jeudi, juillet 17, 2014

"Ils sont tous morts" d'Antoine Jaquier

Commençons doctement … ou avec pédanterie, par ce qui ne va pas. Il sourd de « Ils sont tous morts »  une attitude esthétisante décadentesque dans ce style grotesque et rockn’roll junky, à savoir « la vie c’est de la merde », « fuck le système », et bla bla bla, dans le genre crise d’ado qui ne trouve rien d’autre pour remplir sa stupide vie que de faire une crise (si, si, ça passe le temps surtout lorsqu’il n’y a rien de bien à la télé). Corollairement, on rencontre un chouia d’homophobie par-ci, par-là, voir la fameuse scène où Jacques trop cuit n’est pas fichu de remarquer qu’il se laisse embarquer par deux ladys boys et qu’il en fait tout un fromage alors qu’il laisse entendre, par la suite, qu’il compte aussi profiter de l’ivresse de jeunes filles pour arriver à ses fins. Deux ou trois autres anecdotes fleurent bon l’homophobie petit-bourgeois, un comble lorsque ce sentiment émane de prétendus rebelles à la société. Bref, deux poids, deux mesures. Autre problème, une complaisance encore plus marquée pour les scènes de radada, avec les détails et tout, pire que chez Houellefbeck. Bof. L’homme de qualité jouit et se tait ! mais surtout, il la ferme. Je dois avouer que les vingt premières pages m’ont été pénibles, j’ai failli jeter le livre mais j’avais promis à l’auteur – qui m’a gracieusement offert son ouvrage – d’en parler dans mon blog. Durant quelques minutes, il m’est passé en tête l’excuse foireuse du livre perdu dans mes tribulations berlino-poloniennes (tribulations très pépères comparées aux aventures de Jacques). Bon. J’avais promis et comme les trains polonais ne sont pas forcément les plus rapides du monde, je m’y suis mis et je ne regrette pas le voyage (les deux voyages, mais pour la Pologne, ce sera un autre billet, et j’aurai aussi deux ou trois choses à redire).
 
 
Donc, une fois passées ces pages d’exposition de la médiocrité vaudoise dans l’arrière-pays, thème déjà largement débattu dans ma propre oeuvre, une fois passées ces pages sur la révolte d’jeune qui n’appelle que mon profond dédain d’anar’ qui glisse à droite, on arrive sur un récit de braquage homérique. La scène est palpitante et drôle car on rit beaucoup au fil de « Ils sont tous morts ». L’auteur a du métier et prend la distance suffisante vis-à-vis de son narrateur pour se payer sa bobine, mais rien de méchant. On est dans du « Trainspotting » à la vaudoise et c’est tordant. La fuite, le plan, le départ en Thaïlande et les semaines de dérives, tout est passé au crible du regard d’un petit gars dans la m... jusqu’au cou mais qui n’a rien perdu de son sens critique. Le récit de la fouille au corps et en profondeur du narrateur lorsqu’il quitte la Thaïlande, par exemple (pp 220-223) est une scène d’anthologie. Jaquier a l’art du détail et du sensible, il nous dépeint la situation avec brio ( avec qui ? …), il a le don de susciter des images hautes en couleurs.
 
 
Le lecteur est introduit au monde du gribouillage cutané euh… du tatouage, une vision pertinente et réaliste : ça fait mal, c’est un choix pour la vie, il y a le risque de l’effet de mode. L’une des protagonistes thaïlandaises, à propos de cette « art corporel », dit que « les tatoueurs paient au prix de leur karma le masochisme de la société occidentale ». Position intéressante, à développer. Jaquier n’est pas un novice en la matière, il arbore un tatouage quasi intégral, je ne vous dirai pas jusqu’où va l’intégralité, car j’ai vu l’auteur fort peu voire pas vêtu (mais nooooon, vous êtes des tordus, on allait dans le même fitness et, même si je ne suis pas fan de tatouages, les siens sont spectaculaires et le bestiau était agréable à regarder). Autre monde évoqué, celui de la défonce, toute défonce confondue (alcool, shit, médocs, coco, héro, acid, etc.) Jaquier ne donne pas dans le prêchi-prêcha officiel de la compréhension à défaut de prévention, il expose clairement et l’hypocrisie du système et la responsabilité du consommateur. Il en a certainement trop vu pour en tirer une morale à tout faire, et ce roman n’en est pas le lieu. Notre auteur sait la frontière ténue qui sépare la fête de la dépendance, il en connaît le tracé subtil. D’habitude, je ne me sens pas concerné par « ces histoires-là ». Sur les questions de dépendances, je préfère avoir une attitude claudelienne ( La tolérance, je ne veux pas savoir, il y a des maisons pour ça).
 
 
La fin du roman est rédemptrice, façon chute du Walhalla. Dommage. On est triste pour ce pauvre Jacques, un gamin paumé qui avait pourtant bien de la ressource. Comme l’auteur, du reste, qui pourrait devenir un maître du roman noir. Il a la connaissance des milieux interlopes, le sens du récit, le suspens, le goût du détail et la puissance d’analyse, l’humour et tout un univers dont il sait témoigner, un univers qui d’habitude me laisse juste … froid. « Ils sont tous morts » n’est pas qu’un coup marketing d’une bonne maison d’édition qui rajeunit par là-même son image, c’est un authentique roman capable de séduire un lecteur de Mauriac, Green, Mann ou Fontane ou Fankhauser (moi par exemple). J’attends donc son prochain opus.
 
 
P.S. J’avais proposé à Antoine un échange : son roman contre l’un des miens. Je vais donc, en pénitence, lui passer mon court conte érotico-baroque « My life is a soap opera », le plus olé-olé de mes textes et peut-être le plus vaudois aussi. Deux ou trois choses en échos … 

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