessité de justifier son texte, de lui couler de solides fondations. Il a fait un « coup », un bon coup dans un esprit potache et critique. De plus, il ne va pas se perdre dans des arguties littéraires dont son texte ne sortirait que perdant du fait de sa piètre qualité stylistique.

Ce roman met « gentiment » mal-à-l’aise ; Adolf Hitler, le narrateur, y raconte avec humour et, parfois, émotion sa drôle de vie soixante-six ans après son suicide. Il ne cache rien de ses plans, de sa vision politique, de son grand projet, de son antisémitisme poli. Rien. Et rien de la part de l’auteur non plus, pas la moindre petite prévention ou prise de distance dans le récit aimable et drolatique qu’il nous déroule. Il est clair que si Timur eut été un grand blond bien gaulé, élégant, regard pénétrant, il eût certainement dû essuyer de nombreuses accusations de sympathie nazie. Mais Timur est un rondouillard chauve et sympa, mal fagoté comme un intello de gauche chercheur en sciences humaines. Néanmoins, je m’interroge sur les mobiles profonds de M. Vermes. Il nous sort le prétexte du second livre du Führer, une vieille édition, une traduction même, trouvée chez un bouquiniste lors de l’un de ses voyages. Il se serait dit « Si Hitler a écrit deux volumes, je peux écrire le troisième. » L’argument est minçolet, comme si l’on ne savait pas que « Mein Kampf » comptait deux volumes. Personnellement, je pense que notre nègre transparent avait envie d’exister et, lassé des inepties qu’il a dû tant écrire pour d’autres, s’est lancé dans une plaisante pochade, farcie de quelques constatations maison frappées au coin du bon sens de la realpolitik. Et ça a bien marché ! Il met à jour, par exemple, les mécanismes économiques de la grande distribution et leurs effets aliénants   sur les citoyens aux revenus modestes, sur la majorité.

Le style n’est pas bon mais il n’est pas mauvais non plus, il a l’immense vertu de se faire oublier et le texte nous embarque dans les aventures improbables du Führer bis. J’y ai retrouvé toute ma bonne Berlin, et le reste de l’Allemagne aussi. Très vite, on rit, et d’un rire incoercible que vous soyez sur une machine de cardio au fitness ou dans un train de pendulaires. J’ai tout de suite eu envie d’aller toujours plus avant dans ce récit, m’attendant à un coup de théâtre ou un retournement de scénario, événements qui jamais n’arrivèrent mais qu’importe, j’avais tant ri jusque-là ! Vermes a un art consommé du double sens. Toutes les sorties de son « Führer », propos historiquement exacts, peuvent être comprises comme de l’humour, de l’ironie, de la provocation à vocation de révélation. On en étouffe de rire même si ce n’est pas très moral ; on en prend conscience et en étouffe de rire de plus belle. Toute la dégoûtante petite mécanique du contrôle social est démontée avec une certaine jubilation. Les blâmes, les félicitations, l’imperméabilité des esprits, le jeu des cases … Je m’explique. Nous sommes tous des personnages publics, quelle que soit la confidentialité de notre audience. Cette audience définit notre statut et nous met dans une case. Une fois que vous y êtes, difficile d’en sortir. Adolphe a été étiqueté « comique », désormais tout ce qu’il dira sera drôle et ça l’est, sincèrement, surtout ses apartés sur la télévision. Il zappe et ne tombe – comme nous du reste – que sur de stupides émissions culinaires ou des séries vérité très, très, très bas de gamme. Il y a aussi les scènes de genre : le Führer découvre la téléphonie mobile, le Führer découvre internet, le Führer découvre le ramassage des déjections canines, etc. Tout simplement tordant.

Très naturellement, je me suis attaché au narrateur, il m’est devenu sympathique. Sa raideur, son décalage - une sorte de Mr Bean militariste tout aussi improbable et maladroit -  concourent à faire du Hitler version Vermes un … ami !!! Jamais, je n’aurais imaginé écrire une telle chose. Le bonhomme est touchant, sincèrement, sa promenade par une belle matinée claire à Berlin, une certaine douceur, et l’énergie requinquante qui déborde de ses aventures et mésaventures ! Vermes via Hitler (ou le contraire) revient très souvent sur la nécessité du « fanatisme » dans ce que l’on fait, condition minimum afin de réussir. Par fanatisme, il faut entendre « passion ardente ». Oui, il faut en vouloir pour réussir dans son domaine, Dieu ne vomit-il pas les tièdes ?! On se sent tout revigoré après une douzaine de pages de ce roman (un effet du rire certainement) et pas l’ombre du doute d’une once de culpabilité. On relève le nez d’un texte où Hitler est sympa’ Ne faudrait-il pas s’indigner ? Non, et c’est l’historien (si, si, j’ai un master universitaire français-histoire-histoire et science des religions), c’est donc l’historien qui vous dit qu’il est sain de rire à la lecture de « Il est de retour », que son narrateur n’est qu’un avatar de Hitler (le despote légalement arrivé à la tête de l’Allemagne en 1933). Le roman truculent de Vermes est une invitation à faire le tri dans le ruclon de l’histoire.


Dès 1945, on a creusé un grand trou et tout balancé dedans. Il fallait alors dénazifier par la diabolisation, se réconcilier, reconstruire. Une certaine crispation nationaliste se remarque à nouveau dans la politique des États européens. L’antisémitisme est interdit par la loi, les symboles nazis aussi, soit, cela ne nous garantit pas contre l’accession légale d’un parti fasciste au sommet du pouvoir. Il faut se confronter aux vraies raisons de la montée du nazisme et de son maintien à la tête de l’État après 33. L’attitude des Alliés, la finance, les collusions politico-industrielles, la peur du communisme et l’antisémitisme, le racisme, l’homophobie bon teint qui avaient aussi cours dans les nations dites démocratiques y ont leur part. Vermes n’est pas un Don Quichotte/Cervantes, il ne cherche pas à abattre les moulins de l’histoire. Il vend bien, distrait ses lecteurs, ne les prend pas pour des quiches, attire leur attention sur les faiblesses du système. Si vous vous apprêtez à lire « Il est de retour » mais, suite à cette critique, désirez prévenir vos atermoiements moraux et contrebalancer par un texte de qualité littéraire, achetez donc en sus « Tous les États de la mélancolie bourgeoise », édition Hélice Hélas, collection Paon dans ton QI, mon petit essai/pamphlet à propos du confort de nos mensonges et menus arrangements avec l’histoire. Cela complétera admirablement bien le pavé de Vermes. 

2 commentaires:

Michel de Seelisberg a dit…

Quelle magnifique et érudite analyse.

Frédéric Vallotton a dit…

Vous me flattez, cher Michel ;-)